La piste
Au lendemain de l'enlèvement, quelques acharnés poursuivent les battues, Félix en fait partie. Il a délégué son soutien auprès des grand-mères et du curé. Il a beaucoup de chagrin, la petite lui est chère comme son âme.
Et la peine de sa mère le bouleverse tout autant.
Le curé est un allié précieux : il connaît tant de monde et on lui fait davantage confiance qu'à la maréchaussée.
Mais à la fin du jour, il n'y a aucune nouvelle.
Et puis soudain, alors que Félix est assis à côté de Francine sur un banc à l'extérieur,. Il remarque quelque chose d'étrange :
« Dis Francine, tu trouves pas que le village est bien silencieux ?
— Je n'sais pas ch'fais pas attention…
— Oui, j'me doute, mais écoute quand même, elle sort un temps de son chagrin, tend l'oreille,
— Les oiseaux ?
— C'est ça ! D'habitude ça piaille du soir au matin et là, on s'croirait en hiver, un jour où le froid pourrait fendre la pierre !
— C'est pour Morganne qui s'taisent ?
— Non, Francine, non : y sont plus là ! Et si y sont plus là…. Faut qu'j'y aille, j'ai une idée. J'veux pas qu'tu rest' seule, tu vas voir les mémés. Si j'ai des nouvelles je t'y r'trouve… »
Dans un élan spontané, il dépose un baiser sur des lèvres consentantes. Pourtant, ni l'un ni l'autre ne semble s'arrêter sur ce geste naturel que l'urgence autorise, au delà-des mœurs.
Comment se fait-il qu'il ait mis tant de temps à réaliser le silence qui règne ! Ils ne sont plus là !
Félix court chez Pierre Souvain :
« SOUVAIN ! SOUVAIN ! L'autre sort rapidement. Viens avec moi j'ai une idée… T'entends ce silence ? Ça t'f'ais pas drôle ?
— Maintenant que tu l'dis… Ça cause moins dans le ciel.
— Ils savent où elle est…
— Ils l'auraient suivie qu'estleursconduits?
— Ch'sais pas s'ils la suivent ou s'ils la cherchent, mais ça peut pas être le hasard qui sont plus là quand elle a disparu… Viens, toutes ces bêtes ont forcément laissé des traces quelques part… »
En effet, des guanos dessinent une piste qui devient plus dense et peu à peu se concentre en une ligne probable pour devenir, à l'évidence, les petits cailloux blancs d'un chemin facile à suivre…
Maintenant qu'ils savent ce qu'ils cherchent les deux hommes trottinent vers Charanton. Quand ils y parviennent, la piste traverse le village et ils réalisent qu'elle peut les mener loin.
Ils ont quelques amis dans ce bourg, ils trouvent aisément deux vélos à emprunter. Entre deux coups de pédales, Souvain demande au menuisier :
« Tu crois qu'ai arrivé quoi à la gosse ?
— Le chemin ne quitte pas la route. Elle s'est fait enlever…
— Par qui donc ?
— J'ai réfléchi, on commence à parler d'elle plus loin que Massoy. Y'a des gens qu'ont ni morale, ni cœur et peut-être qu'un ou l'autre la voulait pour lui…
— Pourquoi faire…
— Ch'ais pas, j'veux pas y penser, ça m'fiche la trouille ! »
Devant Saint Jeunet la piste s'étiole, les oiseaux de Massoy se sont fondus avec ceux d'ici. Leur population est assez dense, en ces lieux, c'est une petite ville. Les volatiles se sont probablement dispersés.. Cherchent-ils encore Morgane ? Sont-ils allés plus loin ?
La nuit est tombée. Les hommes hésitent à retourner sur leur pas. Félix encourage pourtant Pierre à rentrer :
« Y faut qu'tu préviennes Francine pour qu'elle s'inquiète pas. Lui donne pas des espoirs déraisonnables. Dis-lui que les oiseaux nous ont conduit à Saint Jeuney et qu'on a pensé à un vieux qui sait beaucoup de choses comme les grands-mères mais que j'dois attendre demain pour le trouver.
