Dimanche 14 octobre 2018

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Julien est en avance au Hohwald. Depuis la veille il n’a pas cessé de penser à Cathy et de s’imaginer mille fois cette journée à venir. Il se gare en retrait et attend dans la voiture : « Faut pas arriver en avance, ça fait con. »

Cinq minutes après l’heure, il stoppe devant la maison. Cathy s’occupe dans son jardinet à côté et elle est déjà en tenue. Elle le regarde se garer. Julien descend rapidement.

— Bonjour, on va avoir une chouette journée.

— Je le pense, répond Cathy. J’arrive.

Cinq minutes plus tard, qui semblent interminables à Julien, Cathy sort et claque la porte.

— Vous ne fermez pas à clef ?

— D’abord, ici, il n’y a pas de voleur et, de toute façon, il n’y a rien à voler chez moi. Bon, je vous propose d’aller vers le rocher du Coq, c’est un coin sympa, mais attention, ça grimpe.

Elle lui adresse un sourire que Julien devine moqueur. Elle démarre sans plus attendre. Julien lui emboîte le pas.

Cathy déplie une superbe foulée, il s’accroche sans problème, car il est entraîné. Elle reste devant lui. Il ne peut s’empêcher de contempler ce corps parfait. Grandes et belles lignes déliées, d’admirables fesses que l’on devine bien fermes et des cuisses galbées.

Ils quittent les prés avec leur quota de Vosgiennes pour entrer en forêt. L’ambiance devient plus feutrée et silencieuse. L’humidité de l’air saisit les narines et la fraîcheur apporte un petit soulagement à Julien. Il sent déjà les gouttes de sueur lui couler sur le front. Comme promis par Cathy, la pente s’accentue. Pas bien nettement au début, mais ça commence à tirer dans les jambes. Le large chemin forestier fait place à un sentier plus étroit. Les premiers lacets s’annoncent, la pente est bien marquée. Cathy, pour le moment, ne semble pas du tout ralentir le rythme. Julien, lui, doit garder son souffle et oublier le beau spectacle des fesses qui dansent en cadence devant lui. Au bout d’une heure, l’allure de Cathy s’est enfin ralentie et Julien arrive à s’accrocher. Pas question de perdre la face. « Mais la vache, ça grimpe ! » Le tableau des callunes en fleurs mélangées aux dernières floraisons des épilobes embellit le parcours, mais échappe à Julien qui doit se concentrer. Très rapidement, la pente s’efface et ils arrivent sur un faux plat. Un rocher apparaît brusquement à travers la cime des pins. Il mesure bien 30 mètres de haut, d’un beau grès rouge qui contraste avec le vert sombre des arbres. Cathy s’arrête en quelques foulées et exécute des étirements. Julien stoppe à son tour, mais a du mal à cacher son essoufflement, ce qui n’échappe pas à Cathy.

— Hein ? Je vous l’avais dit : ça monte !

Elle s’assoit sur une roche affleurante. Julien la rejoint et sort sa gourde de son petit sac à dos.

— Ma foi oui, et pourtant je me considère entraîné, mais tu… vous avez la pêche, impressionnant !

— Je suis arrivée ici gamine, chez ma grand-mère. Depuis, je cavale dans ces montagnes, j’étais assez… sauvage, et c’était mon refuge. J’aime toujours y revenir, ça me ressource.

— Je comprends, c’est important d’avoir des zones refuges. Moi j’ai passé mon enfance à Strasbourg et j’allais plutôt dans la rue.

— Eh bien, dit Cathy en se relevant, il y a encore une belle boucle à faire, mais fini la grimpette.

— Ça va me reposer, rétorque Julien en rigolant.

Cathy lui rend son rire, elle se rend compte que, de plus en plus, elle se plaît en compagnie de ce garçon. Elle repart de plus belle et Julien suit illico pour ne pas être distancé.

— Ah, ah, elle veut jouer à ça, alors on y va.

Le chemin s’élargit, ils peuvent courir côte à côte. Julien perçoit bien le souffle régulier de Cathy, preuve d’une condition physique proche de l’exceptionnel. Mais il a récupéré et ça va bien, il peut apprécier la beauté de cette fille qui le séduit pleinement. Au bout d’une demi-heure, le chemin s’infléchit légèrement et se rétrécit. Cathy laisse Julien passer devant. Ils courent ainsi encore un bon quart d’heure avant de s’engager dans une descente bien plus raide et assez caillouteuse.

— Attention, dit Cathy, il vaut mieux ralentir, car on a vite fait de se casser la figure sur les cailloux.

— On va jouer aux chamois, répond Julien qui, pour frimer, saute allégrement de droite à gauche jusqu’à ce que, bien sûr, il dérape sérieusement et se rattrape de justesse, ce qui fait éclater de rire Cathy.

— Un chamois, tu dis ? Pourtant moi je les ai vus bien plus agiles. Si ça t’intéresse, je peux t’emmener les voir.

Elle se surprend elle-même de son enthousiasme envers Julien. Voilà beaucoup de nouvelles émotions d’un coup.

