Chapitre 2 - Hubert de Saint-Brys
Chapitre 2 - Hubert de Saint-Brys
1972
Hubert de Saint-Brys était un homme comblé. En sa qualité de riche planteur colon et d'aîné de la fratrie, il avait hérité du domaine familial ainsi que plusieurs hectares de terres environnantes. Chez les de Saint-Brys, comme chez leurs cousins, les traditions se perpétuaient de génération en génération. Ainsi cultivait-on la canne à sucre depuis des siècles, sur des terres arables à perte de vue, véritable matière première de sa sucrerie comme de sa distillerie, d'où il sortait le meilleur rhum de la région. Une reconnaissance dont il était très fier même s’il ne le criait pas sur tous les toits. Ce secteur ayant connu une crise majeure dans les années 60, Hubert et les autres planteurs avaient alors recentré la majeure partie de leur activité sur la banane, qui peu à peu avait également remplacé les cultures de café et de cacao, devenant ainsi la première richesse agricole de l'île.
La banane aurait pu aussi bien disparaître... Depuis de nombreuses années, un insecte, connu sous le nom de charançon ou de " Cosmopolites sordidus " , s'en prenait directement aux bananeraies de l'île, jusqu’à en menacer son économie. Ses attaques, principalement nocturnes, consistaient à déposer ses œufs dans les racines du bananier, réduisant au fil des jours la vigueur de la plante, quand ils ne la tuaient pas d’emblée. Face aux inévitables baisses de production et devant le mécontentement général, l'UPM* avait décidé d'intervenir. De son côté, Hubert de Saint-Brys, après avoir tout tenté pour sauver sa récolte, plaçait ses derniers espoirs dans une nouvelle génération d'insecticide : le Corostylen. Innovant, toxique et efficace. Très efficace même, et tout le reste lui semblait sans importance.
En homme avisé et pragmatique, car c’est ainsi qu’il se définissait, il n’avait pas hésité longtemps. Non, il n’était pas du genre à rester les bras croisés lorsqu’une menace de cette envergure s’apprêtait à ruiner ses intérêts. À l'instar de ses ancêtres qui avaient dû « livrer bataille » pour s’approprier les terres appartenant aux amérindiens depuis la nuit des temps, il allait exterminer une fois pour toutes ce coléoptère au rostre recourbé, nuisible à ses récoltes et à son business et peu importait les moyens ! Assis sous le feuillage ombragé du Zamana*, il réfléchissait : prendre la décision d’utiliser ce produit était une chose, mais comment parvenir à le faire accepter à l’ensemble des planteurs ? Savaient-ils seulement où ils mettaient les pieds ?
*Descendants des premiers blancs européens installés sur l'île
*Union des producteurs de la Martinique
*Arbre majestueux de grande envergure, servant autrefois à protéger les plantations de café et de cacao. Certains ont plus de trois cents ans.
Annotations
Versions