Chapitre 19
Le chalet était calme, presque apaisant. Après des heures de préparatifs et de tension, le monde semblait s’être figé dans une bulle fragile. Le feu crépitait doucement dans la cheminée, projetant des ombres dansantes sur les murs en bois. La nuit enveloppait tout d’un silence presque surnaturel, une rare accalmie dans leur chaos quotidien.
Elsa s’était installée près de la cheminée, une couverture sur les épaules. Ses yeux fixaient les flammes, mais ses pensées étaient ailleurs. Elle savait que le lendemain pourrait bien être leur dernier jour. Elle serra la couverture autour d’elle, cherchant une chaleur qu’elle ne trouvait pas dans ses propres pensées.
Vincent, de son côté, s’occupait en inspectant une dernière fois ses armes. Le mouvement répétitif semblait le calmer, comme un rituel qui éloignait ses propres démons. Il s’assit finalement en face d’Elsa, le regard pensif.
— Tu devrais dormir, dit-il doucement.
Elsa secoua la tête, un sourire triste aux lèvres.
— Et toi, alors ? Tu ne dors jamais, Vincent.
Il haussa les épaules, un sourire en coin.
— L’habitude.
Elle le regarda, curieuse.
— Comment tu fais pour être aussi... courageux ? demanda-t-elle après un moment.
Vincent leva les yeux vers elle, surpris par la question.
— Courageux ? C’est pas comme ça que je me décrirais, répondit-il avec un léger rire.
— Pourtant, tu l’es, insista-t-elle. Tu te jettes dans le danger sans réfléchir. Moi, je tremble rien qu’en tenant une arme.
Vincent passa une main dans ses cheveux, cherchant ses mots.
— Ça n’a rien à voir avec le courage, dit-il finalement. C’est juste... quelque chose que j’ai appris.
— Appris ?
Il hocha la tête, son regard devenant lointain.
— Avant tout ça, avant les boulots pourris et les galères... j’étais dans l’armée.
Elsa redressa la tête, surprise.
— Dans l’armée ?
— Oui, répondit-il. Pendant presque dix ans. J’ai servi dans des zones qu’on préfère oublier. Des endroits où chaque jour ressemblait à ce qu’on vit maintenant : le danger constant, le besoin de rester en vie.
Elsa l’observa, fascinée.
— Pourquoi tu n’en as jamais parlé avant ?
Vincent haussa les épaules.
— Parce que ça n’a rien de glorieux. C’était pas une grande aventure. Juste de la survie. Mais... ça m’a appris à garder mon calme. À agir quand il le faut, pas avant.
Il fit une pause, jouant distraitement avec un morceau de bois.
— Et quand je suis revenu, ça n’avait plus de sens. La vie “normale”, les boulots comme surveillant dans une grande surface... c’était trop loin de tout ça.
Elsa le fixa, essayant d’imaginer cet homme qui avait traversé des champs de bataille, devenu simple employé dans une grande surface.
— Et maintenant, ça te sert, murmura-t-elle.
Vincent hocha la tête, mais son expression était sombre.
— Oui. Mais j’aurais préféré que ça ne serve jamais.
Un silence s’installa. Elsa regarda à nouveau les flammes, perdue dans ses pensées.
— Moi, j’ai toujours eu peur, avoua-t-elle soudain. Même enfant, je tremblais pour un rien. À Noël, je me cachais quand les adultes criaient, ou quand quelque chose ne se passait pas comme prévu.
Vincent haussa un sourcil.
— Noël ?
Elle sourit doucement.
— Oui. Noël était toujours chaotique chez nous. Trop de monde, trop de disputes. Mais il y avait ce moment... ce moment où tout devenait calme, quand les lumières du sapin clignotaient doucement et que la neige tombait dehors. C’était comme si, pendant une seconde, tout allait bien.
Elle se tourna vers lui, un éclat de nostalgie dans les yeux.
— Je n’ai jamais retrouvé ça, ce moment où tout semble en paix. Jusqu’à maintenant.
Vincent fronça les sourcils, surpris.
— Maintenant ?
— Oui, répondit-elle en souriant. Avec toi, ici. Même si tout va mal, même si demain on risque de mourir... je me sens en sécurité avec toi.
Vincent resta silencieux un instant, son regard plongé dans celui d’Elsa. Quelque chose dans ses paroles toucha une corde sensible en lui, une part de lui qu’il avait enfouie depuis des années.
— Tu sais, commença-t-il doucement, toi aussi tu es courageuse. Tu ne le vois peut-être pas, mais tu l’es.
Elle secoua la tête, les larmes aux yeux.
— Non, je ne suis qu’une lâche.
— Tu tiens bon, répondit-il. Malgré tout. Et ça, c’est bien plus que ce que beaucoup peuvent faire.
Leur regard s’accrocha, et pendant un instant, le reste du monde sembla disparaître. Vincent posa sa main sur celle d’Elsa, et elle ne la retira pas.
— Vincent, murmura-t-elle.
Il se rapprocha doucement, ses yeux cherchant les siens, comme pour obtenir une permission silencieuse. Puis, sans un mot de plus, leurs lèvres se touchèrent.
C’était un baiser doux, presque hésitant, mais chargé de tout ce qu’ils n’avaient jamais osé dire. Une promesse silencieuse dans l’obscurité de leur lutte.
Cette nuit-là, sous les ombres dansantes du feu, Elsa et Vincent s’abandonnèrent l’un à l’autre. Ce fut un moment de répit dans leur tempête, une lueur d’espoir avant le chaos du lendemain.
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