Chapitre 17 - Vers l'inconnu

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La lumière tamisée du matin perçait à travers le couvert dense de la jungle. Le groupe progressait en silence, leurs pas étouffés par la mousse épaisse et les feuilles humides. Ils étaient huit : Takuya, Nym, Kaïla, et cinq membres du groupe de défense. Tous marchaient concentrés, chacun chargé d’armes rudimentaires ou de simples sacs de transport.

Takuya ouvrait la marche, en terrain connu. C’était la même zone qu’il avait autrefois explorée avec Nym, une bande de forêt dense mais praticable, entre les racines massives et les grands troncs noueux. L’air y était lourd mais calme. Aucune menace immédiate, juste l’odeur de la sève et de l’humus, familière désormais.

Lorsqu’ils atteignirent une clairière étroite entourée de fougères hautes, Takuya leva la main. Le groupe s’arrêta sans un mot. Devant eux, à une vingtaine de mètres, quatre silhouettes se déplaçaient lentement entre les buissons : des lapins cornus.

Ils étaient trapus, nerveux, la corne sur leur front encore plus épaisse que dans son souvenir. Mais à ses yeux, ils paraissaient… lents. Moins menaçants. Presque familiers. Une étrange sérénité s’empara de lui.

— « CAINE… affiche-moi mes compétences. »

Une seconde plus tard, une interface translucide, bleutée, surgit devant ses yeux. Lui seul pouvait la voir. Elle brillait doucement, incrustée d’icônes familières et de textes clairs.

> [Fenêtre de Statut]
Nom : Takuya
Rang : Soldat – Niveau 1 (Confirmé)
Compétences :
• Méditation – Niv. 3
• Manipulation du mana – Niv. 2
• Acuité visuelle améliorée – Niv. 3
Bonus passifs : Force +10 %, Constitution +10 %
Analyse tactique assistée : Activée

Il resta figé un instant devant l’interface.

— « Qu’est-ce que c’est, CAINE ? »

La réponse fut nette :

— « Une fenêtre système. Ou ce que vous appeliez, dans votre ancienne vie, une fenêtre de statut. »

Takuya referma la fenêtre d’un simple clignement de regard, comme un réflexe qu’il ne savait pas avoir.

Il se tourna vers les autres.

— « Restez en arrière. Ne bougez pas. »

Il ne leur laissa pas le temps de répondre.

Il s’élança.

Comme une flèche. Une balle de tennis tirée à pleine vitesse. Un souffle qui fend l’air.

Kaïla écarquilla les yeux. Nym eut un pas de recul. Les autres restèrent figés.

En une fraction de seconde, Takuya avait dégainé l’arme fixée à son dos. Ce n’était plus son ancienne lame artisanale, trop usée. C’était l’épée de Varek. Une lame lourde, d’un acier sombre, marquée de veinures rouges presque vivantes.

Il arriva sur les lapins comme un spectre.

Le premier n’eut pas le temps de bondir. Sa tête roula dans l’herbe, nette, propre.

Takuya stoppa son mouvement, pivota légèrement, tenta une chose. Il ferma les yeux un instant, concentra son souffle, guida son mana dans le manche de l’épée. Rien.

Il recommença, plus précisément. Mais toujours rien. La lame resta muette.

— « CAINE ? »

— « Canalisation du mana détectée. Résistance interne : élevée. Catalyseur manquant. Connexion partielle. »

Il fronça les sourcils. Il lui manquait encore quelque chose pour activer la lame comme Varek l’avait fait.

Il inspira. Puis reprit.

Il tua deux autres lapins en quelques secondes, sans qu’aucun ne puisse riposter.

Puis il recula.

Il retourna vers le groupe, essuyant la lame dans une touffe d’herbe humide.

— « Nym. Le dernier est pour vous. »

Nym redressa la tête. Takuya le regarda droit dans les yeux.

— « Dirige-les. »

Nym hocha la tête, et se retourna vers les cinq autres combattants.

— « On y va. En formation. »

Ils s’élancèrent. Takuya, cette fois, resta en arrière.

— « CAINE. Analyse le maniement de l’épée. Et le comportement du groupe. »

— « Analyse en cours. »

La bataille fut brève. Le dernier lapin donna plus de mal que prévu. Un homme fut blessé à l’épaule, un autre au flanc. Mais ils tinrent bon.

