Chapitre 89 - Jeffrey
Depuis le départ de Monsieur Kingsrock de la galerie, mon cerveau est en ébullition. J’ai l’impression d’être en plein milieu d’un mauvais rêve. Faites que quelqu'un vienne me tirer de là !
Très exactement vingt minutes plus tard, un homme massif franchit les portes vitrées de l’entrée, vêtu d’une veste souple et d’un jean foncé. Cet étrange personnage intrigue Sharon qui a du mal à aligner deux mots face à lui.
Je mets un moment à le réaliser, mais lorsque ce dernier porte sa main à son visage, des images passées viennent ressurgir dans mon cerveau embrouillé. Riley se faisait emmener par un homme de sa trempe lorsque nous étions au lycée. Déjà fort impressionnant à l’époque, l’homme tatoué sur sa main droite effrayait pas mal de monde. Y compris moi.
Encore aujourd’hui, lorsque ce même homme un peu plus âgé maintenant, avance vers moi, l’air penaud, je me sens mal à l’aise et un frisson me parcourt l’échine au son de sa voix chaude et profonde.
— Mademoiselle Crossley. Je me présente, je suis Jeffrey. Chauffeur de Monsieur Kingsrock.
Sa déclaration fait écho dans mon âme. Déjà à l’époque, ce géant s’était annoncé à moi de la même manière lorsque Riley m’avait conduite chez lui. Je me mordille la lèvre, un peu perdue, et tente de feinter l’ennemi en jouant la carte de l’humour pour détendre l’atmosphère, soudainement pesante depuis son arrivée.
— Bonjour Jeffrey. Vous avez troqué vos costumes cintrés pour des tenues plus frivoles, à ce que je vois !
Jeffrey s’arrête net et se contemple des pieds à son buste avant de se justifier, gêné.
— Avec tous les journalistes rôdant au manoir, Monsieur Kingsrock m’a demandé de paraître un peu plus ... passe-partout.
Je ne peux réprimer un petit rire nerveux devant ce gros nounours, visiblement intimidé à son tour.
— Je comprends, mais je peux vous donner un conseil. Vous vous fonderez davantage dans le paysage en retirant les étiquettes du pressing avant d’enfiler les vêtements.
L’homme fronce des sourcils et ne semble pas comprendre où je veux en venir. Aussi, je me risque à me rapprocher en montant sur la pointe de mes pieds pour atteindre le morceau de papier pendouillant en dessous de son col.
— Bien, hum... Merci. Ne perdons pas plus de temps. Avez-vous une idée de l’endroit où peut se trouver Monsieur Riley ?
— Oui, j’en ai bien une. Mais voyons ça dans la voiture, avant que mon amie Sharon ne tombe dans les pommes à force de vous reluquer en retenant sa respiration.
Intrigué, Jeffrey lève un sourcil sur son front mate, et jette un léger regard sur le côté. Je ne mentais pas. Sharon est en pleine session de «reluking », un filet de bave sur sa jolie bouche.
Lorsque leurs yeux se croisent enfin, mon amie sursaute et s’empresse de remettre en place des flyers déjà parfaitement rangés à quelques centimètres de leur place initiale.
La pauvre est piquée au vif cette fois !
Il faut dire que Jeffrey est tout à fait son genre. Légèrement plus vieux qu’elle. Grand, musclé, baraqué, métisse. Et ce qui n’est pas à omettre : doté d’un charme indéniable sous ses airs de King Kong en colère.
Quand tout cela sera terminé, je pense qu’il faudra faire en sorte que ces deux-là fassent un peu plus ample connaissance.
Qui sait ? Sharon pourrait peut-être devenir sa Ann Darrow ! Sans le côté tragique à la fin...cela va sans dire !
Je me permets d’observer ses mains, le temps que son attention soit occupé par la pétillante Sharon.
Pas d’alliance ! C’est bon signe.
Surtout que, je n’imagine pas vraiment Jeffrey en expert coureur de jupons. Ce serait vraiment parfait pour mon amie qui se voit collectionner les pires toquards ... queutards de la planète depuis plusieurs années.
Je salue Sharon d'un signe de tête et nous nous dirigeons sans plus tarder vers une petite citadine grise. J’observe ahurie Jeffrey, monter non sans mal, dans cette minuscule voiture à côté de lui et m’installe à mon tour sur le siège passager.
— Bien, maintenant, où allons-nous Mademoiselle ?
— DCK... Premièr étage...
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