Le pire chapitre de ma vie commence
Now playing : The Beaches - Everything is Boring
Springton est une promesse d'un nouveau départ, d'une vie paisible, de recommencer à zéro. J'y ai pensé en contemplant les magnifiques paysages verts qui défilaient sous mes yeux à travers la fenêtre de notre voiture. Les arbres majestueux, les maisons de charme, ce calme apparent... tout est si différent du bruit et de l'agitation de New York.
J'ai laissé derrière moi une vie, des amis, un petit copain... J'espérais, en quittant la Big Apple, pouvoir laisser mes démons derrière moi. L'anxiété me noue l'estomac. Je peine à croire que tout cela est réel.
Pourquoi mes parents ont-ils tout quitté pour s'installer à Springton ? Tout simplement car mon père est chercheur en médecine. En conséquence, il a accepté un poste de dans un laboratoire, pas très loin de Springton, cette mystérieuse petite bourgade dont je n'avais jamais entendu parler avant. C'est un peu normal d'ailleurs. Quand on habite New York, il est difficile de s'intéresser à d'autres endroits. Mais bon, j'imagine que je vais m'habituer à Springton.
Je fais glisser mes doigts sur la vitre froide, perdue dans mes pensées. Mes amis m'ont promis de rester en contact, mais je sais bien que les choses ne seront plus jamais comme avant. Les textos, FaceTime, Instagram, etc. Ce n'était rien comparé aux moments passés ensemble à traîner dans Central Park, à faire du shopping sur Time Square ou à discuter pendant des heures dans les cafés de Manhattan.
Le paysage continue son défilé, quand je me met soudainement à fixer machinalement le pendentif que m'a offert Ariana, ma meilleure amie. Un souvenir de tous les bons moments que nous avons passés ensemble. Pour percer mes pensées, mon père me lance des regards inquiets dans le rétroviseur. Il va sûrement essayer d'être réconfortant et ça va me saouler. Ce n'est pas contre lui, c'est juste que... New York me manque déjà trop.
— Tout va bien, Virgie ? Tu verras, Springton va te plaire.
Et voilà, je vous l'avais dit. Ma mère, aussi optimiste que d'habitude, tente de capter mon attention à travers le rétroviseur, puis ajoute :
— Comme l'a dit ton père, tout ira bien ma chérie. Springton est une superbe ville, tu te feras rapidement de nouveaux amis.
J'acquiesçe, sans conviction. Comment peut-elle être aussi optimiste ? Elle ne comprend pas vraiment. À son âge, elle avait déjà déménagé et voyagé plusieurs fois dans le monde, visité de nombreuses villes. Pour moi, c'est différent. New York, c'était mon univers, mon passé, mon futur, mon présent. Et ils me l'ont volé.
— Regarde, nous arrivons, annonce mon père, en pointant du doigt le panneau en bois usé. Bienvenue à Springton mon bébé !
— Alors voilà Springton, hein. C'est... pittoresque, dis-je de façon désinvolte.
Je fais ma désintérésée, mais à chaque nouveau virage, mes yeux s'accrochent à un détail différent de cette ville encore inconnue. Springton... le nom a une sonorité douce, nostalgique, de printemps. La réalité me semble, du moins au début, un mélange de fascination, d'appréhension.
Les maisons que nous croisons me rappellent celles des vieilles séries télévisées américaines, avec leurs porches accueillants et leurs jardins impeccablement entretenus. Je me demande, si derrière ces façades pittoresques, se cachent des histoires aussi intéressantes que celles de ma mère dans ses romans. Le centre-ville est vivant, animé. Les sons, les couleurs, l'odeur du café qui s'échappe des petits commerces donnent envie de s'y arrêter, d'explorer.
— Ah, voici le centre-ville ! s'exclame ma mère, avec enthousiasme. J'ai lu que le café du coin, le "Spring Brew", a les meilleurs muffins du comté.
Je remarque des groupes d'adolescents de mon âge, riant et discutant à l'ombre des arbres de la place principale. M'y ferais-je des amis ? Ou serais-je la nouvelle à éviter ? Cette pensée me fait frissonner. Tout semble si calme, accueillant, trop différent. Les hautes tours et les néons de New York sont maintenant à des années-lumières d'ici.