— Alors je r'viens d'main…
— Oui, Pierre rentre bien. »
*
Monsieur Fourneau erre dans la rue principale de Massoy, il est énervé ; il vient de mettre une lourde taloche à Sophie qui pleurniche après sa sorcière. Mais il sait que si ça l'a autant énervé, c'est parce qu'il est inquiet.
Sa malveillance avait jusque-là étouffé les conséquences possibles de son plan si Bossano réussissait son coup.
À présent, il est pleinement conscient d'être impliqué jusqu'au cou dans une affaire d'enlèvement d'enfant. Il s'assied sur une borne, à la sortie du village pour réfléchir en paix. Il y reste un moment avant de se décider à rentrer. En chemin il voit Pierre Souvain et son vélo passer en trombe.
Marcel Fourneau fronce les sourcils : « Il a pas de vélo le bûcheron. »
Marcel force sa marche pour essayer de savoir ce qui presse Pierre de la sorte.
Le vélo et le cycliste sont devant chez les grands-mères.
Les trois femmes qu'il honnit le plus dans ce village sont assises sur le banc des commères. Exité, Pierre parle trop fort :
« Non, il est resté à Saint-Jeuney. Il verra le vieux demain, il espère qu'il sait quelque chose... »
Titou pose une main sur le bras du causeur et donne un coup de menton vers monsieur Fourneau :
« Traîne pas ici, t'es pas le bienvenu Fourneau !
— La rue est à tout l'monde vieille mégère ! Mais j'ai pas l'intention d'm'attarder. J'vous conchie tous ! Pierre Souvain s'énerve,
— Fous l'camp ! »
Marcel s'éloigne d'un air dégagé, mais son cerveau est en ébullition :
« Le bûcheron parle sûrement du Félix ! S'il est à Saint Jeuney et qu'il traîne, il pourrait tout à fait croiser l'Hervé. Est-ce qui f'rait le lien avec la sorcière ?! Évidemment, te penses, te parles d'un hasard ! Je sais pas de quel vieux y parle l'aut' mais ça m'étonnerait que quelqu'un sache qué'qu' chose au sujet du Bossano, ça fait pas longtemps qui s'est rabattu sur la région. D'ailleurs, qu'est-ce qu'il pensait y trouver c't'imbécile ? J'ai beau tourner ça dans tous les sens, faut qu'j'y aille… faudrait qu'j'y aille ce soir, mais ça dort pas trop dur en c'moment dans les chaumières… Vaut mieux que j'parte plus tôt demain, comme si j'va au boulot, … Ch'peux pas prendre de risque… »
Pierre Souvain le regarde s'en aller d'un œil mauvais :
« Ch'peux pas l'sentir c't'arsouille-là ! Germaine acquiesce et grimace,
— T'es pas l'seul ! Bon tu finis donc ?
— Il s'est dit qu'les oiseaux s'ils volent tous ensemble ça fait du monde et que p'tê'te ça laisse des traces… Des traces pas prop' en fait, on a suivi les guanos… Francine est suspendue à ses lèvres,
— Pourquoi qu'Féfé pense qu'elle est à Saint jeuney ?
— Ah non, crois pas ça ! C'est juste qu'il pense qu'elle est passée par là. Mais à partir de Saint Jeuney on trouvait pu rien. Alors il va chercher une piste. »
Francine fond en larmes, Titou lui passe une main dans le dos :
« Il l'aime vot' Pioupiou, il l'abandonnera pas… Dis Pierrot, te vas l'rejoindre demain ? Pierre hoche la tête. Alors pourquoi qu't'es pas resté avec ?
— Pour dire à Francine et pass' que j'dois rentrer la volaille... »
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