Lundi 23 juillet 2018 (suite)
Au commissariat, la lieutenante Agnès Vidal arrive tôt. Deux autres fonctionnaires encadrent les deux prévenus. Après de chaleureuses salutations entre les deux femmes, chacun est placé dans une salle d’interrogatoire. C’est Geneviève et Éric Lefebvre qui s’en occupent, pendant que les gendarmes regardent sur les écrans. L’homme devant Geneviève est jeune, la trentaine, ses traits sont tirés. Visiblement les effets de la garde à vue se font sentir. « Cela va faciliter mon travail », pense Geneviève. En effet, le jeune homme répond sans effort à ses questions, précisant en détail comment ils ont monté ce trafic à trois et que c’est Jean Studler qui en est à l’origine. Il avait bien préparé le terrain et lui avait expliqué son projet. Il s’était adressé à lui parce qu’il avait fait part de ses problèmes d’argent tout comme le troisième acolyte. Ils étaient sidérés de ce qui était arrivé à Jean Studler et ont vite compris que ça allait mal tourner pour eux. L’assassiner ? Non bien sûr, pourquoi auraient-ils fait ça ? leur business fonctionnait bien grâce à une organisation méticuleuse de la victime. Geneviève a largement assez d’expérience dans les interrogatoires pour comprendre que ces deux-là n’ont aucun lien avec le meurtre. Pas la carrure ni les « couilles », et surtout, aucune raison, car ça a détruit leur petite affaire.
— On vous les rend, je crois de plus en plus que c’est une fausse piste.
— C’est vrai qu’on les a aussi cuisinés là-dessus et je vous rejoins. Si toutefois j’ai quelque chose qui peut vous aider, je vous en ferai part, et s’il y a quoi que ce soit, vous savez me contacter. Et encore merci pour tout ce que vous m’avez donné.
Wolff et Zimmermann rentrent peu après. Ils font un exposé rapide à Geneviève qui n’est pas surprise de constater l’absence de renseignements de ce côté.
— Tout semble nous ramener à cette femme et de plus en plus. Mais ce Studler n’était pas un homme à femmes, maintenant ça semble évident. Une rencontre de hasard qui a tourné à l’agression sexuelle ? Ça colle avec le déroulé des faits, mais pas avec le profil de notre homme. Espérons que Sébastien puisse interroger la sœur demain.
Wolff prend Geneviève à part.
— Faudrait peut-être avoir une discussion avec Zimmermann, quoi, car ça ne va vraiment pas. Il n’a quasiment pas desserré les dents, à part pour parler de sa femme, quoi.
— Vous craignez pour le boulot ?
— Oui, bien sûr, et voir quand même s’il ne faut pas le forcer à faire un break, et lui donner le temps de régler tout ça, quoi.
— Bien, merci pour vos remarques, je vais m’en occuper.
Wolff s’éloigne avec un hochement de tête. Geneviève se doutait qu’il y avait un problème, mais là, ça semble sérieux, et il est de sa responsabilité de gérer les éventuels dysfonctionnements pouvant arriver dans le personnel du commissariat. Elle se sort assez bien de ce genre d’exercice en refusant de faire des concessions, mais, aussi, en sachant être à l’écoute. Elle se dirige vers le brigadier.
— Dites, vous pouvez venir dans mon bureau dès que vous avez une minute ?
— Juste le temps de finir ça et j’arrive.
Dix minutes plus tard, il se tient en face de Geneviève.
— Écoutez, Zimmermann, on ne va pas y aller par quatre chemins, ça n’a vraiment pas l’air d’aller, c’est Wolff qui s’inquiète le plus.
— Vous savez que ça ne va pas chez moi, à la maison, mais ça va s’arranger. Il faut juste un peu de temps pour qu’on retrouve nos marques tous les deux.
Geneviève craint fort de le voir s’enfermer dans le déni.
— Peut-être, mais en attendant votre boulot ici en souffre un peu. Alors je vous propose de prendre quelques jours, le temps de régler tout ça.
— Non, non, je vous assure, je suis mieux ici, au boulot, qu’en restant chez moi. Je vais faire attention, dit-il en se redressant.
Geneviève est très embarrassée, c’est vrai que c’est toujours gênant de se priver de quelqu’un, car le travail ne fait qu’augmenter, mais s’il faut toujours passer derrière lui…
— OK pour cette fois, mais s’il y a quelque problème que ce soit, vous n’aurez pas le choix.
Il aime encore Laurette, mais au fond de lui-même, il sent bien qu’elle s’est éloignée de lui. Peut-être même ne l’aime-t-elle plus. C’est une pensée qu’il veut chasser avec la plus extrême force. « Non, non ça va aller, le fiston est parti et ça l’a secouée, mais on va s’en sortir. »
— C’est bien compris, cheffe, ça va aller.
— Vous pouvez disposer.
Elle le regarde fermer la porte avec une sourde inquiétude, son fameux sixième sens…
Une heure plus tard, arrive le compte rendu de la scientifique sur la boucle d’oreille. C’est Sébastien qui ouvre l’enveloppe. Il lit rapidement la feuille et progressivement ses yeux s’agrandissent. Il reste la bouche ouverte.
— Ben merde alors, finit-il par dire.
— Oui ? dit Geneviève.
— Écoutez ça : déjà l’ADN retrouvé sur la boucle et sur le couteau est le même. Il y en a un peu partout dans la cuisine et sur une des canettes de bière. Nous tenons donc notre tueuse. Mais c’est pas tout, la boucle est en or massif, l’émeraude est d’une grande qualité et les brillants sont, en fait, des diamants. Valeur estimée du bijou : plusieurs milliers d’euros et sans doute pas loin de 10 000 pour la paire d’autant que c’est un bijou ancien, ce qui rajoute au prix.
Un ange passe…
— Eh bien ! dit Geneviève, sonnée malgré tout. Les soupçons se confirment.
— Oui, dit Sébastien, depuis le début vous doutiez sérieusement que ce soit les vols à l’origine du meurtre, donc là…
— Et cette joggeuse est en passe de sauter du statut de témoin à suspecte.
— Mais quelle nana fait son jogging avec 10 000 balles aux oreilles, en vrai, une tarée ? dit Laura.
— Déjà ça, c’est vrai, reprend Geneviève, c’est très… singulier. Et ça ne colle pas avec le profil d’une joggeuse, je vous l’accorde, mais on n’a rien d’autre. Un témoin l’a bien vue parler avec la victime. Cette paire de boucles peut provenir d’un vol, mais dans ce cas on ne se promène pas avec. Non… il faut vraiment y tenir pour ne pas s’en séparer, murmure Geneviève en pleine réflexion.
Personne n’ose couper le silence quand la patronne réfléchit.
— Un cadeau ? Un bijou de famille ? reprend-elle.
— Ça, c’est possible, dit Sébastien. Mais un bijou d’une telle facture, il n’y en a sans doute pas beaucoup. D’autant plus, si ça remonte au siècle dernier. La bijouterie n’était pas encore très industrialisée.
— Et plus on remonte dans le temps, plus on réduit le nombre de personnes qui pouvaient s’offrir ça. Il faut aller voir des bijoutiers, dit Geneviève.
— J’ai de bonnes relations avec un en ville, dit Lefebvre. C’est là où j’ai acheté la bague de Nathalie. Je peux y aller.
— OK ! C’est parti ! Au fait, Laura, et ces caméras de surveillance ?
— Je vais recevoir quelque chose dans la journée.
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