Pseudonymes 2

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Doki arriva dans la salle de classe avec un grand geste de la main.

– Bonjour, avant de commencer, j'ai cru comprendre que j'avais oublié une instruction  : pas d'activité physique durant la première semaine, le temps que votre corps s'acclimate à la composition de l'air. Navré à notre jeune élève qui en a fait les frais.

Il baissa le regard sur Johanne qui rougit d'embarras.

– Aujourd'hui, je profite du créneau libre, qui sera celui de l'initiation aux arts martiaux, pour vous instruire sur la nature de ce monde et vous donner une consigne primordiale.

Enfin LA question.

«  M-95 est un monde parallèle au nôtre, à la fois semblable par la gravité et l'air que nous respirons et différent. Des plantes proches des minéraux poussent sur les arbres, la vie animale est totalement inexistante au-delà de dix centimètres et l'eau est rare. Nos essais de potagers sont positifs, certaines espèces anciennes s'adaptent bien à ce sol et nous avons déjà constaté une variation du goût des aliments, du fait des nutriments différents dans le sol.

Nous n'avons exploré qu'une centaine de kilomètres à la ronde, il faut dire que les Andréides ne nous permettent pas de pousser plus loin. Venons-en à ces créatures. Ce sont des entités que l'on a dites mécaniques car elles étaient principalement représentées par des êtres métalliques, proches de nos robots. Nous en avons croisé quelques-uns plus céramiques, minéraux, aucun de chair. S'ils semblent capables d'autonomie et d'une certaine forme d'intelligence, nous ignorons encore dans quelle mesure ils disposent d'une civilisation. Sont-ils une forme de vie  ? Ou animés par un programme  ? Si nous parvenons à déterminer si leur intelligence est artificielle, nous pourrons tenter de remonter à la source. Voire, les reprogrammer.

Le fait est qu'ils se montrent très hostiles envers la présence humaine, non seulement en réaction à nos excursions, mais en attaquant les nôtres sur Terre. Vous le savez tous, je suppose. Ils traversent par des chemins de passage qui parsèment la frontière entre M-95 et la Terre. Comme nous ne sommes pas encore parvenus à en capturer un «  vivant  », nous ignorons encore leurs motifs. Vous avez vu la dernière prise de guerre, l'équipe d'Esse va pouvoir étudier sa structure.

Nous aurons tout le temps de vous parler plus en détail des Andréides. Sachez qu'il est interdit de quitter l'enceinte du parc, sous peine de tomber sur l'un d'entre eux. Nous arrivons maintenant aux noms. Nous avons constaté à nos dépens que les Andréides parviennent à nous retrouver où que nous soyons du moment où ils connaissent notre nom. Vous vous dites sans doute qu'ils ont un accès au réseau, cela expliquerait qu'ils sachent que vous êtes à l'académie. La belle affaire. Je veux dire qu'ils retrouvent une personne n'importe où du moment où ils connaissent son nom de naissance. Comme s'ils étaient attiré par un aimant et votre patronyme serait le magnétisme. Étrangement, cela ne fonctionne pas sur les surnoms.

Par conséquent, il vous faut éviter de prononcer vos noms en dehors de cet établissement ou dans le parc. Car, ils sont parfois à l'affût à espionner et peuvent entendre ce que nous disons. Certains de nos élèves ont choisi de se trouver un pseudonyme dès leur première année. Vous n'êtes pas obligés d'en arriver là, du moment que vous ne prononcez pas votre nom ou celui d'un camarade par inadvertance. Oui  ?  »

Léopoldine avait levé la main.

– Pourquoi ne pas nous avoir révélé ça avant notre arrivée ici  ? Sans vouloir accuser quelqu'un, qui me dit que personne ne prononcera mon nom volontairement  ?

– Aurais-tu préféré que je te nomme Elève n°58  ? Et t'interdise de donner ton nom à qui que ce soit dans le train qui t'a amené  ?

Il haussa un sourcil en direction de Léopoldine.

– Avez-vous conscience que nous sommes dans un autre monde  ? Notre unité est primordiale, nous devons nous fier les uns aux autres et nos prénoms sont la porte d'entrée de notre intimité. Toi, pourquoi as-tu été nommé ainsi  ? demanda-t-il soudainement en désignant Kouakou.

– Pour que je garde une part de son pays.