Ce qui me captive le plus, c'est cette forêt qui borde la ville. Imposante, majestueuse, mystérieuse... elle semble presque m'appeler. Ses arbres séculaires aux ombres mouvantes enjolivent la magnifique ville de Springton. Mine de rien, il me tarde de découvrir ce que cette ville va me réserver.
***
Après avoir passé cinq minutes supplémentaires en voiture, nous approchons enfin de Havenwoods Hills. Je ressens une bouffée d'air frais, loin de la pollution de la Grande Pomme. C'est comme si j'entrais dans un autre monde. Les panneaux indiquant notre destination arborent de jolies lettres cursives qui ajoutent presque de la féerie au lieu.
— Je dois avouer... c'est beau, dis-je à voix-haute.
— On te l'avait dit, bébé, répond ma mère, pleine d'enthousiasme.
Tout à coup, je suis immédiatement frappée par l'atmosphère joviale qui imprègne le quartier. Des arbres somptueux bordent la chaussée, leur feuillage dense chatouillant doucement les façades colorées des maisons qui se dressent de part et d'autre. Leurs troncs robustes et noueux forment une voûte bienvenue, qui projettent de délicates ombres dansant sur la route au rythme de la brise.
— Regarde ça, Virgie, murmure ma mère, me montrant une maison particulièrement charmante.
Sa façade rose poudré est accentuée par des volets bleu pastel. Une grand-mère se balance paisiblement sous la véranda, un chat endormi sur ses genoux. Son sourire est si sincère, si spontané, qu'il réchauffe instantanément mon cœur.
— Les gens ont l'air tellement... heureux ici, dis-je à voix basse, presque pour moi-même.
Elle lève la main en signe de salutation lorsque notre voiture passe devant sa demeure, toujours avec un sourire chaleureux, éclairant son visage ridé par les années. Les jardins sont une explosion de couleurs, avec des fleurs qui se balancent joyeusement sous l'influence du vent. Des rires d'enfants flottent depuis les arrière-cours, mêlés aux aboiements joyeux des chiens et au doux carillon des clochettes à vent. Je peux voir des groupes de voisins bavardant et riant sur leurs pelouses.
À un coin de rue, trois enfants tiennent un stand de limonade. Ils agitent frénétiquement leurs bras pour attirer l'attention des passants.
"Bienvenue à Havenwoods !" crie l'un d'eux avec un enthousiasme contagieux.
Je n'ai pas pu m'empêcher de sourire en réponse.
— Hum, ce gamin a réussi là où j'ai échoué ? Je suis jaloux, me dit papa, heureux de voir toutes mes dents.
— Il m'a eu avec son énergie débordante, répondis-je, toujours en train d'aligner ma denture.
Je me penche par la fenêtre, j'aspire l'air frais et parfumé de Springton. Le soleil caresse doucement ma peau, tandis que l'envoûtante mélodie d'une guitare résonne depuis une maison voisine. On se croirait dans une série Netflix du style "Virgin River" ou "Ginny & Georgia". Et ce n'est franchement pas pour me déplaire.
— Alors, pas mal comme nouveau départ, hein ? dit mon père, ses yeux parcourent le paysage, tout comme les miens.
Je me contente de hocher la tête en réponse. Après ce qui m'a semblé être une éternité, nous nous arrêtons devant notre nouvelle demeure. Perchée sur une petite élévation, elle se tient fièrement, avec cette grâce de la vieille époque. Sa façade crème contraste harmonieusement avec les volets d'un bleu lavande, le toit en ardoise brille d'une teinte gris-argent sous le soleil. Des rosiers grimpants rouge vif enlacent délicatement les colonnes du porche, comme si elles avaient connu des étés éternels.
— Qu'en penses-tu, Virgie ? me demande ma mère en me donnant un petit coup de coude. Nous y voilà, notre nouveau chez nous.
