Chapitre 11 – Marcel
Chapitre 11 – Marcel
Mercredi 5 mars 2014. CHU de Fort de France
Marcel ouvrit les yeux. Il était de nouveau dans sa chambre, Lucie à ses côtés, assoupie dans le fauteuil. Soudain, il pensa à sa mère, qui n’était probablement pas encore au courant, et qu’il ne faudrait pas oublier de prévenir. Il regarda sa femme, ému par son dévouement, et prit conscience peut-être pour la première fois à quel point sa présence lui était indispensable. Il s’en voulut de l’avoir fait souffrir et se jura de tout faire pour la rendre heureuse à l’avenir. Il fut bientôt interrompu dans ses pensées par de nouveaux petits coups frappés à la porte, qui réveillèrent Lucie. Le médecin entra.
— Je peux vous parler ? Nous avons reçu le résultat de votre biopsie.
— Déjà ? s’étonna Marcel.
— Oui, devant la recrudescence de problèmes liés à la prostate, notre hôpital a fini par investir massivement dans des techniques innovantes de diagnostics. L’anxiété étant un facteur aggravant, nous avons estimé que prendre en charge nos patients rapidement leur évitait une attente angoissante et donc préjudiciable.
Mais j’avais une question à vous poser : j’ai cru comprendre que vous veniez de Paris. Habitiez-vous en Martinique auparavant ?
— Oui, j’ai passé toute mon enfance et mon adolescence ici.
— Votre maison se situait-elle à proximité d’une plantation de bananes ?
— Oui ! Comment le savez-vous ?
— Nous avons retrouvé dans votre sang un taux élevé de Corostylen. Connaissez-vous ce produit ?
— Non.
— C’est un insecticide utilisé massivement par les planteurs, pendant plus de quinze ans à partir des années soixante-dix, pour venir à bout d’un insecte qui ravageait leurs plantations. Des études sérieuses ont démontré qu’il était toxique, non seulement pour l’espèce humaine mais également animale et végétale. Habitant à proximité, vous avez sûrement été intoxiqué par cette poudre inodore et incolore, épandue sur les bananes de la plantation.
Silencieuse et concentrée, Lucie écoutait les explications du médecin. Elle avait une boule dans la gorge. Surtout, ne pas pleurer.
— Attendez, vous êtes en train de me dire que pendant des années, j’ai été intoxiqué en toute impunité ?
— Écoutez, restons-en là pour l’instant voulez-vous. Je suis médecin, pas juriste. Mon travail consiste exclusivement à vous ôter cette tumeur le plus rapidement possible, dans votre intérêt.
— Une tumeur ! Sinon quoi ? Je vais mourir, c'est ça ?
— D’accord, laissez-moi vous parler franchement. Vous êtes atteint d’un cancer de la prostate à un stade très avancé. Peut-être aviez-vous remarqué des signes avant-coureurs tels qu’une fatigue intense, des douleurs au bas du dos, au niveau des hanches et des cuisses et enfin du sang dans vos urines ?
— Oui, je les avais tous remarqués mais je n’ai pas voulu y prêter attention. Sauf pour le sang... Je comptais justement vous en parler.
— J’ai besoin maintenant de faire un bilan d’extension de la tumeur, pour savoir si vos cellules cancéreuses se sont arrêtées à la prostate ou si elles ont envahi d’autres tissus proches. Quoi qu’il en soit, dans un premier temps, nous allons être obligés, je le crains, de pratiquer une prostatectomie, c’est-à-dire procéder à l’ablation totale de cette glande. Mais il faut d’ores et déjà que vous sachiez que cette opération n’est pas anodine et qu’elle aura des conséquences sur votre vie future. Vous ne pourrez jamais avoir d’enfants.
— Quoi ? Pardon ? Mais... mais... mais quel est le rapport ?
— Eh bien... disons simplement qu’elle joue un rôle important dans la formation du liquide séminal.
— Docteur... Il existe un traitement ? Je vais m’en sortir ?
— Mais bien sûr que vous allez vous en sortir ! Vous êtes un battant !
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