Nym porta le coup final. Et, à deux reprises, il intervint quand l’un des siens était en difficulté, sans chercher la gloire, juste l’équilibre.

Lorsque tout fut terminé, CAINE signala :

— « Comportement observé : Nym agit en défense d’équipe. Priorité donnée à la protection. Coordination intuitive. Indicateur de commandement positif. »

Takuya hocha la tête lentement, regardant le garçon qui revenait vers lui, essuyant une goutte de sueur sur son front.

Et il pensa, sans le dire : Il progresse.

Quelques heures s’étaient écoulées depuis l’élimination des lapins cornus. Le groupe de défense s’était organisé, assurant le périmètre autour de la clairière. Nym supervisait les rondes avec sérieux. Pas d’ordres superflus, pas de bavardage. Il se contentait de gestes, de regards, et parfois d’un mot bref. Les membres de son unité commençaient à fonctionner comme un groupe, non plus comme des survivants dispersés.

Takuya, lui, avait pris de la hauteur, adossé contre un arbre aux racines saillantes. Il observait tout sans intervenir. Chaque déplacement, chaque changement de posture, chaque échange entre les membres du groupe, tout passait par le filtre de son regard analytique. Il ne jugeait pas. Il mesurait.

Le silence fut brisé par des bruits de pas et le craquement léger des branches sous le poids de sacs et d’outils. Lioran émergea du couvert des arbres, suivi de trois hommes. Chacun portait une charge légère : hache, corde, sacs de toile tissée à la main.

— « On est là, » dit Lioran en s’arrêtant devant Takuya. « Tout s’est passé sans accroc. »

Takuya descendit de son point d’observation et hocha la tête.

— « Installez-vous là-bas. Zone dégagée, peu d’obstacles. »

Il désigna un secteur légèrement en retrait de la clairière, où les arbres étaient plus espacés.

— « Priorité au bois sec. Tronc droit. Évitez ceux trop proches du sol ou malades. »

— « Reçu. »

Lioran s’éloigna aussitôt avec ses hommes, qui se mirent au travail. Les haches improvisées résonnèrent faiblement dans la canopée. Ils ne parlaient pas. Chacun savait que la jungle n’aimait pas le bruit.

Kaïla, toujours en retrait, observait d’un œil aiguisé. Elle circulait lentement entre les arbres, à la lisière de la clairière, les sens en alerte. Takuya la laissa faire. Elle n’avait pas besoin d’instructions.

— « Nym, situation ? » demanda-t-il sans hausser la voix.

Le jeune homme s’approcha.

— « Trois binômes en surveillance. Pas de mouvement depuis deux heures. Le terrain est stable. Visibilité moyenne. Le vent est en notre faveur. »

Takuya hocha lentement la tête.

— « Continue. Si quelque chose change, tu m’alerteras avant d’agir. »

Nym acquiesça, puis retourna à ses hommes. Il n’était plus hésitant. Il coordonnait. Il mesurait ses mots. Et surtout, il n’attendait pas l’approbation pour agir. Takuya apprécia.

CAINE activa une légère alerte mentale.

— « Analyse comportementale : coordination stable. Stress groupal maîtrisé. Nym synchronisé à 87 % avec membres de défense. »

Takuya sourit intérieurement. Même sans expérience militaire, ils formaient déjà un noyau.

Il s’approcha de Lioran, qui inspectait un arbre à l’écorce sombre.

— « Trop fibreux, celui-là. Bois creux. Prends le suivant. Tronc plus large, teinte plus claire. »

Lioran acquiesça.

— « Tu t’y connais aussi ? »

— « J’observe. Je ne sais pas tout, mais j’apprends vite. »

— « Tu veux que je fasse un tri en fonction du grain ? »

— « Oui. Bois dur pour le four. Bois tendre pour les manches d’outils. Tu sépares. Marque les sacs. »

Lioran siffla bas, impressionné, puis repartit sans insister.

Le temps passa. Le ciel s’était assombri légèrement, mais la lumière filtrait encore à travers les hautes branches. Kaïla revint vers le centre de la clairière.

