Je suis confuse. Secouant la tête dans tous les sens, j'essaie désespérément de retrouver une vue correcte et stable. J'essaie de fixer l'homme allongé à mes côtés, mais il ne m'en laisse pas le temps. Riley se relève aussitôt sur ses pieds et se jette au cou de Carl.

Je me redresse trop vite, une violente douleur à la tête m'assaille. Je grimace. Ma main tamponne délicatement mon front, et une traînée de sang macule ma main.

— Espèce de connard, tu m'as frappé alors qu'elle était devant moi.

Carl ne répond pas. Il rugit presque comme un animal en furie avec la soif de tuer. Pourtant, je ne sais pas en cet instant lequel est le plus dangereux. Je n'avais jamais vu Riley, ni Carl comme cela auparavant. Les coups s'enchaînent, et le son des os et des muscles martyrisés me donne la nausée. Le corps de Riley se fracasse littéralement contre le rebord de mon bureau.

Tous les bibelots s'y trouvant se déplacent de plusieurs centimètres. Mon pot de crayon tombe lamentablement sur le sol ainsi que mon portable. Au même moment, Alyssa arrive en courant vers moi comme jamais.

— Mais, mais, mais qu'est-ce qui se passe.

— Appelle la sécurité, vocifére-je paniquée.

Tout se passe très vite. Un ouragan anime mon bureau. Riley n'a rien perdu de sa droite légendaire, mais Carl, je dois bien l'avouer se défend ardemment et prend presque l'avantage. La porte est grande ouverte et tout l'étage assiste en direct live au spectacle affligeant que nous offre notre patron.

Tout ceci est ma faute ? Avant mon arrivée ici, King ne se comportait pas aussi mal. Je sème le trouble dans l'entreprise... Moi qui étais arrivée a DCK remplie d'espoir et de rêves...

Mark de la confection parvient à traverser la foule qui s'amasse très vite derrière l'ouverture étroite et commence à ressembler à l'assistance d'un combat de rue. Cependant, personne n'ose intervenir. Les deux lions s'essoufflent. Du sang gicle du nez de Carl qui semble insensible à la moindre douleur.

— Kira ? Kira ? KIRA...

Mark hurle presque mon nom en me secouant les bras alors que je suis assise aux premières loges de ce massacre. Derrière les épaisses lunettes noires de mon ami, j'arrive à détecter de l'inquiétude et de la peur. Ma vue commence à se brouiller de sang et me ramène dans la dure réalité de l'instant.

Ignorant Mark, je me lève et n'écoute pas la douleur lancinante que mon cerveau envoie à une grande partie de mon corps. Profitant de l'avantage de Riley, je m'interpose une seconde fois et prend une violente gifle au passage.

Il a bien failli me dévisser ma tête.

Sous le coup, je tombe à genou. Le cri implorant de Mark me garde sur terre et je croise les yeux éberlués de Riley qui se jette à mes pieds pour m'empêcher de m'étaler une dernière fois sur le sol. Carl ne bouge plus. Les poings serrés, il laisse son corps se fracasser sous son poids pour me faire face.

— Kira, je... Je ne voulais pas.

Sa main tremblante et ensanglantée tente une approche mais j'ai assez de force pour m'en détourner.

— C'est fini Carl. Tu vas te laisser faire maintenant.

Deux gros Men in Black entrent en trombe dans le bureau et attrapent sans réfléchir les épaules de Carl pour le redresser.

— Mettez-moi ce chien dehors, ordonne Riley d'un voix plus qu'autoritaire, les dents serrées.

Je fais signe de la main aux deux hommes pour me laisser le temps d'en placer une.

— Carl, c'était la dernière fois. Je ne veux plus jamais te revoir, ni ici, ni ailleurs. Tu ne m'appelles plus, tu ne viens plus et tu en oublies jusqu'à mon prénom... Sinon je porte plainte contre toi pour harcèlement doublé de coups et blessures.

Les yeux tristes de Carl ne m'atteignent même plus. Je sais qu'il regrette son geste, mais cette fois, il est allé beaucoup trop loin. Jamais auparavant, il ne m'avait frappé. Je n'arrive pas à déterminer si c'est par colère ou par douleur, mais Carl nous offre une grimace grotesque avant de quitter le bureau traîné par les deux molosses. Alyssa arrive au galop et bouscule Mark par inadvertance. Sans même s'excuser, elle chuchote sans trop de discrétion à Riley, quelque chose qui ne m'échappe pas de par ma proximité.

— Monsieur Kingsrock, quelqu'un a prévenu la presse, ils arrivent.

Aussitôt, King se montre professionnel et se redresse en toussotant avant de durcir son visage en balançant ses ordres par-dessus la tête de la petite Alyssa qui acquiesce à la sainte parole. Tous opinent, et murmurent quelques mots insondables entre eux. Mais, les échos rapides de talons clapotant sur le sol de l'accueil ne nous annonce rien de bon.

— Riley chéri, tu...

Les yeux écarquillés, Annabelle se fige sur place oubliant même d'en terminer sa phrase. Une petite veine commence à poindre sur sa tempe, mais Riley la coupe tout de suite avant que la bouilloire n'explose.

— Pas maintenant Anna. Je te laisse les rennes pour la soirée. Gère-moi ce bordel !

Il ne lui laisse pas le temps de rétorquer que son attention se concentre aussitôt sur moi, traînant toujours sur le sol. Galamment, King me tend une main ferme pour m'aider à me redresser. Chose que je parviens à faire au bout de deux reprises.

Sentant mon corps se dérober, Riley m'attire vers lui et me soulève tel un poids plume dans ses bras. La bouche d'Annabelle s'ouvre en grand et j'avoue que même si je viens de vivre un moment effrayant, quelque part au fond de moi, je jubile de la voir ainsi.

— Alyssa, la trousse de soin, je vous prie.

— Bien monsieur.

Puis, virevoltant dans les bras de mon sauveur, King contourne Annabelle, la laissant là, stoïque, perdue au milieu du champ de bataille. À peine sortis du bureau que je vois Mark s'y affairer avec des balais, un seau et des sacs-poubelles.

La presse arrive, il faut absolument nettoyer ce merdier.

Riley reste silencieux et solennel alors que les portes de l'ascenseur se referment sur nous...