Lundi 23 juillet 2018 (suite)
Geneviève arrive tôt au poste, Sébastien est déjà là.
— Salut, Sébastien, tu es tombé du lit ? T’as pas bonne mine, encore une histoire de cœur ?
Encore une qui le lâche. Un sentiment d’urgence s’est installé depuis quelque temps chez Sébastien. Oh ! il ne faut pas aller loin pour comprendre, c’est depuis qu’il a « fêté » ses trente ans. Elles sont nombreuses et toutes aussi jolies les unes que les autres, mais voilà, au bout de quelques mois, pfft, elles filent voir ailleurs. « Mais qu’est-ce que je n’arrive pas à leur donner que d’autres puissent leur offrir ? » C’est sûr, une vie de flic, ce n’est pas celle d’un bon fonctionnaire de bureau, avec ses trente-cinq heures, c’est moins ennuyeux aussi, mais il ne faut pas caricaturer quand même. Il a ressenti un changement, un virage, même si la vie de famille lui fait peur. Hélas ! la belle ne s’est pas encore annoncée.
— On peut dire ça ouais, articule-t-il.
Geneviève consulte les derniers mails et rapports. Des vols à la roulotte et autres cambriolages d’été ; tout cela reste très loin de ce meurtre qui occupe tout son esprit. Il y a seulement une histoire de dealer à régler dans la semaine, ce qui va supposer de monter un flag, mais Sébastien a bien l’affaire en main. Il sait gérer ce genre de situation.
— Zimmermann n’est pas encore là ? demande-t-elle à Jean Wolff.
— Non, je l’attends pour qu’on file à l’aéroport.
— Bon, surveille-le un peu, car il n’est pas dans son assiette ces temps-ci, déjà qu’en temps normal…
— Eh oui, il m’a un peu expliqué, par bribes, quoi. Sa femme semble vouloir la séparation. Maintenant que le fils a quitté le logis, ils se retrouvent seuls face à face et ça ne va plus, quoi. Bon, c’est que ça n’allait déjà plus avant en fait.
— Ouais, classique, même coup avec la retraite.
L’intéressé entre justement, mettant un terme à la discussion.
— Allez, on y va, dit Jean
— Hop la, es got los.
— Alors Sébastien et cette enquête de voisinage de Laura et Thomas ?
— Ils ne vont pas tarder, il y a peut-être un élément nouveau mais il faut leur laisser la primeur.
À peine arrivés, Laura et Thomas vont voir Geneviève pour leur rapport.
— Finalement, commence Laura, on s’est divisés. J’ai remonté la rue d’un côté et je n’ai rien eu. On peut dire que ce Studler, ce n’était pas un voisin avenant, je n’ai trouvé personne qui ait sympathisé avec lui. Mais Thomas a quelque chose.
— Oui, un homme qui sortait ses poubelles, il habite à cent mètres. Il a vu une femme qui parlait à Studler par-dessus sa haie. Mais il ne sait pas ce qui s’est passé, il est rentré chez lui, visiblement, il ne s’occupe pas de la vie des autres. C’était vers 10 heures 30. Il m’a quand même fait une description qui colle assez avec celle de la fameuse joggeuse. Il passe ce matin pour finaliser sa déposition. Et il confirme n’avoir jamais vu cette fille dans le quartier, pour lui, elle n’habite pas ici.
— Oui, murmure Geneviève perdue dans ses pensées ; décidément, cette fille prend de l’importance, elle devient plus qu’un témoin... Bon, vous allez faire la chasse aux caméras de surveillance du quartier, surtout les hôtels.
— Bien, cheffe, dit Laura.
Geneviève sourit intérieurement, Laura la rebelle, elle a bien changé.
Jean et Bruno roulent silencieusement depuis dix minutes.
— Ça ne s’arrange toujours pas à la maison ? demande Wolff.
— Verdàmmi nix, on fait chambre à part maintenant. Et on s’parle plus. Elle veut foutre le camp. Do ich Hopfa un Màlz verlora, Mais qu’est c’que j’vais foutre tout seul ? finit-il en tapant sur le tableau de bord.
Wolff est vraiment désolé pour son collègue et ami. Comment le soutenir ?
— Tu sais, je pense que de toute façon l’ambiance chez toi est carrément invivable. Alors tu ne crois pas que la séparation serait préférable ? Et puis tu n’es pas seul, vous avez un fils, et c’est un bon gars d’après ce que tu m’as dit.
L’intéressé reste silencieux. Ils arrivent sur le parking adjacent à l’aire d’embarquement. Ils pénètrent dans le hall des départs, happés par une foule de voyageurs circulant en tous sens. Jean Wolff est un peu agacé par toute cette agitation qui perturbe leur boulot.
— On va prévenir les gendarmes que l’on est là.
Ils sont conduits dans les bureaux de la BGTA, après des saluts de rigueur, très protocolaires chez les militaires, ils sortent accompagnés par un gradé.
— C’est une zone sécurisée, explique-t-il.
Ils déambulent encore longuement dans les couloirs. Jean Wolff en a presque le bourdon tellement tout lui semble déshumanisé et, en plus, il a horreur des voyages.
Ils entrent dans la salle de tri des bagages. Le spectacle est dantesque. On ne voit que des tapis roulants sur un nombre incalculable de niveaux qui montent jusqu’au sommet du hall. Dessus, des bagages de toute sorte défilent à la queue leu leu. Parfois un aiguillage automatique envoie l’un d’eux sur un autre tapis, une autre direction, et le bagage est repris dans une noria qui le monte tout là-haut où l’on se demande s’il n’en reviendra jamais. Tout cela dans un bruit infernal de roulis, de poulies et de claquements métalliques.
Ils trouvent enfin l’équipe, un peu à l’écart de ce tintamarre. Manifestement, ils sont déjà au courant pour Jean Studler
— Bonjour messieurs, voici deux policiers qui ont des questions à vous poser au sujet de Jean Studler.
Un homme qui se présente comme chef d’équipe se propose pour répondre.
— Bon, on commençait à avoir des doutes sur ces histoires de vols, mais ce mec était tellement discret !
— Pour cette affaire des vols, c’est la gendarmerie qui s’en occupe. Nous, nous nous concentrons sur son meurtre. Je voudrais en apprendre plus sur ses connaissances masculines ou féminines.
— Pour ce qui est des femmes, c’est vite vu, dit un gars. C’est zéro ! N’est-ce pas ? dit-il en se tournant vers ses collègues.
— C’est pas que ça le travaillait pas un peu, le Jean, alors il se rabattait sur le porno. Quant à d’autres connaissances, à part nous, je ne l’ai jamais entendu parler de quelqu’un. Si, de sa sœur, bien sûr. On dirait que c’est elle qui gérait un peu son quotidien.
— Vous savez, c’est un bon bougre, mais il a pas inventé la poudre, le Studler.
Quelques murmures d’approbation circulent dans le groupe. Après encore quelques échanges, il est clair que tout est dit. Rien à tirer de ce côté-là.
— Bien, dit Wolff en s’adressant au chef d’équipe, il faudrait que vous passiez chez nous pour faire une déposition sur ce que nous venons de dire.
— OK, dès la fin de mon service.
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