En approchant de l'entrée, je remarque les détails du parquet en bois du porche, usé par les années, mais encore robuste. La porte d'entrée en bois massif est ornée d'une vitre ouvragée, à travers laquelle je pouvais apercevoir un escalier élégant. Tout dans cette maison je pense allait vraiment me plaire. J'en ai l'intime convinction.
— C'est... j'en sais rien, réussis-je à articuler.
Mes mots me paraissent bien fades face à la splendeur qui s'étale devant moi. En mettant le pied sur le seuil, une sensation étrange me traverse, celle de rentrer enfin dans ma nouvelle maison après un long voyage. Mon père, les bras musclés tendus sous l'effort, soulève le couvercle du coffre avec un léger grincement : une pile de nos bagages bien rangés et soigneusement empilés s'y trouve.
Il lance un coup d'œil par-dessus son épaule et me gratifie d'un de ces sourires en coin qui signifie qu'il a une idée en tête.
— Pourquoi ne pas faire un tour pendant que nous déchargeons ma chérie ? dit-il en désignant le quartier d'un geste ample de la main, désireux de me voir partir à l'aventure. Je suis sûr que tu trouveras quelque chose d'intéressant !
J'évalue la proposition un moment. Mon regard balaie les maisons voisines, les rues sinueuses et les jardins fleuris. Il y a tant à voir. L'enthousiasme de mon père est contagieux, mais une pointe d'hésitation me retient encore. L'envie d'explorer cette nouvelle toile de fond lutte avec mon désir de me blottir dans un coin confortable de notre nouvelle maison.
L'éclat malicieux dans les yeux de mon père et la perspective de découvrir Havenwoods l'emportent finalement sur ma réticence.
— Hum... après tout pourquoi pas ? dis-je en retroussant les manches de mon pull. Je ne suis pas si fatiguée que ça. Je vais faire un tour vite fait et je reviens.
Mon père rit doucement.
— Parfait ! À plus tard ma chérie.
Il se penche pour attraper une valise, mais je l'ai déjà oublié.
— À plus tard, mon coeur ! Tu fais attention, hein ? crie ma mère. Ne vas pas trop loin !
— Oui Maman !
La porte en bois massif de notre nouvelle demeure m'appelle, mais je repousse temportairement mon envie d'y entrer. La visite de la maison peut encore attendre. Je me retrouve bientôt à marcher sur les trottoirs pavés de Havenwoods Hills. Mon appréhension initiale n'est plus, remplacée par mon insatiable curiosité.
***
À chaque pas, je découvre un nouveau tableau : des enfants qui font du vélo, un vieux couple assis main dans la main sur un banc, des adolescents jouant au basketball dans un petit parc tout proche. Les balançoires oscillent doucement dans le vent, et de temps à autre, un chat se faufile entre les jardins, à la recherche d'une proie ou d'un coin d'ombre.
En marchant sans réel but, en essayant d'absorber l'essence même de ce nouveau lieu, je m'attarde devant les détails qui attirent mon attention. Ici, un rosier grimpe qui se fraye un chemin le long d'un treillis ; là, une fontaine ornée de nénuphars et entourée de chaises longues où des voisins prennent le thé.
Je dois avouer que la beauté de ce tableau idyllique me rassure. Mes inquiétudes s'apaisent et je me surprend à respirer enfin. En m'éloignant un peu plus du centre du quartier, je longeais une série de maisons coquettes, toutes plus charmantes les unes que les autres. L'une d'elles, en particulier, attire mon regard : une splendide demeure victorienne, avec une véranda en bois ouvragé et un jardin soigneusement entretenu.
Et c'est là que je l'ai vue.
Adossée à une clôture blanche immaculée, une jeune fille est plongée dans un autre monde, à travers les pages d'un bouquin. Ses longs cheveux blonds, s'éparpillent sur ses épaules à la lumière du soleil, qui accentue les nuances dorées. Sa robe d'été, d'un orange délicat, virevolte au rythme de brise légère. Lorsqu'elle pose ses yeux vers moi, une étincelle de curiosité les illumine, et je comprend instantanément que cette rencontre va être le début de quelque chose de spécial.
