C’est comme ça que commencent les relations qui finissent mal.
Tout va bien, d’après ma gynéco.
— Non, tout va pas bien, Maude. Je suis enceinte.
— Le bébé va bien, si vous préférez.
Honnêtement, je sais pas si je préfère.
— Avez-vous réfléchi à vos options ?
— Je suis pas vraiment d’humeur à avoir cette discussion.
— Ah. Pourtant, la situation s’y prête. En avez-vous parlé avec votre partenaire ?
— Non. Plutôt avaler ma langue.
— Pourquoi donc ?
— J’en sais rien, c’est comme ça.
J’écourte l’entrevue. Penser à Reiner me lèse les neurones. Mon répondeur est rempli de ses murmures, mes messages de ses mots coupants. La complaisance a ses limites, même chez les superhéros. Mon silence le contrarie. Il dure depuis huit jours, si j’ai bien compté.
Le gala d’anniversaire organisé par son père est ce vendredi soir. J’ai promis à Reiner d’y être. Les principes, j’en ai peu, mais la parole, j’en ai qu’une. On ne peut pas avoir que des défauts. J’irai. Pas pour lui parler du bébé, mais j’irai. Advienne que pourra.
L’odeur de tabac froid, de poussière, de vieux cuir et d’huile de moteur m’écœure. Sept ans d’investissement dans une voiture de collection mal restaurée.
Une chanson pop sature les hautparleurs de la radio. Lily pioche dans un paquet de chips qu’elle émiette, affalée sur le siège passager, les pieds sur le tableau de bord. Elle a fait de la provocation son moyen de communication principal.
— T’as été hyper longue et il fait hyper chaud, se plaint-elle.
Je coupe la musique. Perdre sa bande son la refroidit, elle se redresse et boucle sa ceinture, ce qui m’empêchera pas de lui faire nettoyer l’intérieur de la Mustang demain.
— T’étais pas obligée de me suivre, rappelé-je.
— Y a rien à faire à la maison. T’as même pas Netflix.
— Mince alors, encore une bonne raison de rentrer chez toi.
— Si tu me rendais mon téléphone, j’arrêterais de t’embêter.
— Bien sûr que non, t’arrêterais pas. Tu serais encore là, chez moi, à râler toutes les fois que je te demande de respecter mes règles. Si la vie était juste, tu te serais retrouvée sur une aire d’autoroute glauque le soir de ta fugue, t’aurais dû claquer tout ton argent de poche dans des frais d’hôtel miteux, pour te réveiller la faim au ventre et sans une thune. Tu te serais faite pincer par la police pour vol à l’étalage d’un foutu sandwich industriel et t’aurais plus eu qu’à attendre que ta salope de mère vienne te chercher au commissariat.
Le salope était probablement de trop. Probablement pas destiné à Emma non plus. J’imagine que c’est terriblement cliché, pour une femme, d’être en conflit avec sa mère, mais c’est difficile d’être originale. Il faudrait que je sache pardonner. La rancune, c’est plus facile, ça s’entretient tout seul, pas comme l’amour. Il suffit d’un rien pour rendre un ressentiment réciproque. Bientôt, Reiner me méprisera pour l’avoir ignoré et je pourrai le mépriser en retour pour m’avoir méprisée le premier.
Lily a perdu sa langue. C’est récurrent. Elle part s’enfermer dans sa chambre dès notre retour à la maison. J’imagine que je peux aller me faire voir si j’ai besoin de son aide pour vider le coffre.
Le jour de ma rencontre avec Reiner, ma voiture était tombée en panne sur le parking du centre commercial. En superhéros qu’il est, il nous avait pris, mes courses et moi, dans sa voiture à lui. Sur le trajet, il avait peu parlé, mais il avait ri. Ce qui me rappelle que j’aime son rire.
Le soir même, on dormait ensemble, comme dirait ma meilleure nièce. J’étais persuadée que c’était pour un soir. Jusqu’au soir suivant. Celui d’après. Celui d’encore après. C’était il y a un an. Quand j’y pense, j’aurais dû me faire livrer.
— Bonjour.
Je me retourne maladroitement, encombrée par mes sacs. Un homme se tient près de la haie, grand, presque blond, plutôt jeune ; l’âge de Winona, peut-être. Je ne le connais pas, mais quelque chose chez lui me rappelle quelqu’un.
— Est-ce que Lily est ici ? demande-t-il.
— Et vous êtes ?
— Gabriel. Je peux la voir ?
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