Samedi 21 juillet 2018 (4)

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Il est 14 heures tapantes quand Geneviève pénètre dans la grande salle du commissariat. Tout son monde est déjà en effervescence. La salle de réunion est spacieuse et lumineuse. La fraîcheur est la bienvenue.

Quand je pense qu’il a fallu batailler pour qu’ils nous mettent la clim.

— OK, on fait le point, lance-t-elle sur un ton déterminé.

Le silence s’installe assez rapidement, mais la tension est montée d’un cran. La cheffe va mener le bal avec la maestria qu’on lui connaît.

— Qu’a donné l’enquête de voisinage ? demande-t-elle en regardant Thomas. Ça va depuis tout à l’heure ? Fais attention à toi, on ne sort jamais indemne de scènes comme celle que tu as vue et le pire serait de ne pas l’admettre.

Il se lève.

— Oui, oui, ça va, j’ai bien parlé avec Laura là-dessus. Pour ce qui est de notre affaire, eh bien, pas grand-chose, personne n’a rien vu, sauf quand même un gars qui promenait son chien, il a vu passer une joggeuse. Jolie fille visiblement, car il l’a bien « reluquée ». Athlétique, belle, cheveux courts, foncés, un peu plus d’un mètre soixante-dix, la trentaine ou moins. Il était dix heures trente environ et c’était à un pâté de maisons de la scène de crime, elle s’y dirigeait.

— C’est donc un témoin potentiel qu’il faudrait retrouver ; on pourrait avoir un signalement ?

— Non, parce qu’il a surtout regardé les jambes et le… derrière... la fille était en « mini short ».

Quelques rires courent dans l’assemblée.

— Å part ça, la victime ?

— La première impression se confirme, reprend Sébastien. Quelqu’un plus que discret, pas très bavard avec ses voisins et peu de relations, sauf des collègues qui venaient de temps en temps, et il faudrait peut-être relier ça au trafic auquel il se livrait. Ça voudrait dire qu’il y a des complices.

— De toute façon, je vais appeler la Brigade de Gendarmerie des Transports Aériens de l’aéroport.

— Quant à la sœur, là, il va falloir attendre pour l’interroger, j’ai discuté avec le toubib de l’hosto. Elle est tellement choquée qu’ils l’ont abrutie de somnifères.

— Découvrir son frère dans cet état-là, merde, quoi, je comprends, murmure Jean Wolff.

— Bon d’accord, ensuite ?

— La boucle d’oreille. Elle est partie à la scientifique. Lundi on aura les premiers éléments du dossier. J’attends le retour pour les empreintes et on aura une réponse sur l’ADN en cours de semaine ainsi que des éléments sur les traces de pas. Et, à ce propos, la première investigation sur place laisse à penser que l’auteur des faits n’a été que dans la cuisine et, peut-être aux toilettes. Il n’y a aucun indice ailleurs. Mais bien sûr, il faut attendre le rapport complet.

— Oui, c’est ce qui est troublant. Si on part de l’hypothèse d’une rencontre qui a mal tourné autour des vols, pourquoi le produit des vols est-il toujours là, et il est important quand même. On devrait avoir la liste complète d’ici peu, je vais pouvoir la transmettre à la BGTA. Des vols comme ça, ils doivent forcément être au courant ; Il y a eu des plaintes. Et puis, cette boucle d’oreille, là, pour moi, il y a quelque chose qui ne colle pas. Elle vient comme un cheveu sur la soupe. Bien, Sébastien, c’est tout ?

— L’autopsie aura lieu mardi matin et j’ai déjà Bilger qui fait le pied de grue à la réception. Voilà !

— Cette joggeuse, il nous faut la retrouver. Il faut retourner faire une enquête de proximité, ce soir, à la fraîche. Thomas et Laura, je sais que c’est samedi soir, mais c’est important.

— Ouais, pas de problème, de toute façon mon Jules est de nouveau pas là ce week-end. En vrai, je ne sais pas c’que je fous avec lui. Et, en se tournant vers le jeune adjoint : Thomas ? Plus on est de fous...

— Pas de problème pour moi, ça m’intéresse vraiment cette histoire.

— Parfait, donc vous frappez aux portes, surtout les voisins proches pour en savoir plus sur les allées et venues chez la victime et évidemment, sur un coup de bol, repérer notre joggeuse. Jean et Bruno, vous vous occuperez de l’équipe des bagages de l’aéroport. Je pense en savoir plus après que j’aurai eu la gendarmerie.