— « RAS. Aucun mouvement suspect. Mais des traces récentes, à l’est. »

— « Lapins ? »

— « Ou rongeurs plus gros. Les marques sont nettes. Pas de griffes. »

Takuya fit un signe à Nym, qui envoya un duo vérifier.

CAINE : « Surveillance à 92 %. Aucun signal biologique immédiat. Niveau de dangerosité : faible à modéré. »

Tout se tenait. Pour l’instant.

Les sacs se remplirent lentement. Bois, écorces, quelques fruits semblables à des pommes, rassemblés sous une bâche tendue à même le sol. Les défenseurs aidaient à charger. Tout le monde bougeait. Pas de gestes inutiles. Pas de bavardage inutile.

Takuya se retira à la lisière du périmètre. Il posa un genou à terre, marqua un symbole discret sur un rocher plat. Un repère. Pour revenir.

Il nota aussi dans son esprit :

Zone : clairière 2-B
Statut : sécurisée
Ressources : bois dur / tendre / fruits comestibles
Présence défensive établie. Coordination confirmée.

Quand il se redressa, Kaïla était à côté de lui.

— « Tu ne dors jamais ? » dit-elle sans le regarder.

— « Je dors quand je peux. »

— « Tu sais qu’ils t’écoutent même quand tu ne parles pas ? »

— « C’est le but. »

Elle hocha la tête. Pas en approbation. En reconnaissance.

Les ombres commençaient à grandir. Takuya leva la main.

— « On regroupe. Préparez les charges. On repart avant la tombée de la nuit. »

Tous réagirent sans attendre.

La journée n’avait pas été spectaculaire. Pas d’ennemi. Pas de révélation. Mais elle avait été propre. Ordonnée. Stratégique. Et surtout, elle avait été un succès sans perte.

Le genre de victoire dont les villages naissent.

Takuya posa un dernier regard sur le périmètre. Le groupe tenait. Nym surveillait, Kaïla gardait ses distances. Lioran et ses hommes continuaient de découper méthodiquement les branches désignées. Rien n'indiquait d’imminent danger.

— « Kaïla. Viens. »

Elle s’approcha sans poser de question. Takuya leva brièvement la main vers Nym en signe de transmission. Nym acquiesça d’un simple mouvement de tête : il comprenait qu’il était en charge pour ce laps de temps.

Takuya et Kaïla s’enfoncèrent ensemble dans la jungle, suivant une pente douce recouverte de feuilles brunes. Ils ne parlaient pas, seulement attentifs au bruit du sol, aux frémissements dans les feuillages, aux motifs de lumière filtrant entre les branches.

— « Suis mes pas. Reste à distance égale. Ne touche rien que je n’aie pas validé. »

— « Compris, Takuya, » répondit-elle simplement, le ton net mais respectueux.

Ils traversèrent un segment humide de sous-bois. Takuya s’agenouilla près d’une plante à tige verte, large, dont les nervures brillaient faiblement à la lumière. Il coupa un échantillon, le tendit à Kaïla.

— « Fibre dense. Structure en spirale. Possible textile ou catalyseur d’absorption. »

CAINE confirma :
— « Structure lignocellulosique avec traces minérales. Non toxique. Analyse complémentaire nécessaire. »

Ils poursuivirent. Une touffe de champignons aux reflets bleu nuit tapissait un tronc pourri. Takuya s’approcha, marqua l’endroit avec un éclat de pierre.

— « Pas touche. Irrégulier. Trop visqueux. »

Kaïla s'accroupit à côté de lui.

— « Est-ce que vous identifiez tout ça par expérience… ou par analyse, Takuya ? »

— « Pas d’instinct. Juste doutes organisés. »

Elle eut un léger sourire. Puis, au détour d’un petit massif de fougères, elle demanda soudain, plus prudemment :

— « Puis-je vous poser une question personnelle ? »

Il se tourna lentement vers elle, surpris.

— « Vas-y. »

— « Quel est votre âge ? »

Takuya ouvrit la bouche… et resta silencieux. L’information n’avait jamais semblé utile. Dans son ancienne vie, oui…

— « Vingt-neuf ans, » dit-il d’abord, par automatisme. Puis il fronça les sourcils.

