Chapitre 2
La nuit était glaciale lorsque Vincent quitta le centre commercial. Il resserra son manteau et marcha lentement vers son arrêt de bus, les rues désertes éclairées par des décorations lumineuses accrochées aux lampadaires. Les couleurs éclatantes et les formes joyeuses semblaient presque cruelles dans leur contraste avec le silence lourd de la ville.
Il repensait à cette femme. À ses yeux fatigués, à la poupée qu’elle serrait comme un trésor. Pourquoi n’avait-il pas juste suivi les procédures ? Pourquoi avait-il décidé de fermer les yeux ?
Il était fatigué. Pas seulement de son boulot minable, mais de tout. Ses nuits passées dans son appartement trop petit et trop froid, sa solitude qu’il noyait dans des bières tièdes devant une télé qu’il ne regardait même plus. Noël était devenu un prétexte pour vendre des choses inutiles, et pourtant, cette femme semblait prête à tout risquer pour un jouet en plastique.
Le bus arriva. Vide, comme d’habitude. Vincent s’assit à l’arrière, son reflet se perdant dans les vitres embuées.
Le lendemain, la routine reprit. Contrôler les sacs, surveiller les caméras, écouter Éric se plaindre de tout et de rien.
— Tu crois qu’ils vont nous filer une prime cette année ? demanda Éric.
— T’auras déjà de la chance s’ils nous paient avant janvier, répliqua Vincent, sarcastique.
Éric éclata de rire, mais Vincent n’écoutait plus. Une silhouette familière venait d’apparaître sur l’un des écrans de surveillance. C’était elle. La jeune femme.
Elle n’était pas dans une boutique cette fois, mais assise sur un banc près de la zone des fast-foods, son sac posé à ses pieds. Elle regardait autour d’elle, nerveuse, comme si elle attendait quelqu’un.
— Tu peux garder un œil ici ? lança Vincent à Éric en se levant.
— Encore ta pause ? Bordel, t’es jamais là...
Vincent l’ignora et se dirigea vers la zone où elle se trouvait.
Il l’observa de loin pendant quelques instants. Elle semblait épuisée, ses épaules affaissées sous un manteau trop fin pour la saison. Finalement, il s’approcha.
— On se retrouve encore, dit-il d’un ton neutre.
Elle sursauta et tourna la tête vers lui. Cette fois, elle ne semblait pas effrayée, mais méfiante.
— Je suis juste là pour manger, dit-elle rapidement.
Vincent hocha la tête.
— Pas mon problème. Mais on dirait que t’as des ennuis.
Elle hésita, puis soupira.
— Si je disais non, vous me laisseriez tranquille ?
— Peut-être.
Un sourire furtif traversa son visage, mais il disparut aussitôt.
— Je ne devrais pas être ici, murmura-t-elle.
— Pourquoi ?
Elle détourna les yeux, scrutant la foule éparse autour d’eux.
— Ils surveillent.
— Qui ça, "ils" ?
Elle se leva brusquement, attrapant son sac.
— Merci pour hier. Mais restez en dehors de ça.
Avant qu’il ne puisse répondre, elle s’éloigna à grands pas, disparaissant dans l’un des couloirs latéraux.
Vincent resta planté là, une étrange sensation lui nouant l’estomac. Cette femme portait quelque chose de lourd, et il savait que cela finirait par le rattraper.
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