Chapitre 2 : Une autre famille...

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Le plan de vol prévoit de contourner notre étoile, pour quitter le système solaire, et rejoindre la Constellation de la Penderie, un peu plus loin dans la Voie Lactée.

Des éclairs zèbrent l'espace autour de moi et j'entends des impacts sur la carapace de mon vaisseau Clic-Clac. Parfois je perçois comme des ressorts qui couinent. Des coups de tonnerre viennent ébranler mes certitudes.

Alors j'ouvre un oeil et constate que dans ma vie "de tous les jours", il pleut et l'eau ruisselle avec force et crépitements sur les volets métalliques. Une forte odeur d'humidité imprègne la pièce. Il faut que je me pose sur un astéroïde.

Je descends de mon appareil en rebondissant sur la carlingue plutôt élastique et j'atterris sur le sol froid d'un linoléum. Je referme avec vigueur la fenêtre entrouverte de la chambre. Les éclairs et le tonnerre couvrent l'espace sonore de leurs puissantes vibrations.

Me voilà à l'abri dans ma vie d'adolescent.

Le téléviseur semble éteint et l'absence de lumière, passant sous les plis de Porte-Rideau de velours rouge, indique que la maisonnée dort. En jetant un coup d'oeil dans la salle à manger-salon, je vois la pendule à balancier, protégée par sa cloche de verre, assise sur le buffet-vaisselier, afficher une heure du matin.

Alors je commence ma ronde en visitant chaque pièce. Je passe en premier par la cuisine. J'entends de petits jappements de mon berger allemand Blacky étalé sous la table. Il devine bien sûr ma présence. Mais il espère un câlin en remuant la queue dans un fouettement nerveux.

Je lui caresse avec une grande douceur le corps et la tête et lui glisse une grosse bise sur le museau, tout en lui lissant les oreilles. Je le sais très content et moi aussi. Je me sens regonflé à bloc et l'orage s'éloigne en même temps que mes appréhensions nocturnes.

Je longe à présent un couloir qui mène vers les chambres à coucher, la salle d'eau et les toilettes. Par les portes entrouvertes, j'écoute les respirations lentes. Mes parents dorment. J'éprouve alors une vague d'infinie tendresse envers eux, ce qui contredit tout ce que je ressens à leur égard dans le quotidien.

Pourquoi suis-je exempt de relations d'affections et d'échanges en toute confiance et dans la bienveillance? La seule personne avec qui je me sente bien reste mon chien, rien que lui.

J'écoute encore.

Ma petite soeur de 3 ans dort dans une pièce penderie-lingerie. Dans leur chambre, les deux garçons semblent partis vers des terres lointaines où règnent Morphée. Je ris intérieurement à l'idée de n'avoir pas eu comme elle, une fratrie de 999 membres. J'imagine un instant leur rendre visite à chacun la nuit, pour m'assurer qu'ils dorment...

Alors je reviens sur mes pas et j'en profite pour uriner dans les toilettes. Depuis tout petit, j'éprouve le besoin de me lever la nuit pour me libérer. Parfois, cela devient un supplice de ne pouvoir le satisfaire en raison du risque de réveiller ma famille, mais aussi par le bruit susceptible de déranger les voisins.

Je me rappelle que plus jeune, mon père conçut l'idée brillante de m'attacher par un noeud coulant à la cheville de l'une de mes jambes, avec la ceinture de ma robe de chambre. Et d'en fixer l'autre extrémité au pied du sommier du lit. Et comme je craignais des représailles, j'évitais de songer à dénouer les liens. Et donc je luttais contre la douleur d'une vessie pleine ce qui irradiait jusque dans mon bas ventre.

Une autre anecdote me revient à propos de ces envies pressantes.

Mon berger allemand, durant ses premiers mois, éprouvait des difficultés à se retenir. Alors, je le descendais à l'extérieur de l'immeuble pour le promener dans les espaces verts et les sous-bois. Bien souvent, il ne pouvait s'y résoudre et il urinait dans l'ascenseur ou dans les escaliers. Il fallait alors monter, une opération commando-serpillère, pour effacer les traces et échapper ainsi aux foudres de madame la concierge.

Mes parents, et en particulier mon père, imaginèrent l'idée incroyable de fixer une épingle à linge au bout de la verge du pauvre animal. Sans effet, Blacky souffrait plus qu'autre chose pendant la descente des étages. Je m'interroge aujourd'hui sur cette faculté à déployer autant d'intelligence pour concevoir des choses aussi stupides et cruelles.