— « Attends. »

Mentalement :
— « CAINE. Âge physique approximatif de mon corps ? »

La réponse tomba aussitôt.
— « Âge estimé : 35 ans biologiques. Croissance cellulaire stabilisée. »

Takuya sentit sa mâchoire se crisper.

— « Trente-cinq… ? » murmura-t-il.

Il inspira lentement, et se tourna vers Kaïla.

— « Trente-cinq. »

Elle le fixa un instant, puis inclina la tête légèrement.

— « Ce n’est pas un âge si avancé. Vous êtes toujours impressionnant. »

Takuya haussa un sourcil.

— « Pas si ? »

Elle se reprit aussitôt.

— « Je voulais dire… le maître Ranh m’a appris qu’il était plus difficile de progresser physiquement après un certain âge. Mais cela ne semble pas vous freiner. »

La petite bulle d’assurance qui avait gonflé dans la poitrine de Takuya éclata sans bruit. Il ferma les yeux une seconde.

— « …Génial. »

— « Je vous respecte pour ça, Takuya. »

Il se redressa, reprit son sac de collecte, et lança, sans se retourner :

— « Tu parles trop. Continue. »

Mais il souriait.

Ils récupérèrent encore deux échantillons. Une baie translucide qu’il connaissait déjà, ainsi qu’une tige aux reflets rouges que CAINE identifia comme « à effet potentiel sédatif ou inflammatoire ».

Plus loin, Takuya repéra une nouvelle variété : une baie aux reflets argentés, légèrement poisseuse au toucher. CAINE déclara : « Structure interne riche en liquide. Composants inconnus. Aucune toxicité immédiate détectée. Goût non analysé. » Il l’enveloppa dans une feuille souple pour la conserver.

Enfin, ils tombèrent sur une étrange liane fine, emmêlée sur elle-même, comme tressée par un motif naturel. Takuya coupa un segment d’un geste précis.

— « Texture fibreuse. Elle pourrait servir de lien ou de base textile. On testera. »

CAINE : « Élasticité stable. Potentiel d’usage : cordage, fixation légère. »

Lorsqu’ils revinrent au point de regroupement, le ciel commençait à s’assombrir. Kaïla ne dit rien. Mais elle tenait le sac de collecte avec une prudence précise, presque méticuleuse.

Et Takuya savait qu’elle avait tout retenu.

La lumière commençait à baisser lorsque Takuya et Kaïla revinrent au point de regroupement. L’air avait changé. Moins humide, plus dense. La chaleur s’atténuait sous le couvert de la canopée, et les ombres s’étirant entre les troncs tordus annonçaient la fin de la journée.

Takuya fut le premier à sortir du sous-bois. Il s’arrêta brièvement au sommet d’un petit talus de terre meuble pour observer la clairière. Ce qu’il vit lui tira un lent hochement de tête.

Le camp avait évolué.

Une grande bâche tendue entre trois troncs formait un abri sommaire. Les sacs de transport étaient répartis par type de contenu : bois sec empilé à gauche, branches tendres à droite, et au centre, des fruits à la peau rugueuse, semblables à des pommes sauvages, reposaient dans un filet de corde torsadée. Lioran et deux des artisans triaient encore des morceaux de tronc. Un d’eux gravait des symboles discrets sur les sacs, probablement pour les distinguer plus tard.

Kaïla le rejoignit en silence. Ils descendirent ensemble vers le camp. Nym les aperçut le premier et s’avanca à leur rencontre.

— RAS pendant votre absence. Deux blessés mineurs, soignés par compressions. Aucun mouvement suspect depuis la dernière ronde. Le vent reste stable. Visibilité moyenne.

Takuya s’immobilisa face à lui.

— Tu as fait exécuter les tours ?

Nym acquiesça.

— Trois binômes. Rotation toutes les vingt minutes. On évite les angles morts, on reste haut si possible.

— Bien.

Il ne dit rien d’autre. Nym n’attendait pas de louanges. Il salua brièvement et repartit.

Kaïla, elle, se dirigea vers les fruits empilés et vérifia leur état, effleurant les peaux avec une méthode silencieuse. Son regard glissa vers Takuya de temps en temps, mais elle ne dit rien.

