Train 2

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Une fois encore leurs places réservées se côtoyaient.

– Quel joyeux hasard ! apprécia Kouakou.

– Est-ce que ce serait l'académie elle-même qui aurait pris les billets  ? s'interrogea Johanne.

Son ami fit mine d'y réfléchir.

– Cela leur permettrait de regrouper les trajets des différents écoliers, supposa-t-il. Je m'inquiète un peu de l'endroit où je vais mettre les pieds. Pas toi ?

Johanne haussa les épaules.

– Je sentais que j'encombrais mes grands-parents, alors… Là-bas ou ailleurs, ça m'est égal. J'ai des jeux de courses sur mon Amci, ça te dit ?

Elle sortit deux petites manettes de son sac et les brancha à son appareil.

Le trajet se passa en rires et en défis amicaux.

– C'est génial d'avoir un Amci dernier cri, soupira Kouakou. Le mien ne fait tourner que de vieux jeux de mon enfance. Et ce sont des jeux éducatifs ! Ma mère préférait emprunter en bibliothèque et ludothèque. Note que je ne m'en plains pas, j'y découvris plus d'une pépite mal connue.

Johanne grimaça face à l'envie de son camarade. Son Amci à la pointe et bien rempli témoignait davantage d'une compensation de ses grands-parents que d'une quelconque richesse. Elle n'avait jamais réussi à leur dire qu'elle préférerait plus de jeux en commun et de sortie que de logiciels.

Aussi moderne que fût l'appareil multifonction de Johanne, il fallut le recharger avant la fin du trajet. Dans un moment de vide, Kouakou sortit un roman et Johanne jeta un œil autour d'elle. Elle vit un ou deux autres enfants près d'eux. Elle se demanda s'ils se rendaient au même endroit.

Une fille brodait à un rang d'eux. Intéressée, Johanne jeta un œil plus insistant. Ses mains très agiles à la couleur de glaise parsemaient des petites croix colorées sur la toile aïda. Elle portait un t-shirt bleu ciel et un short avec des sandalettes à fleur. Rien à voir avec le bermuda à grandes poches et les baskets de Johanne ou le t-shirt distendu sur un short élimé et des grosses sandales de Kouakou.

Un garçon occupait la place à côté de la brodeuse, mais Johanne ne pouvait pas le voir.

Au changement, elle jeta un coup d'œil sur les autres enfants du compartiment pour repérer ceux qui les suivraient. Dans la gare il s'avéra facile de repérer le déplacement des autres passagers.

– On n'est pas seuls, indiqua-t-elle à Kouakou en désignant la brodeuse et deux autres enfants.

Ces derniers arboraient un teint hâlé proche de celui de Johanne, avec des cheveux courts pour l'un et ras pour l'autre. L'un possédait un regard vide et l'autre dur. Quant à la brodeuse, ses yeux légèrement tombant sous de grands cils lui donnaient un grand regard triste et apeuré.

– Formidable, notre prochain train est un ter, nous pourrons nous installer ensemble et faire connaissance, commenta Kouakou. Oh  ! Des nouvelles des andréides !

– Y a des morts ? demanda agressivement le garçon au regard dur en les rejoignant.

« Des bruits de combat se font entendre dans le centre commercial, la police sur les lieux achève de mettre en sécurité les civils échappés. Une brigade militaire s'apprête à pénétrer les lieux pour savoir ce qu'il en est. »

– Des bruits de combats ? répéta Johanne. Ce n’en était pas déjà un ?

– Il s'est pas passé beaucoup de choses depuis le temps, râla le garçon au regard dur.

– Chut, fit Kouakou.

À l'écran, les images montraient le centre commercial de l'extérieur. Des fumées s'élevaient en plusieurs endroits et un pan du toit était écroulé. Des crissements métalliques semblables à des cris fusaient, entrecoupés de coups de feu.

« Les otages parlent d'individus cagoulés et armés qui tiennent tête aux andréides. Qu'est-ce que… »

Sous le regard des caméras une vitre explosa et l'on vit chuter un corps vaguement humanoïde doté de quatre jambes. De vives acclamations éclatèrent dans la gare auxquels les jeunes voyageurs se joignirent  :

« Ils en ont abattu un ! »

– Dites, vous prenez aussi le ter, non ? fit remarquer le deuxième garçon.

– Mince, ne le ratons pas ! s'exclama Kouakou.

À contrecœur le groupe se détacha des informations et alla prendre le dernier train de leur trajet.

