2.2 - Des ronds, des croix

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Snow fronça les sourcils. Que pouvait-elle bien avoir en tête ? Redoutant le pire, l'adolescente glissa mollement les jambes sur le côté afin de s'asseoir sur le rebord. Elle ne détachait pas le regard de Red, qui s'activait autour du bureau. Plongée dans la pile d'objets insolites qui s'amoncelaient sur le petit meuble, elle finit par débusquer un morceau de papier froissé et deux crayons. Elle revint alors s'accroupir devant Snow, déposa la feuille sur le matelas et entreprit d'y tracer un quadrillage. Elle lui tendit l'autre crayon :

— Tu sais jouer au morpion ? J’aime corser un peu la partie. Disons que la première qui aligne quatre symboles remporte la partie. Si tu gagnes, je te laisse continuer à mener ta vie végétative. Je te laisse agoniser sur place, si c'est là ton désir. Si je gagne, par contre, tu quitteras ton lit. Tu sortiras, dehors, avec moi, pour mettre un plan à exécution. Je ne te demande pas si le deal te convient ; je ne te laisse pas le choix.

Snow ne pouvait pas l'en blâmer ; elle était seule fautive. Elle avait accepté ce pacte, elle devait beaucoup à Red. Pourtant, rester recluse dans l'ombre lui convenait mille fois mieux que d'affronter la réalité en face. Elle était lâche et égoïste. Elle le savait. Mais si au moins elle remportait la partie, cela légitimerait peut-être son comportement. Déjà, Red cesserait d'insister pour la traîner en ville.

— D'accord, convint Snow. Mais ne te plains pas si je gagne.

— Ne t'en fais pas, je ne permettrais pas que ça arrive !

Red signa son assurance d'un clin d’œil malicieux. Qu'est-ce que cela signifiait ? Snow décida de rester sur ses gardes, au cas où son adversaire aurait en tête une quelconque tricherie ; un astucieux coup de bluff, quoi que ce fût qui pût la duper. Snow n'avait pas l'intention de se laisser avoir.

— Je prends les ronds et toi les croix, ça marche ?

La brune réfléchit un instant avant d’acquiescer. Le symbole ne semblait pas vraiment importer dans l'issue de la partie. Red pouvait bien prendre celui qu'elle voulait !

— Tu veux commencer ? demanda cette dernière.

Une question piège ? Si Snow acceptait de jouer la première, son adversaire pourrait aisément construire sa stratégie en fonction de cette action initiale. Cependant, si elle refusait, elle lui laissait un tour d'avance.

— On peut décider ça au pierre-feuille-ciseau, si tu hésites trop ! On ne va quand même pas y passer la journée !

Snow hocha la tête. Ça semblait être la meilleure alternative : laisser le hasard décider lui-même de cela. Simultanément, les deux jeunes filles cachèrent une main dans leur dos. Elles comptèrent en chœur jusqu'à trois avant de tendre le bras. Red écarta les doigts en ciseaux. La pierre de Snow eut tôt fait de l'écraser.

— À toi l'honneur, chantonna la perdante. Ton choix était assez prévisible, quand on y songe. Tu es aussi renfermée sur toi-même et difficile à percer qu'un caillou !

Cette remarque affola Snow. Red avait-elle perdu volontairement ? La partie était-elle bel et bien truquée ? C'était trop tard désormais. Il lui fallait placer le premier symbole. Elle ne pouvait pas se tromper. Jugeant cela le plus sûr, la brune plaça sa première croix au centre de la grille. Red réagit immédiatement et leurs actions s'enchaînèrent à une vitesse folle. Chaque fois que Snow entrevoyait de la victoire, la rousse ingénieuse venait contrer son alignement et l'obligeait à repenser sa riposte. Celle-ci, à force d'éparpiller ses cercles de part et d'autre de la grille, commençait de son côté à dessiner bon nombre d'opportunités. Snow fut bientôt contrainte de se replier dans une tactique défensive. Les rôles subitement inversés, voilà qu'elle luttait contre les attaques répétées de Red, obligée de renoncer aux meilleurs emplacements.