Il fit lentement le tour du camp. Un défenseur agenouillé réparait un lien de cuir avec des gestes précis. Un autre testait l'équilibre d’une pique en bois, le poids compensé par un enrobage de racine sèche. Pas de rires. Pas de bavardage.

Il ne donna aucun ordre.

Et pourtant, tout fonctionnait.

CAINE murmura à son oreille interne :

> « Niveau de coordination : stable. Stress résiduel modéré. Cohésion tactique émergente. »

Takuya s’agenouilla près d’une souche, effleura un rocher plat, et grava à sa surface un repère discret : un cercle divisu00e9 en quatre. Un code. Une mémoire pour plus tard.

Il observa l’ensemble du dispositif d’un regard lent. Les arbres étaient alignés comme des piliers. La clairière respirait la discipline et la méthode. Lioran, accroupi près d’un fagot, lui adressa un regard satisfait.

— Trente kilos de bois sec. Une dizaine de kilos de tendre. J’ai noté les essences. Deux que je ne reconnais pas, mais l’une brûle plus vite. Je préfère garder pour les tests.

Takuya hocha la tête.

— Bien vu. Tu penses pouvoir réutiliser la fibre ?

— Peut-être pour des liens ou des paniers. Faudra tremper, laisser sécher. Mais ça peut tenir.

Une rumeur lointaine les fit se figer. Un craquement. Sourds, réguliers. Comme un tambour invisible.

Nym leva la main à distance. Les défenseurs se figèrent. Plus un bruit. Même le vent semblait s’être tu.

CAINE :

> « Mouvement à distance. Direction : nord-nord-est.

Masse estimée : 500 kg. Déplacement non ciblé. Aucune approche. »

Takuya ferma les yeux un instant. Puis les rouvrit.

— Nym. Replis progressif. Forme triangle inversé. Gardes en tête et en queue. Kaïla avec moi.

Pas de panique. Juste un basculement de tempo. Les charges furent arrimées, les sacs distribués. Aucun cri. Aucun flottement.

Takuya repassa près de son repère, le renforça. Un double cercle cette fois. Marque d’un endroit à reprendre. Il voulait revenir. Ce site était prometteur.

Il jeta un dernier regard à la clairière. Le bois empilé. Les traces de pas. La structure naissante.

Tout avait fonctionné. Sans qu’il le porte. Sans qu’il parle. Il inspira doucement.

Je pourrais disparaître trente minutes… et ils continueraient.

CAINE, silencieuse, confirma :

> « Capacité de fonctionnement autonome : en progression. Niveau de dépendance stratégique : en baisse. »

Takuya ne répondit pas. Il n’en avait pas besoin. Il tourna les talons et suivit le groupe qui entamait le repli.

C'était le genre de victoire qui ne s’annonce pas.

Mais qui s’enracine.

---

Le vent s'était levé.

Subrepticement, comme s'il avait attendu la fin des travaux. Il s'infiltrait entre les troncs, soulevait de légers tourbillons de feuilles mortes, faisait vibrer les feuillages comme une respiration retenue trop longtemps. Takuya leva les yeux, puis les ferma. Il n'était pas encore inquiet. Mais il savait. Quelque chose approchait.

Ce ne fut pas un cri. Ni un rugissement. Mais un bruit. Profond. Organique. Presque rythmé. Un battement diffus, comme si la jungle elle-même avait un cœur, et que celui-ci accélérait lentement.

Les autres s'arrêtèrent d’eux-mêmes. Aucun ordre n'était nécessaire. Tous comprenaient, même sans le dire : quelque chose avait changé.

— CAINE, murmura Takuya. Analyse du bruit.

> « Analyse en cours. Origine : est-sud-est. Vibration terrestre. Déplacement multiple. Masse estimée : supérieure à 1 500 kg cumulés. Faible vitesse. Aucune trajectoire de collision détectée. »

Il rouvrit les yeux. Les feuilles ne bougeaient plus. Ou plutôt, elles vibraient à peine, trémulaient sous une onde qu’on ne voyait pas. Kaïla se rapprocha instinctivement. Nym se tenait debout, immobile, les yeux fixés vers la pénétration des bois.

Takuya parla doucement, mais avec clarté :

— Ce n'est pas une attaque. Mais ce n'est pas anodin. On replie.

