Mardi 11 septembre 2018
Guy Schwartz, la cinquantaine, finit son bol de café. La matinée est bien fraîche, mais rien de surprenant en septembre dans ces forêts des Vosges du Nord. Guy est de petite taille, râblé et le corps noueux, façonné par les années passées en forêt à couper du bois. Ceci dit, il se dégage de lui quelque chose de très viril, ce qui lui confère un succès certain auprès de la gent féminine. Et puis, pour celles qui ne seraient pas sensibles à son charme, il a une théorie simple : elles ne savent pas ce qu’elles perdent. Il a donc un comportement lourd, voire très lourd, et, une ou deux fois, a frôlé la plainte pour harcèlement sexuel, sinon plus. Mais cela ne le change pas : toute cette chair fraîche et bonne à prendre ! et c’est bien ça, la source des disputes désormais quotidiennes avec Mathilde, sa femme.
— Bon j’y vais, je livre chez les Munch.
— C’est ça et tu vas t’faire la patronne bien sûr, salaud ! crie Mathilde.
— Putainnn ! fait Guy en se levant.
Il sort pendant que Mathilde continue ses invectives en criant de plus en plus fort. On l’entend depuis l’extérieur et le quartier est depuis longtemps au courant. Le comportement de Guy nuit à l’ambiance du village, il s’attire la haine de nombreux maris, concubins et autres compagnons. Il est certain qu’il déploie une activité sexuelle nettement au-dessus de la moyenne, il est en forme le Guy ! Et, hélas, la pauvre Mathilde n’en profite plus depuis quelque temps, ce qui rajoute, sans doute, à sa haine envers son mari. Il démarre son tracteur et traverse tout le village de Wildstein en passant au pied du château. Arrivé chez les Munch, il constate avec contrariété qu’il est attendu par Pierre et non par Monique.
— Salut Pierre, comment ça va ?
— Ça va, répond l’intéressé en desserrant très peu les dents. Tiens, vide ça là, finit-il avec un geste vague vers la grange.
Guy s’exécute et comprend que ce n’est pas la peine de s’attarder. Il est frustré parce que Monique est bien belle avec sa cinquantaine passée, elle a encore un corps superbe, et cette poitrine… mais bon.
« Tiens je vais aller voir la Marie, au moins y a pas de mari contrariant. »
Il quitte la rue principale et s’engage dans une impasse qui se termine dans la cour de Marie Kraemer. Évidemment, vu le bruit que fait son tracteur, tous les voisins sont déjà au courant. Il n’est pas discret, le Guy, mais il s’en fiche, la vie il faut la prendre comme elle vient et profiter tant qu’il y a de la « chair fraîche ». Et de la chair, elle en a Marie, ce qui émoustille toujours notre homme. Leurs ébats dureront bien deux heures, mais avec kouglof, café et schnaps inclus.
Finalement, c’est en début d’après-midi que Guy quitte Marie pour la forêt avec un bon casse-croûte préparé par sa conquête. Il lui faut une demi-heure pour rejoindre la parcelle où la coupe est déjà quasi achevée. Il doit débiter et entasser les stères au bord du chemin. En arrivant, il a la désagréable surprise de voir André Martin qui, clairement, l’attend de pied ferme.
— Merde ! qu’est-ce qu’il m’veut c’con-là.
En fait, Guy se doute bien de ce qui amène André jusqu’ici. Voilà quelques jours, il a « discuté » avec sa femme, Isabelle. Il a essayé de la séduire, il s’est montré de plus en plus pressant et avait déjà réussi à mettre les mains partout où il fallait, mais, d’un mouvement brusque, la belle avait réussi à s’esquiver. Il sait bien que son mari est violent et qu’elle le craint énormément. De toute façon, il ne veut pas d’histoire, mais là, justement, il se pourrait qu’il en ait, des histoires… dans Wildstein, il y a des yeux partout, et il a été au courant ce con.
— Salut, André, t’as besoin de bois ?
— Garde ton bois, salaud, tu sais bien de quoi je veux te causer.
— Calme, non qu’est-ce qui se passe ?
— Il s’passe, fumier, que j’apprécie pas du tout d’être cocu, et fais pas celui qui sait pas. J’vais te crever.
André s’est rapproché jusqu’à invectiver Guy à quelques centimètres de son visage. Il est rouge de colère avec les veines du cou gonflées au maximum.
— On peut causer, c’est pas…
Il n’a pas le temps de finir qu’un bon coup de poing en plein visage le met à terre.
— Arrête, ça sert à rien, dit Guy en se protégeant comme il peut.
Emporté par la haine, André Martin ramasse une grosse branche qui traîne au sol et la brandit au-dessus de Guy
— Arrête, fais pas ça…
— Finalement tu m’dégoûtes, tiens, dit-il en jetant le morceau de bois. Que je te revoie plus autour de ma femme ou je te tue compris ? Compris ? répète-t-il plus fort devant le silence de Guy.
— Oui, oui, ça va ! répond ce dernier encore bien sonné avec son bras levé pour protéger son visage.
André Martin tourne les talons et coupe à travers la forêt.
Il faut bien cinq minutes avant que Guy n’arrive à se calmer, ses jambes sont tellement flageolantes qu’il ne peut se lever. Il a déjà eu fort à faire avec des maris évincés, mais jamais ça n’avait été aussi violent. On le dit, dans le village, que le Martin c’est un sanguin, il aurait dû être plus prudent. Finalement il se lève et masse sa pommette tuméfiée, un beau coquart en prévision.
— Merde, quel sale con !
Mais au fond de lui-même il sait bien que ça devait arriver un jour. Et puis cette histoire, ça va se savoir, et vite, à Wildstein. On va commencer à se foutre de lui.
— Bon, allez, au boulot !
La forêt tout autour ruisselle de lumière, quelques brumes s’élèvent par endroits matérialisant les rayons de soleil à travers les frondaisons. Au loin retentit le premier brame de la saison.
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