Chapitre 5

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La petite fée marcha droit devant elle, portée par une certitude profonde ; celle de retrouver prochainement son identité et son peuple. Elle savait désormais que les Esprits l’encourageaient et la protégeaient.

Elle atteignit la lisière d’une forêt, inspira un bon coup pour chasser ses peurs naissantes et y pénétra. Plus elle s’enfonçait dans ces bois, plus les arbres paraissaient grands et anciens et cachaient parfois la lumière du jour. Elle décida d’arrêter son périple pour se reposer et se désaltérer à une source.

La jeune fille eut bien du mal à fermer l’œil car elle se sentait observée. Une nuée d’oiseaux s’envola soudainement dans un bruit effrayant. Elle se releva d’un coup sec, son cœur battant à tout rompre, et entreprit d’observer son environnement.

Elle était seule. Et pourtant, elle avait toujours ce sentiment d’être épiée. Elle se remit alors à marcher tout en restant consciente à chaque instant. C’est de cette façon qu’elle aperçut, auprès d’un tronc d’arbre, à moitié enfoui sous terre, un long morceau de bois blanc vidé et taillé divinement avec quelques trous dedans. Intriguée, elle l’approcha de son visage et repéra une petite ouverture en forme de bec sur un des côtés. Elle souffla dedans par curiosité et un son doux et aigu en sortit. L’objet se mit à scintiller puis les mains de la petite fée devinrent alors incontrôlables et se mirent à jouer une mélodie envoûtante dont elle n’avait aucune connaissance.

Un craquement puissant se fit entendre dans les profondeurs de la terre.

Puis quelqu’un se précipita subitement sur la petite fée et lui arracha l’objet qu’elle tenait en hurlant :

— NON !

Choquée, la petite fée s’était figée devant cette personne, ailée tout comme elle !

— Malheureuse ! Qu’as-tu fait !? Se lamentait cet être.
— Je... J’ai juste soufflé dans ce joli bout de bois et après impossible de m’arrêter, je ne comprends pas ! Mais qui es-tu donc ?
— Nalaïs, je suis une fée des bois. Mais, envolons-nous sur-le-champ ! Je crois que tu as réveillé une créature ancienne qu’il aurait mieux valu ne jamais ramener dans ce monde, à cause de cette flûte ! Si elle nous trouve nous sommes perdues ! Nous devons prévenir le Conseil des Anciens.

Nalaïs lui prit la main et tenta de s’envoler mais le petit être était une trop lourde charge et elle dut abandonner.

— Mais sers-toi donc de tes ailes ! Nous devons fuir tout de suite !
— Je suis désolée, je n’ai jamais appris à m’en servir, avoua la petite fée, penaude. Mais tu peux partir toi, laisse-moi donc ici.
— Je pourrais oui ! Tu le mériterais bien, mais je suis une gentille fée et je ne te laisserai pas mourir... Ou pire, si ce qu’on raconte dans nos légendes est vrai !

Et elle siffla. Un petit animal doré apparut. Elles grimpèrent sur son dos et partirent à toute vitesse. La petite fée concentrait son regard sur sa « nouvelle amie ». C’était une fée ! Comme elle, avec des ailes. Elle pourrait enfin être heureuse avec les siens, pensa-t-elle innocemment avec un grand sourire intérieur.

Loin derrière elles, la terre grondait, craquait et libérait une créature aussi ancienne que dévastatrice.

Elles arrivèrent bientôt au milieu d’une clairière peuplée de fleurs aux milles-et-une couleurs.

— Féérique, s’extasia la petite fée.

— Attends de voir mon village, ajouta Nalaïs, une pointe de fierté dans la voix.

Celle-ci murmura une série de mots dans un langage inconnu de la jeune fée et la clairière disparut derrière un mince voile pour révéler un nouveau monde vivant et fascinant.

Tous ses sens devinrent comme amplifiés : devant ses yeux, des fleurs et des arbres multicolores et lumineux servaient d’habitations aux nombreuses fées présentes. Un parfum enivrant se dégageait de tant d’enchantements. Et surtout, chaque être semblait émettre un chant propre à chacun de l’intérieur d’eux-mêmes mais qui créait une harmonie et une unité totales entre eux.

— Fascinant ! Je n’ai jamais vu pareil endroit sur Terre.

La petite fée tourna son regard émerveillé vers Nalaïs mais, la voyant si inquiète, se referma aussitôt. Elle se dit qu’elle avait certainement fait une grosse bêtise.
Toute la communauté fixait maintenant la nouvelle venue, étrangère et pourtant si semblable à eux. Gênée, elle ne savait que faire. Nalaïs l’entraîna, sans dire mot, dans le creux du plus bel arbre de la clairière, empli de cristaux qui luisaient subtilement.