— OK güet ! acquiesce celui-ci en terminant de griffonner sur son carnet. Geneviève soupire.

Ça, au moins, il devrait y arriver. Ce n’est pas le mauvais élément, mais il reste un peu limité dans ses décisions. En plus, depuis quelque temps, il semble bien que ça n’aille plus à la maison, et ça n’arrange pas les choses.

Le brigadier Bruno Zimmermann n’avait jamais été un membre très zélé de l’équipe, mais on pouvait compter sur lui tant que les tâches à accomplir étaient bien définies. Depuis plusieurs mois, la situation de son couple se détériorait très nettement et la concentration n’était plus là.

— C’est tout pour le moment. Chacun retourne à ses affaires courantes.

Geneviève se sent rajeunir de plus de dix ans. Du temps où elle faisait encore un peu de terrain. Et elle ressent bien, au fond d’elle-même, que cette adrénaline de l’enquête lui manque. Là, ce sentiment est revenu en force. L’envie de mener l’ensemble des investigations, répartir les tâches c’est terriblement excitant. Son équipe d’enquêteurs y est aussi pour quelque chose. Sébastien est un très bon élément et tout le monde, ou presque, est efficace. Même le « petit dernier », Thomas est prometteur. Il lui plaît bien ce gamin, par certains côtés, elle retrouve un peu son fils, Julien.

Elle rejoint Sébastien.

— Il y a une certitude, dit-elle, c’est que notre agresseur n’a pas fait grand-chose pour se cacher. Les canettes de bière et le couteau de cuisine abandonnés, ça ressemble quand même à une fuite précipitée, on est très loin d’un meurtre de professionnel. Écoutez Sébastien, j’ai bien envie de diriger cette enquête, une petite envie du passé (sourire). Ça ne vous embête pas si je prends un peu la main ?

— Mais au contraire, madame, je serais ravi de travailler avec vous et là on va faire du super boulot.

— C’est gentil et puis je sais que vous n’avez plus à faire vos preuves et je suis sûre que ça va le faire, reste à convaincre le proc mais ça ne m’inquiète pas. Bon, je vais aller voir Bilger.

Le journaliste de L’Alsace attend sagement sur une chaise. Il se lève en voyant Geneviève se diriger vers lui.

— Madame la commandante.

— Salut, tu as été vite au courant, dis donc !

— Oh, le hasard, par une relation.

— Et des relations tu en as, hein, dit-elle en lui faisant un clin d’œil.

Elle s’entend bien avec lui, il est réglo comme journaliste et consciencieux.

— Bon, eh bien, écoute, on n’a pas grand-chose. Un meurtre sauvage, on ne peut pas dire le contraire, dans le quartier de l’aéroport, un dénommé Jean Studler, une vie effacée sans histoire. Aucune piste pour le moment, c’est une enquête qui s’annonce difficile. Voilà !

— C’est vraiment tout ? demande-t-il candidement tout en sachant qu’on ne lui donne que la partie émergente de l’iceberg. J’aurais eu la même chose avec une enquête de voisinage, déplore-t-il.

— Oui, c’est tout ce que je peux te donner pour l’instant. Ça te fera quand même quelques lignes et puis tu es doué pour délayer, finit-elle ironiquement. Allez, salut !

À son retour. Sébastien vient la voir avec le dossier d’enquête.

— Les empreintes n’ont rien donné.

Geneviève hausse les épaules. Elle jette un œil sur les photos, en prend deux et se dirige vers le tableau pour les y coller. Il y a le portrait de la victime et une photo du corps. Elle inscrit « vols » « une femme » avec des points d’interrogation, puis retourne à son bureau, feuillette les autres documents. Elle part à la recherche des carrés de chocolat qui traînent dans son tiroir et en engloutit rapidement un ou deux. Elle décroche son téléphone pour appeler le procureur dont elle a la ligne directe.

— Oui, Specklin !

— Bonjour, monsieur le procureur, c’est Hillmeyer.

— Bonjour, madame la commandante, alors cette affaire ? Un beau crime, si j’en crois le récit de votre adjoint. Des pistes ?