Doki désigna Altaïr.

– Et toi  ?

Le garçon haussa les épaules et soupira.

– C'était le nom du héros de leur jeu vidéo préféré.

– Moi, j'ai eu un prénom d'origine italienne, ce qui était très à la mode à ma naissance. Vos prénoms ont une histoire, insista Doki.

– Permettez-moi d'insister, fit Léopoldine de son ton autocratique. Que se passera-t-il si une personne inconsidérée lâche mon nom près d'un Andréide  ?

– Vous connaissez vos prénoms les uns, les autres, cela devrait vous garantir de la méchanceté d'un autre, assura Doki. Quant à l'erreur innocente… je dirais que vous risquez tout autant une mauvaise chute dans les escaliers en étant bousculé involontairement. Les accidents arrivent et vous serez en sécurité tant que vous resterez dans l'académie.

Johanne leva la main.

– Oui  ?

– On doit cacher nos noms aux autres classes  ?

– Ce ne sont pas des Andréides.

– Mais, une élève de deuxième année m'a dit utiliser son pseudonyme  !

– C'est son choix.

Le Docteur leur distribua les règlements intérieurs. La grande majorité des règles était similaire à celles du collège de Johanne, elle jeta un œil sur les punitions et ne vit rien de précisé si ce n'est qu'elle serait adaptée à la faute.

– Avant de partir  : ne cherchez pas à vous trouver un pseudonyme, ils sont utiles pour les expéditions extérieures. Vous n'en ferez pas avant votre troisième année. Il s'agira d'explorer dans les environs proches, d'observer la flore locale, de réaliser des expérimentations, ceci sous la garde de la brigade anti-andréides.


L'académie possédait deux petits salons à destination des élèves, fournissant un mobilier confortable, de larges bibliothèques et des jeux de société. Pour celles et ceux qui souhaitaient s'adonner à des activités créatives, un espace dans un salon et une table surélevée leur étaient dédiés. Johanne et Kouakou s'affalèrent sur un canapé, chacun son Amci à la main, et se firent une partie de jeu vidéo. À défaut de pouvoir se dépenser, cela fit du bien à Johanne de piloter des petites voitures sur des circuits fantaisistes.

De multiples questions sur les Andréides avaient été émises, Doki ne répondit à aucune. Le « cours » suivant était un exercice de logique à résoudre en groupe. Le groupe Altaïr-Zacharie avait remporté la palme haut-la-main, Johanne et Kouakou arrivant en second.

Au bout de deux coupes, Léopoldine et Rebecca s'assirent en face d'eux. La blonde se tenait avec raideur et formalisme.

– Johanne, j'ai réfléchi aux mots que nous avons eu et je tiens à ce que nous repartions d'un bon pied.

– Bonne nouvelle, répondit Johanne.

– Je te présente mes excuses, si ce que je t'ai dit une chose qui a pu te choquer.

Johanne se retint de lever les yeux au ciel.

– Tu sais, Léopoldine, les histoires de classes sociales ne sont qu'un moyen de nous séparer, expliqua Kouakou. Nous avons bien plus en commun que ce que ceux qui gèrent l'économie de marché veulent nous le laisser croire.

Les trois filles lui retournèrent un regard perplexe.

– Tout à fait, rebondit Léopoldine, aimez-vous les jeux de cartes  ?

Ils trouvèrent très vite des règles de jeu en commun et – à la surprise de Johanne – elle partagea des éclats de rire avec la blonde. Celle-ci parut même se détendre. Le changement le plus spectaculaire fut Rebecca qui passa d'extrêmement embarrassée à directive sur l'application des peines et des gages.

Cela retomba lorsque Léopoldine annonça la fin des réjouissances en manifestant son intention d'aller sociabiliser avec d'autres élèves. D'un mouvement de la tête en direction de Rebecca, elle fit comprendre qu'elle s'attendait à ce qu'elle la suive. La timide fille obtempéra en saluant d'un air de s'excuser.

– Je dirais que le défaut de Rebecca est sa gentillesse excessive, affirma Kouakou lorsqu'elles se furent éloignées. Elle semble avoir peur de blesser et souffre de beaucoup de honte d'avoir pu le faire.

Johanne le regarda de travers.

– J'ai lu des recueils de développement de soi et sur les troubles de l'affirmation, se défendit le garçon.

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