Tout en réfléchissant à ces souvenirs, me revoilà à présent dans la cuisine. Ces émotions m'ouvrent l'appétit et il me faut compléter en sucre, avant de remonter à bord de clic-clac. Je sais que dans la porte du réfrigérateur m'attend un tube de lait concentré de la marque Nestlé.

La technique paraît simple.

Dévisser le bouchon, avaler une goulée par effet de succion puis regonfler le tube pour susciter l'illusion. La bouche pleine, je me délecte de ce lait sucré fort agréable. Ebloui par la lumière de veille du réfrigérateur, je mets quelques instants à m'habituer à la pénombre après avoir refermé la porte de l'appareil.

Blacky se montre impassible, complice !

Je reviens sur mes pas et m'arrête à l'entrée de la salle à manger pour écouter la respiration paisible de toute la maisonnée. Dans cet instant, l'impression très agréable me vient que j'incarne le maître de ce monde et que j'exerce sur lui tous mes superpouvoirs extrasensoriels.

Tic-Tac la pendule me rappelle que je vais devoir me lever tôt pour aller en cours, et qu'il me reste quelques heures. Il faut donc que je termine ma mission de convoyage de galériens vers la prison de Placard-Double dans le quadrant nord de la Constellation de la Penderie.

Ces interruptions temporelles ressemblent à des arrêts sur image.

Je peux laisser une situation même catastrophique dans laquelle je détiens une part très active. Puis vaquer à mes occupations du moment, dormir, manger, travailler et revenir une nuit plus tard et reprendre à l'instant même où je me situais, le déroulement de l'aventure.

Je réalise ce côté extraordinaire.

Un peu comme dans ces jeux de plateforme ou en réseau que je découvrirai plus tard et sur lesquels des milliers de joueurs évoluent dans plusieurs mondes et sur différents niveaux grâce à Internet.

Je me souviens du succès de l'espace virtuel baptisé "Second Life". J'imagine que je vis quelque chose de similaire dédié à moi seul.

J'accède aujourd'hui à une très grande famille ! Elle s'appelle Humanité.

Depuis cette époque d'adolescent, me voilà à la tête de connaissances et de pouvoirs que je méconnaissais à l'âge de dix ans. Par ailleurs, la société d'aujourd'hui se montre complexe avec de nombreux codes de comportements. Mais cela pose peu de difficulté si j'accepte de suivre le mouvement.

Car il faut sans cesse s'adapter.

Ainsi, je dispose de la faculté de me projeter dans différents lieux, presque dans l'instant. Je regarde une carte postale ou un film, je lis l'histoire d'un auteur et quelques secondes plus tard, me voilà ailleurs. Extraordinaire, non ?

Il me suffit juste de me déplacer en visualisant par la pensée.

Il m'arrive ainsi d'entamer des conversations à déjeuner avec des collègues ou des inconnu(e)s. Le "miracle" se produit peu souvent mais quand il survient, j'éprouve un réel plaisir. En un clin d'oeil, le décor change. La table et les chaises quittent leurs assises, emportant avec elles leurs passagers vers des terres lointaines.

Je tente ainsi cette expérience.

Je cite alors : "Kenya, Tanzanie et nous voilà au pays des flamants roses, des rhinocéros, des éléphants, des guépards et des lions. De la poussière se soulève et à bord d'un 4x4, on se surprend à jubiler de plaisir au milieu des gnous, des gazelles et des zèbres. Au loin des girafes flirtent avec des acacias... "

J'évoque d'autres latitudes.

"Connaissez-vous l'Océan indien et ses iles à la végétation luxuriante de Madagascar, de la Réunion ou de Maurice. Et les Caraïbes. Un cigare que l'on enroule dans une feuille de tabac et la Havane nous tend les bras. Vieilles voitures, musiques cubaines... "

Je peux aussi pressentir des situations à venir.

On touche cette fois au "haut niveau". Bien sûr, cela peut ne pas réussir à tous les coups. On appelle cela, avoir un esprit de déduction, à la façon de Sherlock Holmes. Tout le monde pourrait réussir avec un peu de patience et surtout beaucoup d'observation et quelques enchaînements logiques. J'écoute avec intérêt une personne avec qui je passe un moment "délicieux" et je me surprends à deviner vers où elle m'entraîne.

Ai-je appris, enfermé dans Placard-Penderie ?

Vraisemblablement ! Tel un aveugle dans l'habit d'un super-héros comme Dardevil, je développais des capacités de perception, à fleur de peau, avec un goût extrême pour le tactile et le sensuel. Enfant, je me défendais de recevoir ces dons, mais à présent j'en accepte les bienfaits trop longtemps refusés.

Longtemps, je me suis couché de bonne heure... Mais c'était pour grandir !

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