La jeune fille me fixe de ses yeux bleus profonds pendant un instant, avant de poser son livre à côté d'elle sur le rebord de la clôture. Elle m'observe avec une expression amusée, comme si elle a deviné que je suis la petite nouvelle de Havenwoods Hills.
— Salut jeune étrangère ! Tu dois sûrement être la nouvelle.
— Euh, oui, c'est bien moi. Je m'appelle Virginia, mais tu peux m'appeler Virgie. Comment sais-tu que je suis la nouvelle ?
Elle rit légèrement, sa voix mélodieuse résonne dans l'air.
— Les nouvelles se propagent vite à Havenwoods. De plus, Mme Henderson, qui habite à côté de chez moi, m'a dit qu'une famille vient d'emménager dans la grande maison blanche de l'autre côté de la rue. J'ai supposé que c'était toi. Au fait, je m'appelle Lia. Lia Harrison. Bienvenue dans notre quartier paradisiaque. Alors, quelles sont tes premières impressions sur notre petite ville de Springton ?
Je hausse les épaules, cherchant les mots justes.
— C'est... je dirais que c'est très différent de New York. Tout le monde semble gentil.
Lia éclate de rire, ses yeux pétillent de malice.
— Donne-lui du temps, la New-Yorkaise ! Springton va te surprendre, promis.
Sans le vouloir, j'ai dores et déjà réussi à me faire une amie. Je ne pensais pas que ce serait aussi rapide. Mais bon, ce n'est pas moi qui vais m'en plaindre. Avec elle, je me sens déjà fort à l'aise. Ce qui me conforta dans l'idée que Springton pourrait pas être si mal que ça en fait. Ais-je jugé un peu trop vite ? Soudain, la blonde me prend l'une de mes mains, puis me demande avec excitation :
— T'es partante pour venir avec moi en ville ?
Un large sourire se fait voir sur ma pomme.
— Ouais je suis carrément partante, Lia.
— Parfait ! Viens, on va prendre ma voiture.
Je suis immédiatement éblouie par sa voiture : une Jeep Wrangler, noir mat. La finition, le design, tout est impeccable. Je ne vais pas mentir... je suis jalouse ! J'ai toujours rêvé d'avoir une Jeep de ce genre. Lia, avec son sourire irrésistible, agite les clés devant moi.
— On y va Virgie, dit-elle en me faisant un clin d'œil.
Sans tarder, je m'empresse de monter à bord. Les sièges en cuir sont doux, confortables, et le tableau de bord brille de mille feux. La carrosserie de la Jeep est si bien entretenue qu'elle reflète les maisons et les arbres auxquels nous faisons face.
— J'envie ta Jeep ! J'ai toujours voulu en avoir une comme ça !
— Attends, tu vas voir de quoi elle est capable !
Lia démarre le moteur. Le son grave, puissant, fait vibrer l'air autour de nous. Alors que nous traversons les rues de Springton, j'ai l'impression d'être une star de cinéma, les cheveux au vent, profitant du soleil sur ma peau, la musique "Speed Drive" de Charli XCX pousse les basses de la voiture dans leurs retranchements. Lia commence à se déhancher alors qu'elle est au volant. Bizarrement, je ne sens aucun danger. Elle semble réellement avoir le contrôle, comme si elle faisait ça tout le temps.
— Alors Virgie ? On n'est quand même mieux cheveux aux vents, n'est-ce pas ? me dit-elle avec son sourire ravageur et ses yeux saphirs parfaits.
— Carrément !
Les routes sinueuses de Havenwoods Hills s'étendent à l'infini devant nous. Le paysage défile à une vitesse impressionnante. Avec le soleil qui commence à se coucher à l'horizon, chaque instant ressemble à une peinture en mouvement.
— Tu sais Virgie, Springton a quelque chose de magique. C'est petit, oui, mais il y a quelque chose d'indescriptible ici. Et je pense, non j'en suis sûre, que tu le ressentiras aussi.
Je hoche la tête, les yeux rivés sur l'horizon. Je cherche à capturer chaque détail.
— Je pense que je commence à le sentir.
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