Un être de cristal vert apparut devant elles. La petite fée fut tellement surprise par son apparence qu’elle ne put s’empêcher de lâcher un petit cri.

— Je vous salue, Maître du cristal. Je suis navrée de vous déranger mais j’apporte de funestes nouvelles pour notre peuple et cette Terre.

Une voix étrange résonna du Maître de cristal :

— J’ai entendu l’écho relayé par la terre. J’ai déjà averti les Anciens. Le Conseil se réunira cettenuit. Tu amèneras cette fée, là où les pierres se dressent.

Et il disparut dans un tas de pierres immobiles.

— Il...Euh il est mort ? tenta la petite fée, perplexe.
— Mais non ! C’est seulement son esprit qui se sert des cristaux pour pouvoir communiquer. Mais d’où sors-tu donc pour ne pas savoir tout cela ? S’exaspéra Nalaïs.

Cette dernière partit avant d’entendre la moindre explication et la malheureuse fée se sentit à nouveau seule.

— Je croyais qu’ici tout serait différent. Je vois que je me suis trompée. Comment garder confiance dans ces conditions ? Se demanda-t-elle.

Pour toute réponse, elle sentit son cœur se réchauffer et pulser la puissante énergie de chacun de ses morceaux retrouvés. Dans cette chaleur diffuse, la petite fée s’endormit à même le sol.

Lorsqu’elle se réveilla, il faisait nuit. Nalaïs l’attendait avec une torche pour l’accompagner surle lieu du conseil. Un cercle de Pierres colossales se dressait devant ses yeux et des êtres des plus étranges se tenaient devant chacune des pierres. Elle ne pouvait s’empêcher de trembler.

— Un très ancien Esprit, surnommé « le Spectre », a été libéré des entrailles de la terre aujourd’hui. Vous comparaissez devant nous pour vous expliquer à ce sujet, énonça une femme sans âge flottant dans les airs.

Nalaïs raconta alors comment elle avait suivi discrètement cette fée inconnue depuis son entrée dans la Forêt Sacrée jusqu’à son impuissance à la stopper lorsqu’elle avait reconnu la flûte ensorcelée, clé des prisons du Spectre.

Les Anciens ne dirent rien pendant quelques instants puis un petit vieillard semblant fait de bois fixa son regard sur la petite fée.

— Briser l’enchantement de la clé est pourtant très difficile, à moins que...
Il ne continua pas sa phrase mais s’approcha de la petite fée à une vitesse surhumaine, prit son

visage dans ses mains tordues et sonda son esprit. Les yeux sont le miroir de l’âme et contiennent des informations que seuls les initiés aux mystères peuvent décoder. La petite fée se sentit mise à nue et l’espace autour d’elle s’évapora. Un instant elle fut aspirée dans un grand tunnel dans lequel des images et des silhouettes inconnues apparaissaient puis disparaissaient. Une ombre aux yeux rouges se tint ensuite devant elle et murmura son nom, ou bien était-ce celui de quelqu’un d’autre ? Sa vision s’évanouit d’un seul coup en laissant une empreinte sonore au sein de ses cellules qui avertissait : « Je te retrouverai, je te retrouverai... »

Les mains de l’Ancien lâchèrent le visage de la petite fée, abasourdie par sa vision terrifiante, et reprit :

— A moins qu’une âme pure, dont le cœur a été brisé en morceaux, ne commette un sacrilège.

Il fit une légère pause et continua :

— Notre monde est sur le point de se transformer. L’équilibre a été rompu et tu viens d’ouvrir une porte qu’il ne sera pas aisé de refermer. Ainsi sont les Cycles de la Vie. Tu as désormais ton propre destin à affronter. Retrouve tous les morceaux de ton cœur. Tu ne sais pas encore qui tu es et je ne peux te le révéler car c’est une quête qui t’appartient. Cependant, sache quemême si les Esprits peuvent t’apporter leur aide, la plus grande des aides viendra de l’intérieurde toi-même.

Les Anciens ne rajoutèrent rien car le petit vieillard était le plus vieux des esprits de la forêt et son jugement était incontestable.

— Le voile entre notre monde et celui de la Terre deviendra quasi infranchissable car les Gardiens en limiteront désormais l’accès. Nalaïs, fée des bois, prévient ton peuple de demeurer de ce côté-ci. Quant à toi ma chère, ajouta-t-il à l’attention de la petite fée, tu as la responsabilité de repartir dans l’autre monde pour continuer ton chemin et, peut-être, réparer ton erreur. Notre jugement est rendu.

Et ils se volatilisèrent laissant les deux jeune filles, seules au milieu du cercle de pierres levées.