— Oui, c’est certain, un sale crime. Et on a plusieurs pistes. Le plus gros c’est sans doute que l’on a découvert une victime qui recelait chez elle des tas d’objets sans doute volés dans des bagages à l’aéroport, vu qu’il y est affecté.

— Oui, je vous le confirme, quand j’ai vu son nom, ça m’a tout de suite permis de faire le rapprochement avec une affaire en cours, ouverte par la BGTA de l’aéroport. Ça fait deux mois maintenant qu’ils sont là-dessus et ils sont prêts à boucler leur enquête. Ils devaient très bientôt arrêter tout le monde, dont ce Jean Studler. Ils sont trois en tout, enfin deux maintenant. Donc évidemment tout ça est très troublant et vous devez les appeler dès que possible.

— Oui, bien sûr. Toutefois, les premières investigations sont très contradictoires et rien ne dit qu’il y ait un lien entre le crime et les vols. Ça ressemble quand même à un crime non prémédité avec une fuite précipitée dans laquelle l’auteur a laissé plusieurs indices sans volonté de dissimuler quoi que ce soit.

— Étrange, en effet

Il connaît très bien la commandante et son professionnalisme. Elle a traité des enquêtes difficiles à Strasbourg, où il a été en poste, et elle a montré des qualités qui la promettaient à un bel avenir. Mais elle a fait un choix différent. Geneviève reprend :

— Je voudrais prendre cette enquête en main, même si je me suis un peu éloignée de la criminelle. J’ai une bonne équipe vraiment, on va faire du bon boulot.

Le substitut la reprend :

— Je comprends, c’est l’enquêtrice qui reprend le dessus, ça vous manque, je suppose.

— Je ne vais pas dire le contraire, bien sûr, mais surtout cette enquête-là me semble très particulière, complexe quoi, avec beaucoup d’incohérences.

— Eh bien, c’est d’accord, je vous laisse là-dessus et j’ouvre une instruction, ce sera avec Meyer.

— Oui, répond vaguement Geneviève.

— Un souci ? demande Specklin.

— Non, pas vraiment, mais on se connaît bien depuis Strasbourg, un peu misogyne non ?

— Il vous connaît, il n’y aura pas de problème, on a eu pire comme juge d’instruction. Mais c’est vrai qu’il est assez... comment dire… vieille France. Bah ! la retraite n’est pas loin.

— Pas de problème, ça ira, bon après-midi, monsieur Specklin.

— Bon après-midi, madame Hillmeyer.

Geneviève décroche tout de suite pour appeler l’aéroport. La communication est rapide.

— Oui ? Lieutenant Vidal. J’écoute.

Une voix de jeune femme.

— Bonjour lieutenant, je suis Geneviève Hillmeyer du commissariat de Saint-Louis.

— Bonjour, madame la commandante, ça me fait plaisir de vous parler. J’ai été très prise depuis ma récente affectation ici et je n’ai pas encore eu le temps de vous faire une visite de courtoisie, mais là, je crois savoir ce qui vous amène. Le meurtre de Jean Studler.

— Effectivement, le procureur m’a mise au courant. Comment fait-on ?

— De notre côté, on va précipiter les choses et arrêter les deux complices dès demain matin à leur arrivée au service. Ils ne sont pas là aujourd’hui. On va les interroger sur les vols, on a toutes les preuves avec des caméras espion. On peut vous les amener dès lundi matin pour que vous les interrogiez sur Jean Studler.

— C’est parfait, nous vous remettrons tout ce que l’on a trouvé chez lui. Mais je dois vous dire que je ne suis pas sûre qu’il y ait un lien entre le meurtre et ces vols. Je vous laisse donc traiter cette affaire de votre côté. Deux collègues viendront interroger le reste de l’équipe lundi matin.

— On fait comme ça, nous aurons ainsi l’occasion de nous voir lundi, bonne soirée, madame Hillmeyer.

— Bonne soirée.

Geneviève communique ses instructions à Jean Wolff et Bruno Zimmermann, et puis va voir son lieutenant pour lui donner les derrières infos.

— Écoute, Sébastien, c’est pas mal pour aujourd’hui, tu pourras débriefer Laura et Thomas lorsqu’ils reviendront et je ferai le point lundi.

— C’est entendu, à lundi, madame.

Geneviève ouvre son tiroir supérieur et veut prend un carré de chocolat. Elle constate avec contrariété qu’il n’y en a plus et qu’elle va devoir reconstituer son stock.

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