Lundi 13 août 2018

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La torpeur du mois d’août, avec sa canicule, endort le commissariat de Saint-Louis. L’activité est très calme, comme si l’excès de chaleur décourageait même les délinquants de tous poils. La commandante a pris quelques jours de congé et Sébastien gère les affaires courantes.

Une fois dans le bureau, il se dirige vers Jean Wolff.

— Tu as un moment Jean ?

— Bien sûr.

— Écoute, plus j’y pense, plus je suis sûr que tu dois te présenter au concours pour être major. Tu as largement la compétence et l’expérience. Tu as passé les cinquante ans, ça serait bon pour ton salaire et surtout pour ta retraite.

— Ouais, peut-être. Mais je suis bien ici, moi, quoi.

— Et alors ? Ça ne change rien, je pense qu’il y a largement de quoi créer un poste de major à Saint-Louis. Alors ?

— Tu crois vraiment que…

— Je crois pas, je suis sûr. Tu as jusqu’au 31 décembre pour remplir le questionnaire d’inscription. Tu me promets de le faire ? dit Sébastien en regardant le brigadier-chef dans les yeux.

Jean Wolff était au commissariat de Saint-Louis depuis bientôt douze ans. Douze ans de bons et loyaux services, rendus avec une rigueur sans failles. De plus, Jean est le « bon gars », celui qui ne rechigne pas à faire l’heure de plus si c’est nécessaire. Il a gravi les échelons normalement et maintenant, il y a un cap que Sébastien voudrait lui faire franchir.

— OK, je le promets, répond l’intéressé.

— Voilà ça c’est bien, dit Sébastien et il lui donne une belle tape sur l’épaule. Bon, ce soir tu vas aller avec Laura faire une ronde discrète dans le quartier derrière l’aéroport. Il faut bien que les gens voient que l’on s’occupe de cette histoire de cambriolages. Et puis qui sait ? Un gros coup de chance ! Je renvoie Zimmermann chez lui.

— Ouais, depuis qu’il a parlé avec la cheffe ça va un peu mieux, mais c’est toujours très tendu chez lui, quoi.

— Oui, et tant que ce ne sera pas réglé on va être obligé de le gérer au mieux.

Wolff hausse les épaules et se dirige vers Laura. Sébastien se dit qu’il ne sait quasiment rien de sa vie, en dehors du poste. Il est marié et a deux enfants, mais c’est tout juste s’il les connaît. « Ma foi ! la discrétion, ça se respecte. »

Ils partent avec la petite Peugeot. Ils roulent doucement dans le quartier résidentiel de l’aéroport. La soirée s’éternise encore, même si on sent déjà le raccourcissement des jours. La chaleur se refuse à céder du terrain et leur ronde est remarquée, car les gens sortent profiter de la fraîcheur. Par moment, Jean remarque une personne qui s’esquive un peu trop vite à l’approche de la voiture :

— Tout le monde n’a pas la conscience tranquille !

— Finalement, on tourne pour rien, en vrai. Avec tout ce monde dehors, les gars se feraient remarquer.

— Ça dépend de l’heure… commence Jean Wolff lorsqu’il est interrompu par la sonnerie de son portable ; c’est le numéro de Zimmermann qui s’affiche.

— Oui, Bruno ?

Tout d’abord, il n’entend qu’une forte respiration.

— Elle est morte…

Et puis des sanglots.

— Mais qui, quoi, qu’est-ce qui s’est passé, qui est mort ?

— J’l’ai tuée, Jean, j’l’ai tuée Verdàmmi !

Jean se raidit, une étreinte glaciale lui serre le cœur.

— J’l’ai poussée…

— On arrive.

— Putain de merde, c’est Bruno, je crains le pire, on y va. Et il démarre en trombe avec le deux tons.

Ils roulent sans échanger un mot, Jean a les dents serrées et n’hésite pas à appuyer sur l’accélérateur. Il se force à ne pas trop réfléchir, comme pour toute intervention. Ils entrent sur le grand parking du bloc d’immeubles et pile juste devant l’entrée. C’est une petite résidence dans un quartier calme, aucun risque de prise à partie, voire même de caillassage comme, hélas, cela se produit de plus en plus. Les deux étages sont vite grimpés, la porte de Bruno est entr’ouverte. Il est totalement effondré sur un fauteuil alors que, devant lui, gît le corps de sa femme avec une grosse tache de sang autour de la tête. Jean se précipite et prend le pouls au niveau du cou. Le battement vital lui apporte un immense soulagement. Laura est déjà au téléphone avec le SMUR. Bruno Zimmermann ne semble même pas réaliser ce qui se passe.