Chacun avait deviné que les autres se rendaient au même endroit et ils s'assirent dans un espace du ter où ils pouvaient parler ensemble.

Johanne et Kouakou se présentèrent.

– Moi, c'est Ludovic, dit le garçon au regard dur qui ne savait visiblement pas parler sans un ton accusateur.

– Damien, lâcha du bout des lèvres l'autre comme s'il avait répété son prénom tant de fois qu'il n'avait plus l'énergie de l'assumer.

– Rebecca, acheva la brodeuse avec un sourire aussi timide qu'aimable.

Et elle paraissait la plus sympathique des trois.

D'abord Kouakou tenta d'en savoir plus sur l'académie où ils se rendaient. Personne ne disposant d'informations, la discussion tourna sur la thématique qui leur brûlait à tous les lèvres.

– Vous avez fait combien de centre d'accueil ? attaqua Ludovic. Moi, j'en suis à trois, ajouta-t-il comme une fierté.

– Deux, lâcha Damien avant de se refermer sur de sombres souvenirs.

– Un seul, parce que ma famille d'accueil ne pouvait plus me garder, murmura Rebecca.

– Un seul aussi, renchérit Kouakou. Il s'agissait davantage d'un un temps de transition avant d'aller dans une famille d'accueil.

Confrontée à une lourdeur subite Johanne se sentit exclue. Elle prit peur à l'idée de dévoiler qu'elle avait grandi avec ses grands-parents.

– Aucune, biaisa-t-elle avec hésitation. Juste en famille…

Kouakou lui jeta un regard en coin sans rien ajouter.

Pour la suite la jeune fille resta en retrait. Elle écouta mollement Ludovic se vanter de s'être fait renvoyer de deux établissements. Elle croyait se ficher de son envoi en pensionnat. Au milieu de ces enfants transbahutés d'un lieu à un autre au nom du statut d'orphelin, elle ressentit le même sentiment de perte qu'après l'annonce de l'accident de ses parents.

Abandon.

Orpheline.

Sa gorge se serra et elle sortit son Amci pour occuper son esprit et éviter le débordement de larmes qu'elle sentait poindre. Qu'importe si elle paraissait se moquer de la discussion.

– Dites, intervint Rebecca timidement. La prise d'otage est finie.

Johanne leva la tête et la vit tendre son propre appendice multi-connecté. Bénissant ce changement de sujet, elle alluma l'onglet des actualités pour trouver l'information en question.

– On n'a pas trouvé les gens qui ont fait ça, commenta-t-elle.

– Et les andréides ? demanda Ludovic avec une lueur d'avidité.

– Hors d'état de nuire, apparemment. Oh, ils disent ne pas trouver autant de carcasses que prévu ! Selon les otages il y avait dix andréides et ils n'en ont retrouvé que quatre !

– Trop cool, apprécia Ludovic.

Les autres renchérirent de leur commentaire et la discussion vira sur les super héros favoris des uns et des autres. Globalement, cela oscillait entre mangas et comics, ces derniers étant hautement soutenus par les films à succès du début du siècle. Seule Rebecca se démarqua en préférant les histoires moins violentes physiquement. Elle ne tolérait les combats que sous forme de sortilèges.

Une heure plus tard, ils attendaient devant une petite gare à l’unique quai, fatigués et interrogateurs. D'autres enfants grossirent leurs rangs, tout aussi perdus ou résignés. Une fille aux cheveux blond platine habillée sagement leur jeta un regard désespéré. Les tenues des garçons qui accompagnaient Johanne semblaient être la source principale de sa détresse. De manière générale, la moitié des enfants étaient vêtus de sous-marques, même Johanne dont la prodigalité des grands-parents s'exprimait plutôt pour les activités de loisir et de culture.

Se présentant comme le plus expressif de la bande, Ludovic déplora l’absence d’accueil à coups de jurons imagés. Quelques soupirs de lassitude les ponctuèrent. La route avait été longue, les doutes nombreux et l’incertitude forte.

Les ombres s’allongeaient lentement quand, soudain, un minibus jaillit d’un virage. Il n’émettait aucun son et donna à Johanne l’illusion de voir apparaître un fantôme. Impression renforcée par sa carrosserie métallisée et sa manière de glisser vers eux. Dans un soupir, comme un gros animal, le véhicule s’arrêta à leur niveau.

Le silence planait parmi les enfants. L'ambiance n'impressionnait pas seulement Johanne.

La portière s’ouvrit dans un chuintement et une forme épaisse coiffée de sortes de cornes s’agita derrière la vitre.

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