Chapitre 13 - 26 octobre 2027

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Je n’arrêtais pas de réfléchir à ce qui pouvait faire que ça se passait mal dans la vie d’Anouk. Vu que je ne voyais rien, je me suis mise à penser que ça pouvait être là depuis longtemps sans que je m’en sois vraiment rendu compte. Je devais avouer qu’à la maison, c’était souvent la soupe à la grimace, depuis quelques temps.

Mais, elle était en pleine adolescence. Plutôt normal, donc.

Oui, ça devait être ça.

J’ai été tentée de me dire qu’elle n’avait pas du digérer le divorce, mais ça faisait longtemps qu’on n’était plus ensemble, son père et moi, et surtout, elle n’en a jamais rien laissé paraître.

Je sentais qu’elle avait beaucoup d’amour à donner. Depuis que j’ai refait ma vie, même s’il y a eu des hauts et des bas, elle n’a franchement jamais montré de signe d’aversion ou tenté de nous montrer de manière claire – et les enfants ne font pas de cadeau à ce niveau-là – qu’elle n’était pas d’accord avec notre union.

Je sentais que ce n’était pas avec moi que les choses coinçaient, et cela me ramenait toujours au divorce. Mais elle était bébé quand tout ça est arrivé. Je ne pense pas que ça n’ait pas d’importance, seulement, elle n’a presque connu que ça.

Tout-à-coup, je me suis souvenu que quand elle avait 6 ans environ, je lui avais demandé de mettre le couvert avant de passer à table, et elle en a installé quatre, alors que nous n’étions que toutes les deux. Elle m’a dit que son père lui avait qu’il allait dîner avec nous en la récupérant à l’école. Je ne me souvenais vraiment pas qu’il m’ait appelée ce jour-là pour m’en informer, ou qu’il me l’ait dit en me la ramenant à la maison mais c’était un détail. Concernant le quatrième couvert, j’avais eu le secret espoir que ma douce viendrait elle aussi dîner. Nous avons eu des débuts difficiles après le divorce, mais on formait maintenant une sorte de famille à trois parents pour un enfant. Et c’était plutôt chouette. Je vivais seule avec Anouk, mais on l’a voulu comme ça, et ça fonctionnait bien, je crois. Nous avions gardé la maison que j’avais achetée avec Séb pendant notre vie maritale. Ma moitié n’avait qu’un pas à faire pour venir, et cela pourrait paraître plus simple qu’on vive ensemble dans l’une ou l’autre de nos maisons mais c’était un accord tacite entre nous, on ne voulait pas tout mélanger. On avait une union assez libre, qui plus est. Je n’étais pas toujours d’accord avec ça, mais si je voulais la garder, il fallait que je ferme les yeux.

Je ne savais plus ce que j’avais pensé à l’époque où Anouk avait fait ça, mais maintenant, je l’interprétais comme un signe que son père avait toujours sa place ici et que ma relation de couple ne lui convenait pas, en l’état. Elle ne voulait plus qu’on vive séparément, c’était évident. À chaque fois qu’on a parlé de tout ça, elle m’a toujours répondu que tout allait bien, et qu’elle était contente pour moi. Parfois, même, elle avait l’air de se demander de quoi je pouvais bien parler. Comme je le disais, elle ne nous a presque jamais connus ensemble, son père et moi.

Je devais essayer à nouveau de lui parler.

                    ***

À son retour de l’école, elle s’est ruée dans sa chambre, comme à son habitude.

Je suis montée, afin d’entamer une conversation.

Je m’arrêtais net juste devant la porte de sa chambre. Elle parlait. Enfin, elle marmonnait, ce qui rendait incompréhensible ce qu’elle disait à travers une porte. Elle révisait ses cours ? Non, elle a toujours été ultra-silencieuse quand elle faisait ça. Le moindre murmure, même le sien, pouvait la déconcentrer. Et la mettre en colère.

Elle parlait à quelqu’un ; je l’entendais répondre à des questions que je n’entendais pas. Je ne comprenais rien : elle n’avait pas de portable, pas de PC, et pas de télé. Il y avait un inconnu dans sa chambre? Comment et quand était-il entré ?

Il fallait que je me calme et que je reprenne tous les éléments dans leur ensemble. Il y avait nécessairement une explication rationnelle à tout ça. Peut-être qu’elle lisait une pièce de théâtre? Le dernier livre qu’elle avait pris à la bibliothèque en était une, il me semblait. Elle était excitée de le lire. C’était la suite de son histoire préférée : Harry Potter.

Je me figeais, soudainement. C’était comme si une lance avait traversé mon cœur. La manière dont elle venait de parler ne pouvait clairement pas faire partie de son livre. Elle venait d’envoyer balader quelqu’un - celui qui était censé lui tenir la réplique, en l’occurrence?

Je sentais les pulsations de mon cœur dans mes oreilles. La panique s’était emparée de moi. Ce n’était pas ce qui se passait qui me faisait peur mais de ne pas savoir ce qui se passait. Quelque chose ne collait pas. J’étais transie par la peur, je n’osais plus bouger. Était-elle en danger ? Devais-je agir ? Que devais-je faire ? Je décidais de me lancer, trop d’hésitations me faisaient assurément souffrir et fantasmer dans le vide. Il devait nécessairement se passer quelque chose qui, si ce n’était pas plaisant, en tout cas devait être explicable et normal.

