En arrivant à DCK, je me rue littéralement dans les toilettes du sixième étage.

Encore sous la colère de la scène au restaurant, je prends le temps de me regarder dans le miroir. Le reflet n'est pas très reluisant. J'ai bien conscience de mes atouts, mais je ne suis pas parfaite. Mon corps a tellement changé en quelques années, que j'ai moi-même du mal à me reconnaître sur les photos.

Alors pourquoi espérer qu'il le fasse  ? Dix ans après, je désirais, plus que je ne voulais l'admettre provoquer encore quelque chose chez Riley Kingsrock, alors que c'est un coureur de jupons invétéré au physique plus qu'avantageux. Je constate que ses goûts en matière de femmes n'ont pas vraiment changé.

À l'époque, j'étais mince, plus encore qu'Annabelle. Des bruits de talons retentissent dans mon dos. Je ne sais pour quelle raison, je me faufile de panique dans un des Wc et tend l'oreille en contrôlant ma respiration, comme le ferait l'adolescente sans amis en quête de cancans pour s'intégrer.

— Alors Anna, tu as déjeuné avec monsieur King ?

— Oui, mais il y avait une pouilleuse avec nous.

Prise de soubresaut, je crains que les battements de mon cœur ne s'entendent derrière la fine paroi me séparant de ces garces.

Une pouilleuse ? Elle ne manque pas d'air celle-là !

— Cela dit ça ne lui a pas empêché de prendre un dessert, si tu vois ce que je veux dire. Ma poitrine se serre, je n'aime pas l'entendre parler de ses rapports avec Riley, sachant que je suis déjà passé à la casserole depuis longtemps.

— Oh ça y est ? Vous avez...

— Non... Je dois dire que ça me déçoit, il est si sauvage et passionné quand il est avec moi. Mais il ne me baise pas. Enfin pas encore. Je pense qu'avec la collection lingerie à venir, il ne résistera plus très longtemps.

— Ah oui c'est vrai, cette Gross... Machin chose ! J'ai vu ses modèles, ils sont excellents.

— Oui très, mais quand tu verras la fille qui créée ces merveilles, tu seras déçue ma pauvre. Tant mieux pour moi, au moins Kingsrock ne s'occupera pas d'elle. Et une de moins à affronter !

— Aha, tu as de la chance que je me sois retirée du jeu, Anna.

— Je t'en prie Frida, je t'adore tu le sais, mais tu n'es pas franchement son type. Tu fais quoi du trente-huit non ?

La méchanceté d'Anna n'ayant visiblement aucune limite, un long silence s'ensuivit. Je n'ai pas besoin d'être un génie pour comprendre que la pauvre Frida semble vexée. Moi aussi d'ailleurs, avec mon quarante.

— Bon allez, laissons cette Kira se rendre ridicule avec le patron, je sens que je vais bien rigoler.

Ma vieille, tu ne paies rien pour attendre !

Les deux pimbêches quittent enfin, les toilettes en gloussant suite à leur ravalement de façade. Et, c'est requinquée que je sors de ma cachette.

Merci Annabelle, grâce à toi, j'ai retrouvé toute mon audace.

L'œil déterminé, j'achève un ultime coup de crayon pour accentuer mon regard et me préparer à affronter Riley.

Arrivée devant sa porte de bureau, je n'ai plus peur. Je tourne une ultime fois la tête vers le bureau d'Annabelle. La harpie est déjà en place prête à me lancer des cacahuètes, à travers la porte de service semi-ouverte donnant sur le bureau de Kingsrock.

Son visage glacial me lance un sourire faux, mais après ce que je viens d'entendre, je ne me fais aucune illusion. Je lui retourne un sourire sans dents accompagné d'un clin d'œil mal venu. Et oui, je lui rappelle amicalement que je l'ai vue débraillée avec le PDG qui ne la baise pas, au restaurant et qu'elle ne m'effraie pas le moins du monde.

De nouveau je me concentre en fixant la porte qui porte l'écriteau "PDG Dress Code King Ent". J'expire un grand coup, pleine d'assurance.

Mais je ne m'étais pas préparée à ce que j'allais voir là-dedans...