1.3 - Candeur

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Même enveloppée dans son manteau, un vêtement gris à la capuche bordée de plumes synthétiques douces comme du duvet, Snow ne pouvait s'empêcher de claquer des dents. Elle avait enfoui ses mains au fond de ses poches molletonnées et enroulé autour de son cou une grosse écharpe en laine. Elle avançait, tête baissée face à la neige tombante, en direction du fond de l'impasse. Au bout, elle avait repéré une étrange sculpture. En s'approchant, elle constata que ce n'était rien de plus qu'une vaste aire de jeu. Il y avait là une cabane en bois, à laquelle on accédait par une échelle, ou par un mur d'escalade, et d'où jaillissait le tube d'un toboggan. Raccrochée à la structure, une armature de fer soutenait deux balançoires. Machinalement, Snow prit place sur l'une d'elles, s'agrippa aux deux chaînes de suspension et commença à dodeliner. Elle se revoyait petite fille, une après-midi où son père l'avait emmenée au parc et avait poussé sa balancelle de plus en plus haut. Elle se rappelait avoir ri, en prenant de la hauteur, alors que d'autres fillettes auraient hurlé de peur, parce qu'elle savait que son père ne l'aurait jamais laissée tomber. Elle savait qu'il aurait toujours été derrière pour la rattraper, pour la protéger. Aujourd'hui, en oscillant faiblement, elle avait peur de vaciller, consciente que rien d'autre que la neige glacée n'amortirait sa chute.

Soudain, alors que son regard se perdait dans la contemplation des toits poudrés d'Hartland, Snow eut la désagréable sensation qu'on l'épiait. Elle posa un pied au sol, freinant ainsi la balançoire, et leva les yeux sur la cabane. Il lui fallut les plisser pour parvenir à entrevoir quelque chose à travers la pluie dense des flocons. Mais, en effet, entre deux planches de bois, elle finit par distinguer deux yeux tout grands ouverts dont les iris, d'un bleu éclatant, rappelaient la couleur d'un lagon gelé. Les deux pupilles rondes semblaient figées au centre, braquées sur l'adolescente. Cependant, lorsque celle-ci plongea son regard dans celui de l'espion, ce dernier eut un mouvement de recul et se retira dans la cabane. Snow bondit de la balançoire.

— Qui es-tu ? cria-t-elle. Sors de là, je t'ai vu !

Aussitôt, des secousses ébranlèrent le toboggan, à mesure qu'un corps glissait : le tissu rêche des vêtements et les semelles frottaient contre la paroi métallique, provoquant un bruit rauque presque sinistre. Une paire de bottes bleues en émergea et bientôt une fillette se tint debout devant Snow. Elle était de petite taille et de maigre corpulence. Seuls des bas blancs couvraient ses jambes chétives, lesquelles tremblotaient, les genoux entrechoqués. La gamine portait une robe courte dont l'imprimé bleu faisait écho à ses chaussures. Elle n'avait pour manteau qu'une longue cape blanche dont le dos était cousu d'un énorme as de pique, nouée autour du cou par une solide épingle. Elle avait encore le visage doux d'une enfant, avec ses joues rondes et ses traits fins. Ses lèvres d'une belle teinte rose s’étiraient avec malice. Ses grands yeux bleus débordaient d'innocence. Elle avait un petit nez en trompette, absolument adorable, et cerise sur le gâteau, d'élégantes boucles blondes qui tombaient comme des cascades, encadrant précieusement ce délicieux visage.

La fillette décrocha son plus grand sourire et se présenta avec enthousiasme :

— Je m'appelle Alice Marvell. J'habite juste en face.

Cette gamine n'était vraiment pas farouche, songea Snow. Alice la pointa du doigt :

— Toi, tu es nouvelle en ville. Dis, c'est quoi ton nom ?

— Snow.

Alice fit un tour sur elle-même, le nez en l'air, ouvrant la bouche pour avaler les flocons.

— C'est joli, Snow, décréta-t-elle. Tu vis avec Queen, pas vrai ?

— Oui, Queen est ma belle-mère. Tu la connais, à ce que je vois.

La fillette hocha la tête.

— C'était déjà ma voisine avant. Je me demande pourquoi elle est revenue.

— Moi aussi, soupira l'adolescente.

— Si je l'apprends, je te le dirai, c'est promis.

Snow dévisagea la petite. Comment pourrait-elle être mise au courant des raisons qui avaient fait revenir Queen à Hartland ? Alice éclata de rire devant sa moue incrédule.

— Parce que je sais tout, assura-t-elle. Je suis les yeux et les oreilles de cette ville !

— Comment ça ?

— De drôles d’amis me rendent visite dans mes rêves, et ils me révèlent tout ce qu'il y a à savoir. Je sais tout ce que tout le monde ignore, ici. Je sais tout sur tout le monde.

Un violent frisson tordit l'échine de Snow. Elle ignorait s'il était dû au froid ou à l'idée monstrueuse d'une telle omniscience. Elle s'apprêtait à demander plus amples informations à la fillette, lorsque la porte de la maison voisine s'ouvrit dans l'impasse et qu'une femme sur le perron appela cette dernière. Alice se sauva, avec pour seul au-revoir un signe de la main.

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