Chapitre 3
Trois jours avant Noël, la neige tombait en gros flocons dans la ville, mais au sol, elle se transformait en une bouillie sale, piétinée par des chaussures usées et des pneus pressés par la routine. Vincent se tenait à l’entrée du centre commercial, les mains dans les poches, regardant les gens se précipiter avec leurs sacs remplis de cadeaux inutiles.
Son esprit revenait sans cesse à cette femme. Elle semblait s’être évaporée depuis leur dernière rencontre, mais son regard hantait Vincent. Il aurait dû l’oublier, comme il oubliait tout ce qui passait devant lui. Mais quelque chose, peut-être son désespoir, s’accrochait à lui comme une ombre.
Il se souvenait encore des mots qu’elle avait murmuré avant de partir : "Ils surveillent."
Qui "ils" ? Et pourquoi semblait-elle si traquée ?
Ce soir-là, il finit son service plus tard que d’habitude. La neige s’était arrêtée, mais un vent glacial soufflait dans les rues désertes. En rentrant chez lui, Vincent passa devant une supérette ouverte 24h. La lumière criarde éclairait un petit parking où une silhouette familière se découpait sous un réverbère clignotant.
C’était elle.
Elle discutait avec un homme à l’air louche, vêtu d’un manteau noir trop grand, les mains enfoncées dans ses poches. Vincent ralentit instinctivement, se cachant derrière une voiture. La conversation semblait tendue. L’homme haussait le ton, faisant des gestes brusques, tandis qu’elle reculait légèrement, tenant fermement son sac contre elle.
Vincent sentit son cœur s’accélérer.
L’homme finit par lui jeter un regard méprisant avant de s’éloigner dans l’obscurité. Elle resta plantée là un moment, les bras croisés comme pour se protéger du froid, avant de marcher lentement en direction d’une ruelle voisine.
Vincent hésita, puis la suivit.
La ruelle était sombre, bordée de poubelles débordantes et de graffitis effacés par le temps. Elle s’était assise sur une marche en béton, la tête enfouie dans ses mains.
— Tu comptes m’expliquer ou je dois encore deviner ? lança Vincent en sortant de l’ombre.
Elle releva brusquement la tête, ses yeux brillants de surprise et de fatigue.
— Vous ?! Qu’est-ce que vous faites là ?
— Bonne question, répondit-il en s’approchant. Peut-être que je suis juste un gars qui n’aime pas voir les gens se faire malmener.
Elle détourna les yeux.
— Ce n’est pas vos affaires.
— Et si je veux que ça le devienne ?
Elle le fixa, hésitante, puis soupira profondément.
— Vous ne comprenez pas. C’est trop tard pour moi.
— Trop tard pour quoi ?
Elle resta silencieuse, jouant nerveusement avec la fermeture éclair de son sac.
— Écoutez, dit-il doucement, je ne sais pas ce qui se passe, mais vous avez clairement besoin d’aide. Et si c’est à propos de ce type…
— Ce n’est pas "juste un type", coupa-t-elle. C’est un des gars de Jano.
— Jano ?
Elle secoua la tête, comme si elle regrettait déjà d’avoir parlé.
— Laissez tomber. Vous devriez vraiment rester en dehors de ça.
Vincent sentit une frustration monter en lui.
— Et ton fils, il est censé rester en dehors de ça, lui aussi ?
Son regard se durcit immédiatement, mais il vit une larme rouler sur sa joue.
— Il n’a rien à voir avec ça, murmura-t-elle. Je fais ça pour lui.
Vincent resta silencieux un moment, pesant ses mots.
— Alors pourquoi tu ne fais pas ce qu’il faut pour t’en sortir ?
Elle éclata d’un rire amer.
— M’en sortir ? Vous croyez quoi ? Que j’ai une chance, là ? Jano me tient. Et si je fais un faux pas, il s’en prendra à mon fils.
Vincent sentit un frisson le parcourir, mais pas à cause du froid.
— Et si on trouvait une solution ?
Elle leva un sourcil, à la fois incrédule et curieuse.
— Vous seriez prêt à vous foutre dans la merde pour une inconnue ?
Il haussa les épaules.
— J’ai pas grand-chose à perdre, de toute façon.
Pour la première fois, elle esquissa un sourire, fragile mais sincère.
— Vous êtes dingue, murmura-t-elle.
— Peut-être bien, répondit-il. Mais à deux, on a peut-être une chance contre ce Jano.
Elle le regarda longuement, comme si elle cherchait à déceler la moindre trace de mensonge. Puis elle hocha lentement la tête.
— D’accord. Mais vous allez regretter d’être aussi con.
Vincent sourit, même si, au fond de lui, il savait qu’elle avait probablement raison.
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