Nalaïs la raccompagna en silence dans la clairière derrière le voile de protection. Les fleurs l’entouraient et brillaient au clair de lune.

— S’il te plaît accompagne moi un peu, que je puisse au moins sortir de cette forêt, implora la petite fée.
— Jusqu’à l’orée de la forêt, ensuite tu continueras seule. Je te donnerai un peu de nourriture et d’eau fraîche et puis je m’en retournerai chez moi. Tu as entendu l’Ancien.

— Je suis désolée d’avoir causé tant d’ennuis à votre communauté.
— Bah, ça commençait déjà à devenir étrange ces derniers temps de ce côté du voile. Alors un monstre de plus ou de moins tu sais, répondit Nalaïs en haussant les épaules.

Après plusieurs heures de marche, la forêt devenait de moins en moins dense et sombre. La lune perçait les feuillages et l’atmosphère était moins pesante. Mais un grondement se fit soudain entendre et les deux fées se retrouvèrent nez-à-nez avec une silhouette sombre et vaporeuse, comme de la fumée noire, avec deux yeux rouges luisants.

— Je t’ai retrouvée avant même ta fusion et métamorphose. Ahaha ça me facilitera le travail. Tu es à moi, nourris-moi, vociféra cette Ombre à la petite fée.

Nalaïs cria à la petite fée de s’enfuir mais celle-ci ne pouvait plus bouger. La peur l’avait totalement paralysée. Car son amie ne voyait pas ce qui se déroulait sous ses yeux ; l’Ombre revêtait tour à tour l’apparence de tous les êtres qui l’avaient blessée et humiliée dans les souterrains et qu’elle avait dématérialisés dans sa rage, entraînant ensuite la perte de soncœur. Et ces fantômes ne cessaient de la torturer en esprit, la culpabilisant, la maudissant et lui rappelant qu’elle serait toujours seule et abandonnée. Bientôt, elle se tassa sous le poids de sa propre peur, et souffrance intérieure.

Elle ne remarqua pas Nalaïs, la courageuse, lui tirer la main ni donner des coups de bâtons àl’Ombre. Pourtant celle-ci, agacée, finit par décrocher son emprise de la petite fée pour s’en

prendre à son amie qui hurla :

— Aide-moi, aide... Ses mots se noyèrent dans sa gorge.

L’Ombre l’avait piégée à son tour dans des pensées toxiques. La petite fée reprit ses esprits. Tout fusait très vite dans sa tête puis les paroles de l’Ancien refirent surface. Elle comprit, en voyant son amie se battre simplement contre elle-même, quetout n’était qu’illusion. L’aide ne viendrait pas des esprits cette fois. Elle était la seule à pouvoirtransmuter ses propres ombres. Il était temps de commencer à se pardonner.

S’armant de courage pour défendre son amie, quitte à se sacrifier, elle se glissa entre Nalaïs et l’Ombre. Celle-ci lui fit face et la petite fée chanta alors avec toute son âme.

Je brûle d’un feu

Que rien n’éteint
Je ne suis que Lumière

Car l’Amour m’a atteinte

Je ne serai plus Ombre
Dans cette vie comme dans une autre

Car mon âme a choisi

Je me suis pardonnée

Tous mes anciens péchés

Je n’ai plus à souffrir

La lumière est mon chemin

Mais Ombre, je ne te hais point
Tu es l’amie qui nous pousse à nous dépasser

Tu détruis pour mieux recréer
Tu effraies pour mieux éclairer

Tu es Sagesse, la lumière dans le néant

Pour toi, je me suis fait Sombre
Par toi, je sors enfin de l’ombre

Au fur et à mesure que son chant se déployait, la lumière de son cœur grandit et finit par envelopper la créature sombre qui se mit à hurler d’une voix stridente à glacer le sang. Elle s’enfuit, blessée par le pouvoir de la petite fée. Elle n’était pas détruite, il en aurait fallu plus pour cela, mais elle ne ferait plus de mal pendant quelques temps. Et surtout, son amie était sauve.

— Comment... Mais comment as-tu, enfin, c’est impossible ! Bégaya Nalaïs, interloquée.

La petite fée se sentait enfin apaisée, confiante et en paix avec elle-même. Libérée du poids d’une culpabilité qui la maintenait prisonnière dans une geôle invisible.

Elle se contenta de lui sourire. Pourtant elle se demandait ce qu’avait voulu dire le Spectre à propos de fusion et de métamorphose. Elle comprendrait certainement plus tard.

Une lueur verte jaillit d’une feuille d’arbre à ses pieds. La petite fée comprit que son cinquième morceau de cœur lui était rendu et, en le prenant contre sa poitrine, ressentit toute la force magique qu’il enseignait : LE PARDON.

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