Chapitre 12

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C’était quoi, ça?

Ce devait être eux, les nouveaux dont parlait tout le voisinage.

- Encore des parisiens qui veulent se mettre au vert !

- Tu crois ? Ai-je demandé.

- Elle est enceinte, non ?

- Ou alors elle a mangé trop de chocolat…

Je rigolais toute seule en rentrant chez moi, après avoir ramené son tracteur au voisin. Il avait besoin d’aide… et comme j’allais recevoir les nouvelles ruches en début d’année prochaine, j’allais à mon tour avoir besoin de sa mini-pelle pour creuser et faire un promontoire pour les placer dessus. Plus pratique, m’a-t’on dit.

J’essayais de me concentrer sur la mise en pot du miel, mais je faisais boulette sur boulette.

La vérité c’est que j’étais un peu déstabilisée par la manière dont m’a regardée cette fille tout à l’heure. Je crois que ce qui m’avait beaucoup plu chez elle, c’était son ventre arrondi qu’elle portait à merveille. La plus belle chose qu’on puisse voir chez une femme. Ce que je n’aurais jamais la chance de vivre, surtout.

Je pourrai ressentir de la jalousie, mais j’étais simplement envieuse de ces femmes qui peuvent donner la vie sans se poser la question de comment faire.

Je n’avais eu que deux histoires sérieuses dans ma vie : Marion et Bérénice. L’une ne voulait pas d’enfants – on était tellement jeunes - , et l’autre si, mais le parcours difficile de procréation médicalement assistée a malheureusement eu raison de nous deux.

On a divorcé il y a deux ans.

Elle vomissait tous les jours, était fatiguée en continu. À la troisième tentative, elle a eu trois jours de retard de règles. On était aux anges, mais on essayait de ne pas se monter la tête, de rester sereines pour ne pas se faire de faux espoirs et ne pas trop souffrir si cela s’avérait être un échec.

C’était très difficile, on n’en parlait presque pas. Par superstition, peut-être. L’ambiance devenait lourde entre nous. Tout n’était plus que calculs, repos, souffrance physique pour Bérénice, psychologique pour moi qui ne devait en plus pas me plaindre car je ne faisais « rien »…

On avait décidé que ce serait elle qui porterait le bébé car elle en avait très envie et était de deux ans plus jeune que moi ce qui maximisait les chances pour nous d’avoir un bébé plus rapidement et en bonne santé surtout.

Le quatrième jour, on s’est un peu pris la tête car on n’était pas d’accord sur ce que la gynéco avait dit lors de notre dernier rendez-vous.

- T’as toujours pas eu tes règles, au fait? Lui avais-je demandé.

- Attends, commence pas avec ça s’il te plaît.

- Pardon, je me renseigne. Me mets pas à l’écart. La gynéco a dit...

- Elle a dit que c’était pas parce que j’avais du retard que ça voulait tout-de-suite dire que je suis enceinte !

- Oui, mais, tu n’en as jamais, de retard...

- Mais, là c’est pas pareil ! Le traitement hormonal peut un peu dérégler les choses, elle a dit.

Je faisais les gros yeux et les levais au ciel en dodelinant de la tête, incrédule.

- Oui, mais quatre jours, quand même.

- S’il te plaît, me prends pas la tête. Quatre jours, c’est rien.

On est rentrées de Belgique le lendemain de l’insémination artificielle, et on nous avait dit d’attendre deux semaines avant de faire un test de grossesse. C’était pas la première fois qu’on le faisait, on avait l’habitude.

Sur ce, elle a eu le regard fixe, et elle a foncé aux toilettes.

J’entendais un boucan d’enfer : elle claquait le couvercle des toilettes en disant des gros mots, alors qu’elle ne supportait pas la vulgarité...

- Béré ? Ça va ? Ai-je interrogé la porte des toilettes au bout de quelques minutes sans plus un bruit.

Pas de réponse, j’y suis allée…

Je l’ai retrouvée par terre devant les toilettes, avec du sang sur les cuisses, une grosse flaque rouge par terre et les yeux pleins de larmes…

Je l’ai prise dans mes bras, l’ai levée, déshabillée, mise sous la douche et lavée. Je lui disais et lui répétais que ça irait, qu’on allait réessayer, et que je l’aimais… Elle s’est laissée faire, comme si elle s’avouait vaincue. Elle ne parlait pas et je sentais bien que cette nouvelle épreuve l’avait achevée.

Quelques jours après, le couperet est tombé : elle m’a quittée, invoquant une incapacité à affronter ça. C’était d’affronter ça avec moi qui la faisait en réalité partir. Nous avions du mal à communiquer et elle m’en tenait pour responsable. Moi, la timide, l’introvertie, l’handicapée des sentiments...

La séparation avec Bérénice a été très brutale…

Nous nous sommes reparlées une seule fois seulement, depuis, alors que je l’appelais soi-disant pour récupérer des affaires chez elle. On habitait chez moi à l’époque où on était ensemble mais elle avait gardé son appartement. On comptait amener le reste de ses affaires dans ma maison maintenant qu’on avait décidé de faire un bébé, mais le traitement difficile à supporter pour Bérénice nous a éloignées de cet objectif qui ne nous paraissait plus si urgent, tout à coup.

Elle a refusé qu’on se revoie et m’a dit de passer récupérer mes affaires lorsqu’elle serait au travail et de laisser sa clé dans la boîte aux lettres. Ce refus de s’expliquer et d’assumer sa décision me faisait ressentir un sentiment d’impuissance très fort. Je l’ai contactée plusieurs fois, en lui laissant des messages vocaux, des textos, des mails… J’ai essayé de me rendre chez elle aux heures où je savais qu’elle y serait, mais elle refusait de m’ouvrir. Puis, plus tard, elle n’était carrément plus présente à son domicile, même le soir. En plus de ce sentiment d’abandon, j’étais très jalouse de penser qu’elle devait être avec quelqu’un d’autre.

Un jour, certainement exaspérée par mes appels incessants, elle m’a répondu. Mon cœur s’est mis à taper fort dans ma poitrine quand j’ai entendu la deuxième sonnerie s’arrêter et le craquement caractéristique qui précède la réponse de l’interlocuteur lorsqu’on passe un appel. Elle a hurlé dans son portable :

- Tu vas arrêter de me faire chier, maintenant !

Oh punaise, c’était vraiment elle qui parlait, là ? J’étais très étonnée, choquée, même.

Je me suis pourtant exécutée sans discuter plus… J’ai raccroché, sans un mot. C’était la fin de notre histoire. Mais je n’étais pas prête à passer à autre chose.

Sur les conseils de mon voisin Jean-Pierre - mon confident à ses heures - je suis allée voir une personne dont le métier m’est resté assez flou - je l’ai donc appelée « la psy » - mais dont la fonction était de m’aider à passer ce cap. Elle était douce, bienveillante, très à l’écoute, et m’a aidée bien plus que ce que je n’aurais imaginé.

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