Il se tourna vers Nym.

— Formation inversée. Priorité aux porteurs. Gardes à l'arrière et en flanc droit. Pas de lumière. On quitte la zone en silence.

Nym acquiesça d'un simple geste et se mit en mouvement sans répondre. Les autres suivirent. Les outils furent ramassés, les charges resserrées. On desserra les cordes sans faire grincer le bois. Chacun savait quoi faire. Et surtout, chacun avait compris que le temps était compté.

Takuya s'éloigna brièvement du groupe. Il s'accroupit près de la souche qu'il avait repérée, sortit un morceau de charbon à demi consumé de sa poche et traça un double cercle à l’intérieur du repère déjà existant. Deux lignes parallèles autour du symbole central. Un marquage codé : zone utile mais instable. Ne pas revenir seul.

Il souffla doucement.

Zone 2-B. Incomplète. Trop prématurée. On reviendra.

Kaïla l'observait à distance, les yeux plissés. Elle n’avait pas bougé. À ses côtés, Lioran s’était figé, les bras chargés. Il déclara à mi-voix :

— On aurait pu tenir encore. Ça n’avait pas l’air agressif.

Takuya se redressa. Son regard était calme.

— On aurait pu. Mais pas aujourd’hui.

Puis il tourna les talons. Le groupe s'était déjà mis en route, progressant en file compacte. Il prit place en queue de formation, à côté de Kaïla. Aucun mot ne fut échangé.

La jungle, elle, semblait respirer derrière eux.

Et ce qu’elle avait montré aujourd’hui n’était qu’un avertissement.

Le vent s'était levé.

Subrepticement, comme s'il avait attendu la fin des travaux. Il s'infiltrait entre les troncs, soulevait de légers tourbillons de feuilles mortes, faisait vibrer les feuillages comme une respiration retenue trop longtemps. Takuya leva les yeux, puis les ferma. Il n'était pas encore inquiet. Mais il savait. Quelque chose approchait.

Ce ne fut pas un cri. Ni un rugissement. Mais un bruit. Profond. Organique. Presque rythmé. Un battement diffus, comme si la jungle elle-même avait un cœur, et que celui-ci accélérait lentement.

Les autres s'arrêtèrent d’eux-mêmes. Aucun ordre n'était nécessaire. Tous comprenaient, même sans le dire : quelque chose avait changé.

— CAINE, murmura Takuya. Analyse du bruit.

« Analyse en cours. Origine : est-sud-est. Vibration terrestre. Déplacement multiple. Masse estimée : supérieure à 1 500 kg cumulés. Faible vitesse. Aucune trajectoire de collision détectée. »

Il rouvrit les yeux. Les feuilles ne bougeaient plus. Ou plutôt, elles vibraient à peine, trémulaient sous une onde qu’on ne voyait pas. Kaïla se rapprocha instinctivement. Nym se tenait debout, immobile, les yeux fixés vers la pénétration des bois.

Takuya parla doucement, mais avec clarté :

— Ce n'est pas une attaque. Mais ce n'est pas anodin. On replie.

Il se tourna vers Nym.

— Formation inversée. Priorité aux porteurs. Gardes à l'arrière et en flanc droit. Pas de lumière. On quitte la zone en silence.

Nym acquiesça d'un simple geste et se mit en mouvement sans répondre. Les autres suivirent. Les outils furent ramassés, les charges resserrées. On desserra les cordes sans faire grincer le bois. Chacun savait quoi faire. Et surtout, chacun avait compris que le temps était compté.

Takuya s'éloigna brièvement du groupe. Il s'accroupit près de la souche qu'il avait repérée, sortit un morceau de charbon à demi consumé de sa poche et traça un double cercle à l’intérieur du repère déjà existant. Deux lignes parallèles autour du symbole central. Un marquage codé : zone utile mais instable. Ne pas revenir seul.

Il souffla doucement.

Zone 2-B. Incomplète. Trop prématurée. On reviendra.

Kaïla l'observait à distance, les yeux plissés. Elle n’avait pas bougé. À ses côtés, Lioran s’était figé, les bras chargés. Il déclara à mi-voix :

— On aurait pu tenir encore. Ça n’avait pas l’air agressif.