Je frappais trois fois. Le silence, tout-à-coup. Je me retrouvais à nouveau en tête à tête avec mon cœur, seul témoin de mon impatience et de mon état vital.

- Quoi ? A répondu Anouk.

- Mon cœur, je peux entrer ?

- Oui, oui.

J’ouvrais la porte en grand et regardais partout dans sa chambre. Elle était allongée sur son lit et lisait un livre.

- Ça va ?

- Oui, et toi ?

- Tu lis à voix haute ? Oui, oui, ça va...

- Tu m’écoutais ?

- Non ! Je t’ai entendue parler, c’est tout.

Elle a grimacé.

- Qu’est-ce que tu cherches ? M’a-t’elle lancé d’un ton un peu abrupt.

- Mais, rien.

Je regardais partout pour trouver comment noyer le poisson. Ses livres étaient rangés à la perfection sur ses étagères. Ça m’étonnait toujours de constater à quel point elle était ordonnée, maniaque, même, pour une ado.

- C’est bien ? Lui ai-je demandé avec un sourire forcé en montrant de l’index son livre.

- Oui, trop, comme toujours !

- Tu l’as lu plusieurs fois, celui-là, non?

- Je les ai lus trois ou quatre fois minimum chacun…

- Ah ouais, quand même ! C’est la pièce de théâtre?

- Non, c’est le premier tome… je l’ai lu une dizaine de fois, mais je m’en lasse pas.

Je hochais la tête d’étonnement et d’admiration. Puis, comme rien ne me paraissait intéressant à dire, j’ai rosi légèrement car je me doutais que je devais avoir l’air un peu bête à bouger ma tête comme ça… Je me suis arrêtée net et j’ai froncé les sourcils.

- Ça parle de quoi, en fait ? Ai-je continué en plissant les yeux, avec un petit rire nerveux.

- T’es sérieuse ? Tu connais toujours pas Harry Potter ?

- Ben non…à part ce que tu m’en as dit. Que c’est un sorcier… voilà !

J’en savais un petit plus, mais il fallait que la pousse par tous les moyens à me parler. Je m’étais assise sur le bord de son lit. Elle a ri, d’un air un peu moqueur.

- Tu voudrais bien regarder l’épisode un avec moi, ce soir ? Ai-je lancé.

- Grave ! Trop bien !

Oui, c’était trop bien. J’avais assuré dans mon rôle de Maman, là, non ?

- En même temps, tu dois être la seule personne au monde à pas l’avoir vu, alors il faut qu’on rectifie ça !

On a rigolé franchement.

- Du coup, tu me racontes pas trop ce qui se passe comme ça je découvrirai au fur et à mesure, OK ?

- On dit spoiler !

- Oui, OK ! Tu me spoiles pas, ai-je renchéri en faisant une grimace moqueuse. C’est bon, comme ça ?

- T’as rajeuni de dix ans, au moins !

- Si, seulement…

On a à nouveau rigolé. Et elle s’est lovée contre moi pour me faire un câlin.

- Ma mamounette d’amour…

- Ma petite fille chérie, je t’aime tellement.

Elle ne m’appelait presque jamais Maman et je devais bien avouer que quand elle le faisait, ça me faisait craquer.

- Moi aussi, je t’aime. Tu vas voir, tu vas adorer !

- Sans me… spoiler, ai-je continué en plissant les yeux, c’est quoi qui te plaît tant dans cette histoire ?

- Ben, Harry, il rencontre plein d’épreuves ! Des trucs durs, tu vois ? Mais il reste quand même présent dans la mission qu’il a à accomplir. Et ses amis sont toujours auprès de lui, ils le lâchent pas.

- Il en a de la chance !

- Ouais… non, il a pas de chance du tout, en fait. Mais le truc c’est qu’il se laisse pas impressionner. Il reste focus sur son but.

- Ça a l’air d’un héros, ton Harry.

- C’est pas lui que je préfère, en vrai. C’est plutôt Ron et Hermione.

- C’est les amis de Harry ?

- Voilà.

Elle a eu l’air d’hésiter, tout-à-coup.

- Si je réfléchis bien, ses amis, parfois, sont pas si présents que ça.

- Ils ont pas toujours envie de l’aider ?

- Si, mais, ils le comprennent pas toujours. Et, parfois, ils se disputent.

- C’est normal, ça. S’il n’y avait pas ça, ce serait pas crédible.

- Ouais, t’as raison. Mais ça pourrait être plus facile, des fois. Ils pourraient faire moins d’histoires, quoi.

- Juger la relation des autres, c’est facile. On se dit qu’on aurait fait mieux, soi-même…

- Harry est compliqué comme garçon, aussi.

Elle a soupiré, et son visage s’est assombri.

- Tu t’es disputée avec une amie à toi ?

- Non…

- C’est quoi le problème, alors, mon amour ?

Je lui caressais les cheveux.

- Rien, a-t’elle coupé court. Bon, a-t’elle repris sur un ton plus énergique en me pointant de son index, 20h30, dans le salon, Harry Potter à l’école des sorciers ?

- Oui, d’accord, ai-je souri.

- Trop bien ! A-t’elle renchérit, en frappant plusieurs fois des mains de manière énergique, toute excitée.

Ouf, heureusement qu’on avait gardé un écran de télé avec des DVD !         

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