Samedi 21 juillet 2018

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Au Formule 1 de l’aéroport, Cathy se débat dans un sommeil haché par des cauchemars où différentes réalités s’intriquent. « … il fait chaud, vous voulez boire quelque chose… » — « où sont les toilettes… » — « asseyez-vous ». Une sensation de peur et de panique la fait s’agiter sous ses draps. « Non, papa… je ne veux pas… » — « … ça ne va pas ? Attendez, je vais vous aider… » — « NON ». De douloureux souvenirs resurgissent du passé. Des images enfouies se superposent aux images de la veille. Ce n’est qu’à l’aube qu’elle sombrera dans un sommeil plus calme, mais insuffisant. Elle se réveille en sursaut, le front en sueur, regarde son téléphone et constate qu’elle est en retard. Elle se lève, la tête encore embrumée. C’est à ce moment-là que sa main se porte à son oreille gauche et elle ressent un immense vertige.

Ma boucle ! oh noooon !

Elle se lève et cherche frénétiquement. Très vite, les larmes inondent son visage. Cela devient évident : elle l’a perdue hier soir. Cathy est effondrée. Il lui faut un bon quart d’heure pour se ressaisir. Ses collègues doivent déjà être en bas. Elle se douche, s’habille et range vite ses affaires dans son sac. Elle découvre sa tenue de jogging maculée de sang et ressent un immense désespoir. Elle doit faire un effort pour sécher ses larmes et afficher une posture normale. Elle descend rejoindre ses deux collègues.

Effectivement, ils sont déjà là, à discuter, en buvant un café autour du petit-déjeuner préparé par une personne de l’hôtel. Farid Naccache, chef d’équipe, 29 ans et Lucien Grimbert, 23 ans, employé comme Cathy à la société « Cleannet », une entreprise spécialisée dans le nettoyage de logements après décès.

— Salut Cathy, disent-ils presque ensemble.

— Ouais, salut, répond-elle vaguement.

— Houlà, mauvaise nuit ? demande Farid.

— On peut dire ça oui, dit Cathy en venant s’asseoir à côté d’eux avec sa tasse de café.

Ils se sont plus ou moins habitués au caractère taciturne de Cathy. Il y a des hauts et des bas selon les jours. Ce matin est visiblement un très mauvais jour. Farid ne se pose pas trop de questions.

De toute façon les nanas…

Il est vrai qu’il a déjà fort à faire avec une femme excessivement jalouse. Pour Lucien, ce n’est pas la même chose, il sent bien que quelque chose « cloche » chez leur coéquipière, et ça depuis le jour où elle est rentrée dans la société, voici deux ans. Il perçoit un côté inquiétant qui lui procure un certain malaise vis-à-vis de cette fille qu’il se garderait bien de draguer. Ses rapports avec elle restent strictement professionnels. De ce côté-là, rien à redire, Cathy travaille vite et bien. Elle ne semble rebutée par aucune tâche, aussi répugnante soit-elle. Encore hier, pour cette mission chez un « Diogène », elle n’a pas flanché devant le nettoyage éprouvant qu’ils ont eu à affronter, surtout au niveau de la chambre, où le cadavre de l’occupant n’a été trouvé qu’un mois après le décès. Tout était à l’avenant avec un paroxysme dans les toilettes… sans compter ces dizaines de kilos de détritus à évacuer. La journée a été longue. C’est pour ça que le patron n’a pas hésité à leur réserver des chambres au Formule 1 plutôt que de les faire rentrer encore de nuit.

Pendant que Farid et Lucien finissent leur repas en discutant de tout et de rien, Cathy reste murée dans son silence.

— Ah, je te l’dis, cette finale, putain…

Cathy met ses écouteurs et laisse déferler la furie d’ACDC dans ses oreilles. Elle s’isole dans son monde. C’est Farid qui donne le signal du départ. Elle n’échangera que peu de phrases avec ses deux voisins pendant l’heure et demie du trajet jusqu’à Barr où se situe la boîte. Les deux hommes échangent des regards interrogatifs. Certes Cathy est taciturne, c’est un euphémisme, mais là quand même, pas un mot ! Arrivés à destination, il leur reste encore à sortir ce qui doit être jeté ainsi que le conteneur de déchets contaminés qui sera évacué pour incinération vers une filière spécialisée. Cathy y glisse subrepticement ses affaires maculées. Ils font encore du rangement et puis chacun rentre chez soi. Cathy n’a qu’une hâte, aller se réfugier dans la maisonnette de sa grand-mère.

Après un bref adieu, elle monte dans sa Clio et parcourt rapidement les quatorze kilomètres de trajet qui la séparent du Hohwald. Ce n’est qu’une fois fermée la porte de la maison qu’elle ressent enfin un soulagement. Elle jette rapidement ses affaires puis s’affale dans le canapé où elle reste prostrée longtemps. Protégée dans son cocon, elle peut laisser libre cours à son chagrin. Elle éprouve un grand besoin d’aller courir ; seule manière pour elle de retrouver un peu de sérénité. Elle veut passer par le petit cimetière. Elle se change rapidement et sort. Elle aime le court trajet à travers le pré et s’arrête enfin devant la tombe de « Mamé », sa grand-mère. « Mamé » son refuge, son havre de paix, celle qui savait si bien calmer ses angoisses et ses accès de violence ; « Mamé » qui la comprenait, car elle était la seule à connaître son enfance de douleur. Elle s’assoit au bord de la tombe et pose ses mains sur la pierre.

Si tu avais été là, j’aurais été plus forte, Mamé. J’ai peur, je le sens, ils sont là, ils reviennent la nuit, Mamé… Mamé j’ai perdu une de tes boucles d’oreille.

Elle ne peut retenir ses larmes. Puis Cathy arrive à reprendre ses esprits et elle part pour de longues foulées en forêt ; elle en reviendra apaisée.

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