Pas plus d'un
- Maman, maman ! Regarde, j’ai fait un dessin de toi ! Il est joli non ?
J’ai à peine le temps de cacher le test de grossesse dans le placard et de de me retourner que Victor est déjà dans l’encadrement de la porte de la salle de bain. Il me regard, tout sourire, et en me tend son dessin. Ses petites bouclettes blondes commencent à s’estomper. Je le remarque au fur et à mesure qu’il grandit.
- Un dessin de moi, c’est vrai ? Montre-moi un peu ça que je puisse juger tes talents d’artistes, je lui réponds en lui rendant son sourire et prenant la feuille sur laquelle il m’a dessinée.
J’observe son oeuvre attentivement tandis qu’il me regarde, impatient et un tantinet anxieux, dans l’attente de mon opinion.
Il a du talent. Et je ne dis pas ça parce que je suis sa mère, pas du tout. Mis à part la peau jaune canari, les cheveux en bataille et les bras qui touchent presque le sol, la ressemblance est bien là.
- Et bien, ton dessin est magnifique. Bravo ! Je peux le garder ?
- Oui, oui, c’est pour toi !
- Pourquoi tu ne dessinerais pas papa maintenant ? Il va être jaloux que tu m’ais dessinée moi et pas lui.
Les yeux de mon fils s’illuminent. Voir la vie et l’énergie l’habiter de la sorte me redonne du baume au coeur. Sans prendre la peine de me répondre, il file vers en direction de la cuisine où son père est en train de préparer le souper.
Je suis de nouveau seule. Cette fois, je prends garde à fermer la porte de la salle de bain pour éviter d’être dérangée. J’ouvre le placard et récupère le test de grossesse en espérant que le résultat que j’ai vu indiqué dessus quelques secondes auparavant ait, par un quelconque miracle, pu changer. Evidemment, le résultat est le même : positif. Je m’adosse contre le mur dans un soupir.
- Et merde…
Maintenant, je vais devoir prévenir Guillaume. Sachant tous les deux très bien ce qui allait se passer si je tombais enceinte une seconde fois, on aurait dû faire plus attention.
Ce n’est pas que je ne veux pas de ce bébé. Loin de là. Je rêverais que Victor puisse avoir un petit frère ou une petite sœur avec lequel il pourrait grandir et s’amuser. Mais nous ne pouvons pas. C’est interdit.
Il y a aujourd’hui plus de dix ans, une loi est entrée en vigueur afin de palier la montée en flèche du nombre d’humains sur terre. Cette loi interdit à tous les couples d’avoir plus d’un seul enfant. Cette loi, c’est la politique de l’enfant unique étendue au monde entier.
Le jour où cette nouvelle règle est entrée en vigueur, j’avais 14 ans. Alors qu’une bonne majorité de la population mondiale s’indignait et manifestait dans les rues, la plupart des jeunes de ma génération était d’avis que faire baisser le taux de natalité de la sorte permettrait dans une certaine mesure de préserver la planète. A l’époque, j’étais également de cet avis. Pleine d’idéaux écologiques et préventifs. Mais aujourd’hui, maintenant que cette loi me concerne directement, mon opinion a changé. L’idée de devoir renoncer à cet être qui est déjà en plein développement dans mon ventre me rend malade.
Il y a deux ans, une de mes amies est tombée enceinte alors que son mari et elle avaient déjà une petite fille de 6 ans. Ils n’ont pas pu garder leur bébé et ont vécu cette épreuve avec beaucoup de difficultés.
J’ai été présente pour soutenir cette amie à l’époque et je me souviens m’être dit que j’allais tout faire pour éviter que cela m’arrive. Que ça nous arrive, à moi et à mon mari.
Nous avons toujours été prudents mais il a suffi d’une fois, d’une seule et unique fois où nous avons fait l’amour sans prendre toutes les précautions nécessaires pour que cela finisse par nous tomber dessus. Maintenant, nous allons devoir en subir les conséquences. Je me sens totalement désemparée.
Soudain, on toque à la porte de la salle de bain. La voix de Guillaume me parvient de derrière la porte.
- Chérie, tu es là-dedans ? Le dîner est prêt !
- Oui, oui j’arrive tout de suite !
Je me lève et prends une grande inspiration. La soirée s’annonce joyeuse.
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