Takuya se redressa. Son regard était calme.

— On aurait pu. Mais pas aujourd’hui.

Puis il tourna les talons. Le groupe s'était déjà mis en route, progressant en file compacte. Il prit place en queue de formation, à côté de Kaïla. Aucun mot ne fut échangé.

La jungle, elle, semblait respirer derrière eux.

Et ce qu’elle avait montré aujourd’hui n’était qu’un avertissement.

La plaine s'étendait devant eux, baignée dans les dernières lueurs mordorées du jour. Le sol, dur et poussiéreux, portait encore les traces récentes de pas, de roues, de traînées de bois. Takuya reconnaissait chaque irrégularité, chaque butte réduite, chaque pierre déplacée. C'était le chemin qu'ils avaient frayé. Le retour n'était pas une fin : c'était une reprise.

Crochebois apparut sans surprise. À flanc de colline, sans muraille pour le protéger, sans tour de guet, sans cri de bienvenue. Juste une silhouette modeste de toits rafistolés, de poutres dressées, de bâches tendues entre des piquets de fortune.

Mais il y avait de la lumière.

Une lueur rougeoyante filtrait entre les interstices d'une construction en cours : le futur bâtiment d'artisanat. Une autre émanait du coin sud, là où Ysilde et son groupe travaillaient depuis deux jours à creuser un trou selon les indications de Takuya. Une troisième flamme, plus vacillante, marquait l'arrière de l'abri du vieux Ranh, près du champ naissant.

Le groupe ne ralentit pas. Mais il se redressa. La ligne de marche se tendit. Les dos se redressèrent. Ce n'était pas la peur de montrer de la fatigue. C'était le respect de ceux qui attendaient.

Brann descendit de l'échafaudage qu'il consolidait depuis le matin. Il avait encore les mains pleines de sciure, le regard concentré, légèrement surpris de voir le groupe rentrer entier.

Ysilde émergea de la zone de forage, les bras barbouillés de terre, une pellicule de sueur sur le front. Elle s'essuya machinalement les joues avec un coin de son châle, puis accéléra le pas.

Ranh sortit de l'ombre de son abri. Il ne dit rien. Il observa.

Takuya ne s'avanca pas davantage. Il laissa le groupe franchir les dernières dizaines de mètres. Les gestes suivaient. Le bois fut dirigé vers la zone à plat, entre l'entrepôt en cours de montage et l'atelier. Brann y jeta un coup d'œil, puis se pencha, souleva une bûche.

— Tronc sec. Belle résonance. Ça va bien cramer, ça.

Il siffla bas.

— Et celui-ci... ouais. On pourra en faire des traverses. Du solide.

Il ne dit pas merci. Il n'en avait pas besoin. Takuya non plus. Tout était dit dans son ton.

Kaïla et deux des défenseurs livrèrent les sacs de fruits et d'échantillons botaniques à Ysilde, qui les ouvrit sans attendre. Elle triait, identifiait, posait des questions brèves :

— Celle-là, tu l'as cueillie où ?

— Tige crochue, feuille nervurée : il y en avait d'autres ?

— Cette peau brillante, tu l'as testée ?

Kaïla répondait sans hésiter, presque comme un rituel. Elle n'avait pas besoin de notes. Elle avait tout retenu. Ysilde, après un moment, fit une pause et la regarda différemment. Plus comme une jeune aide. Comme une future partenaire.

Nym, de son côté, était resté en retrait. Mais Ranh s'approcha lentement.

— T'es rentré entier. C'est déjà pas mal.

Nym ne sourit pas. Il acquiesça.

— Deux blessés légers. Aucun évanoui. Formation respectée. Retrait anticipé sur signal CAINE. Pas de pertes.

Ranh le fixa un moment. Puis, à mi-voix :

— T'as pris les bonnes décisions. Tu t'en rends compte ?

Nym ouvrit la bouche. La referma. Puis hocha la tête, lentement.

Takuya n'intervint pas. Il ne bougea pas. Ranh ne le regarda même pas. Mais tout avait été compris.

Brann s'approcha.

— Bois dur dans l'atelier. Tendre dans l'abri, sous la toile. Je lance la taille dès demain.

— Prends Lioran. Il sait ce qu'on veut pour les renforts latéraux.