Le nombre de cases vides sur la grille diminuait à vue d’œil, tandis que la tension dans la chambre avait atteint son comble. Jamais une partie de morpion n'avait été aussi épique ! Pourtant, Red semblait sereine et parfaitement sûre d'elle. De quoi déconcerter. Voyant ses chances de remporter le jeu faiblir, Snow résolut d'aligner trois croix à un endroit qui lui parut opportun. Red n'essaya même pas de contre-attaquer. Elle traça lentement un nouveau cercle à l'autre bout du plateau et, d'un trait assuré, le barra, ainsi que les trois autres qui se trouvaient dans son sillage.

— Tu as baissé ta garde trop tôt, décréta la gagnante. Dommage. Cette partie devenait franchement intéressante.

Snow n'avait pas le cœur de lui répondre. Elle s'en voulait de s'être laissée prendre de court et de lui avoir quasiment offert la victoire. Cela dit, il fallait bien le reconnaître, Red constituait une adversaire redoutable. L'orpheline ne savait d'ailleurs dire si elle mourait d'envie de savoir ce qui se déroulait dans sa tête lorsqu'elle élaborait son plan d'attaque, ou si cela l'effrayait par avance. La rousse semblait ne rien laisser au hasard dans sa façon d'agir. Comment une personne aussi méticuleuse avait-elle pu échouer à commettre le crime parfait ? Comment le meurtre de Byron Wolf avait-il pu être mis à jour si aisément, alors même que nul n'était capable de mettre la main sur le corps de Queen ? Snow n'osait pas poser la question une fois pour toutes.

— Bon, maintenant que j'ai gagné, lança son hôte en se redressant, on pourrait peut-être se mettre au travail !

— Tout de suite ? rechigna Snow.

— Le temps presse. Je ne sais pas si tu es au courant, mais nous sommes déjà le treize février.

— Et alors ?

— La Saint-Valentin, ça te dit quelque chose ? C'est demain. Ça ne signifie peut-être rien pour toi. Pour moi non plus, d'ailleurs. Une fête de l'amour, ça paraît franchement niais, surtout dans une ville où chaque sentiment ne semble être qu'un vulgaire masque. Mais à Hartland, les gens raffolent de ces futilités rose bonbon. Ils espèrent toujours qu'une fête leur remontera le moral. Pourtant, même si tous se voilent la face, c'est aussi le jour idéal pour qu'une malédiction s'abatte. Aucun jour n'est rose à Hartland, surtout pas ceux durant lesquels on aspire à la douceur et au réconfort.

Snow demeura muette un instant, à considérer sceptique son interlocutrice.

— Qu'est-ce qui se passera, demain ? demanda-t-elle.

— C'est précisément ce qu'on doit découvrir. Je ne veux pas attendre un nouveau bain de sang pour connaître le dessein de notre ennemi commun !

Snow approuva d'un hochement de tête. Juste le temps de ravaler son égoïsme. Elle ne pouvait pas continuer de s'apitoyer sur son sort en ignorant la menace qui planait sur la petite ville. Personne ne voulait ouvrir les yeux. Personne d'autre ne se lèverait pour mettre un terme à la série de drames qui empoisonnait le quotidien de quelques centaines individus. Seule Red et elle savaient qu'il ne s'agissait pas du simple fruit du hasard. Si elles ne cherchaient pas à comprendre ce qui, tapi dans l'ombre, tirait les ficelles d'Hartland, alors personne ici ne connaîtrait jamais la paix, aucune des victimes de cette prétendue malédiction ne serait jamais vengée et elles-mêmes demeureraient hantées par des questions sans réponse.

Snow se leva d'un bond et, en une fraction de seconde, se tint debout devant Red.

— Sortons, la pressa-t-elle. Je veux mettre un terme à tout ça, et le plus vite sera le mieux !

La jeune fille s'apprêtait à passer la porte de la chambre d'un bon pas, lorsque l'autre lui retint le poignet. Elle se retourna et l'interrogea du regard. Red replia sa main et esquissa un sourire amusé.

— Snow, dis-moi que tu n'étais pas sur le point de sortir en chemise de nuit !

L'adolescente baissa les yeux sur ses vêtements. La gêne prit aussitôt le dessus, ses pommettes rougies et ses lèvres pincées.

— Bien sûr que non, mentit-elle. Je m'avançais juste un peu, comme ça...

Les pupilles levées de la rousse en disaient long : elle n'en croyait pas un mot. Pour autant, Snow refusa obstinément de reconnaître sa négligence. Tout en enfilant ses vêtements, elle persista à dresser une liste de justifications, toutes moins crédibles les unes que les autres, sous un regard de braises de plus en plus hilare.

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