— Bon, raconte-moi ça au mieux, allez ! Il faut te ressaisir, car maintenant tout dépend de ce que tu vas dire pour savoir ce que l’on doit faire. Pour le moment, on est « off », mais limite illégal…

L’intéressé se redresse :

— On s’est encore engueulés à peine j’venais de rentrer… elle avait une valise… elle m’a dit que de toute façon j’étais un bon à rien alcoolo et qu’elle se tirait…

Il marque un long silence en reniflant bruyamment.

— J’sais plus ce qui m’a pris Verdàmmi, j’ai vu rouge je me suis précipité vers elle. Je ne sais plus si le l’ai poussée ou si elle a eu peur et en reculant… elle a cogné là, finit-il dans des sanglots.

Jean appelle le lieutenant qui est encore au bureau. Il lui explique la situation alors que les secours entrent dans la pièce et s’affairent autour de la victime. Il commence à y avoir un attroupement dans le couloir, Laura s’empresse de fermer la porte. Sébastien ne peut s’empêcher de jurer contre cette « emmerde » qui leur tombe dessus. La femme de Zimmermann est déjà sur un brancard. Le médecin vient vers le brigadier-chef. Il explique que la commotion cérébrale semble sérieuse, la victime est dans le coma. Mais il ne peut apporter plus de précision avant d’avoir fait un scanner. Il fait signe aux pompiers, et tout le monde repart avec une Laurette à l’avenir incertain.

— Allez, viens, dit Jean à Bruno. On t’emmène au poste.

Il le suit comme un petit chien. Ils quittent l’appartement dans un silence lourd de questions et d’incertitudes. Il n’y aura pas un seul échange de mot pendant le court trajet, Sébastien les accueille et va directement vers Bruno.

— On va dans la salle du fond, on sera tranquilles.

Il s’installe en face de lui. Il constate à quel point son collègue est anéanti par ce drame. Il doit lutter pour ne pas laisser l’inquiétude s’immiscer sournoisement et compliquer encore plus la procédure. Il faut être rapide, précis et efficace.

— Bon, ça va ?

L’intéressé hoche de tête.

— Alors, raconte-moi ce qui s’est passé, calmement et dans l’ordre, enfin tu connais, quoi… j’enregistre, rien d’écrit.

Après avoir inspiré, Zimmermann explique la dispute, la violence des mots, c’est vrai qu’il avait bu avant de rentrer, mais pas trop, il ne titubait même pas. Il l’a vue, là, dans l’entrée qui l’attendait avec une valise. Une fois de plus, il n’y a pas eu de dialogue, elle l’a immédiatement invectivé et lui a signifié qu’elle « se cassait ». Sébastien se demande toujours jusqu’où peut tenir un couple en rupture, comme un élastique que l’on tend jusqu’à ce qu’il vous revienne dans les doigts. Il en a tellement vu de ces violences familiales et reste toujours surpris de constater à quel point certains couples sont enlisés dans des situations insolubles. Bruno tente d’expliquer la colère et… l’accident. Sébastien se redresse et s’étire.

— OK, pour le moment on va en rester là, à l’accident.

Il se lève, rejoint Jean et Laura.

— On est hors procédure, mais quelle merde ! La patronne rentre demain.

— Qu’est-ce qu’on fait de lui ? demande Wolff, et comment on fait pour le fiston ? Bon, je vais l’appeler, quoi.

Sébastien se frotte le visage des deux mains, en pleine réflexion.

— On marche sur des œufs là, mais on ne peut pas lancer une garde à vue qui ne servirait à rien, de toute façon. Ramenez-le chez lui, mais il ne doit pas en bouger, bien sûr, et demain matin vous filez à l’hosto prendre des nouvelles. Tout va dépendre de la suite maintenant.

Jean Wolff utilise des circonlocutions pour expliquer, au mieux, la situation à Marc, le fils. Ce dernier ne réagit pas trop mal dans cette circonstance.

— Je craignais le pire depuis quelque temps, mais que ça aille jusque-là, merde, j’m’en veux de ne pas m’être plus impliqué, mais c’est vraiment des têtes de mule, ces deux-là, putain !… Et maintenant ?

— On n’en sait pas plus pour le moment. Dès que j’ai des nouvelles, je t’appelle.

Il raccroche, soulagé d’avoir pu éviter que le fils se précipite tout de suite, ce qui aurait encore plus compliqué les choses.

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