— Reçu.

Ysilde leva les yeux de son tas de plantes.

— Je mets à part celles que je reconnais pas. On fera bouillir quelques fibres pour voir si ça réagit.

— Stocke celles à peau tendre à l'ombre, dans les paniers d'osier. Les autres, sèches-les en couche fine.

Elle fit un geste affirmatif, déjà tournée vers ses affaires.

Lioran demanda simplement :

— On reprend les échafaudages au lever du jour ?

Takuya réfléchit une seconde.

— Bois tendre d'abord. Tu places les poutres, Brann cloue. Pas de chevilles avant demain.

Un simple hochement de tête en guise de réponse.

La scène dura encore quelques instants. Puis le groupe se dispersa. Aucun mot de trop. Aucune salutation.

Kaïla resta avec Ysilde. Nym rejoignit l'abri temporaire des défenseurs. Brann retourna à ses schémas gravés à même le sol. Ysilde fit signe à deux cultivateurs de reprendre les mesures vers le sud.

Takuya resta seul.

Il s'assit sur une pierre plate, à l’entrée du futur entrepôt. Il observa les lueurs. Les mouvements. Les choix.

Le village ne se tenait pas encore debout. Mais il avait commencé à respirer.

---

La nuit était tombée depuis un moment. Le village s’était assoupi. Seules quelques braises rougeoyaient encore devant les abris, et le silence s’était installé comme une couverture sur Crochebois.

Takuya était resté éveillé. Debout, à la lisière du village, là où la terre des hommes cède à l’indomptable chaos de la jungle. Les arbres formaient un mur d’ombres, leurs silhouettes dressées contre un ciel constellé d’étoiles. Le vent s’était arrêté. Tout semblait figé.

Mais dans son esprit, les questions se heurtaient.

Le bruit.

Ce bruit lourd, sourd, ressenti plus qu’entendu, avant qu’ils ne quittent la jungle. Une vibration. Une vague d’une densité que CAINE avait estimée à 1 500 kg.

— « CAINE. Tu confirmes ? »

— « Donnée stable. Masse estimée : 1 520 kg. Direction sud-est. Mouvement lent. Non hostile à ce jour. »

Takuya ferma les yeux. Il revit la clairière. Les traces. L’air trop calme.

Je n’ai encore vu que des rongeurs. Des lapins cornus. Deux mantes géantes. Rien qui justifie un tel déplacement.

— « Est-ce une espèce que je n’ai pas encore rencontrée ? »

CAINE resta silencieuse un instant.

— « Inconnu. Aucune correspondance avec les bases de données établies. »

Takuya inspira longuement. Il savait déjà.

La prochaine expédition ne sera pas pour récolter. Ce sera pour reconnaître. Pour comprendre.

Il s’agenouilla lentement. S’assit en position de méditation, les genoux ancrés dans le sol frais, les mains posées sur ses cuisses. La respiration lente. Contrôlée.

— « CAINE. Où en est la traduction du livre de Ranh ? »

— « Traduction suspendue. Dégâts matériels trop importants. Capacité actuelle de reconstruction lexicale insuffisante. »

Il hocha la tête. Il s’y attendait.

— « Tu avais pu traduire le titre. »

— « Oui. Titre estimé : Maître des Barrières. »

Un silence. Puis :

— « As-tu pu extraire autre chose ? »

— « Affirmatif. Une méthode de respiration similaire à votre méditation, mais structurée pour absorber plus efficacement l’énergie ambiante. Et une liste partielle de symboles à effet. Cinq identifiables. »

Takuya releva la tête.

— « Des runes ? »

— « Des symboles activables via votre propre mana ou par absorption de l’énergie environnementale. Fonction exacte inconnue. Des tests sont requis. »

— « Transfère-les. »

— « Transfert en cours. Données intégrées. Mise en mémoire tampon. »

Une légère pression s’infiltra dans l’arrière de son crâne. Comme une idée qu’on n’avait pas encore pensée. Une graine de connaissance.

— « Ce n’était qu’un premier pas. » murmura-t-il.

Derrière lui, le village dormait. Devant lui, la jungle attendait.

Et entre les deux, Takuya s’enfonçait, seul, dans l’inconnu.

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