— Alors là, je suis d’accord et en échange je te ferai découvrir Strasbourg, chacun son terrain.

— Pourquoi pas ? Les villes c’est pas trop mon truc, mais avec quelqu’un qui connaît, ça peut le faire, dit Cathy en le regardant dans les yeux.

Julien se sent fondre totalement transpercé par ce regard aux belles couleurs noisette.

— On repart ? lance-t-il pour dissimuler son trouble

— Allez, c’est par là, dans quinze minutes on arrive à la maison. On aura bien mérité de boire une petite bière.

— Ça, c’est sûr, et Julien de s’éloigner.

Ils arrivent devant la maison, Julien, bien évidemment plus essoufflé que Cathy.

— Entre et prête pas attention au désordre, je ne sais pas ranger.

Elle ouvre la porte de bois et s’efface pour laisser passer Julien. Il pénètre dans une grande pièce qui est restée figée dans sa décoration depuis des années. Il avait déjà été surpris de voir une jeune femme comme Cathy vivre dans cette vieille demeure, mais l’intérieur, alors là…

Cathy ne semble pas s’apercevoir de son trouble, elle file dans la cuisine, ouvre le frigo et revient avec deux canettes.

— Installe-toi

Elle lui désigne un canapé que Julien daterait environ de l’époque romaine. Mais bon, ça va encore, il ne sombre pas en s’asseyant. Cathy se met en face.

— Alors ça t’a plu ?

— Écoute, pour moi ça a été un superbe après-midi ; j’ai vraiment apprécié d’être avec toi. Ça fait un bien fou. Tchin, lui dit-il en montrant sa bière.

— Tchin, répond Cathy.

— Attends ! Il sort son portable et prend vite fait une photo de Cathy avec sa bière. Elle semble un peu contrariée.

— Je n’ai pas l’habitude qu’on me prenne en photo.

— Ah, excuse-moi, si tu veux je l’efface.

— Non, non, je m’en remettrai, dit-elle avec un grand sourire qui anéantit Julien.

— Promis, ça restera là, caché dans l’appareil.

— Mais alors tu habites où ?

— Ha, moi ? Eh bien, à Obernai, je suis informaticien dans une boîte de transport. Et toi, attends, laisse-moi deviner : prof de sport ?

Cathy fait non de la tête en rigolant.

— Coach sportif ou entraîneuse… de sport bien sûr, complète-t-il.

— Non, rien de tout ça, bon... disons que je suis dans une boîte de nettoyage spécialisé. Lorsqu’il faut faire des désinfections, des assainissements, tout ça quoi…

Elle hésite à préciser la spécialité.

— Ah oui, pas banal, mais c’est intéressant ?

— Bon, ça va et c’est bien payé.

— Donc là en fait c’est la maison de ta grand-mère. C’est un héritage ?

— Eh bien, oui, elle est décédée en début d’année.

— Désolé, j’ai l’impression que vous étiez proches. Julien sent une fêlure qui d’un seul coup assombrit le beau visage de Cathy. « Peut-être changer de sujet... »

On frappe à la porte. Cathy se lève et va ouvrir.

— Ah, Léontine, tu viens chercher le linge ?

Julien se lève.

— Je vais y aller, on se revoit un de ces jours ?

— Ce n’est pas moi qui vous chasse au moins ? lance Léontine, très surprise.

— Non, non, je dois partir. Je peux t’appeler ?

— Oui, je suis dans l’annuaire sous le nom de Engel. Je n’ai pas de portable.

— Ah, je croyais qu’il fallait passer par le télégraphe… non je plaisante, à bientôt. Et il sort.

Une fois dans la voiture, il reste immobile le temps de récupérer et de faire le tri dans ses émotions. Eh bien, oui, il faut l’admettre : il est en train de tomber amoureux.

— Mais il est charmant ce jeune homme !

— Moui, répond Cathy avec un air faussement détaché.

Léontine n’est pas dupe et a du mal à se remettre de sa surprise. S’il y a quelque chose qu’elle n’aurait jamais cru, c’est bien de voir Cathy avec un « petit copain » tant elle semble fuir les hommes. Elle l’avait bien remarqué et ne s’en étonnait pas, connaissant l’histoire. Ça lui fait énormément plaisir.

— On court ensemble, il est d’Obernai.

— D’accord, dit Léontine l’air de rien. Bon je ramasse tout ça et j’y vais.

— Merci, ma Léontine, sans toi qu’est-ce que je deviendrais ? murmure Cathy en lui déposant un gros baiser sur la joue.

— La voilà bien joyeuse !

Le reste de l’après-midi s’écoule lentement pour Cathy qui tourne en rond et se défend de ce sentiment de manque qui s’est installé sournoisement. Pour chasser tout ça, elle va effectuer quelques menus travaux au jardin, un autre de ses plaisirs. La soirée sera brève, car demain elle doit partir tôt et il y a sans doute une rude journée qui l’attend.

La brasserie « L’Amandine » est bondée en ce dimanche soir. La vaste salle, cernée de grandes boiseries chaleureuses, accueille les amateurs de tartes flambées et de bière. C’est justement autour de grosses chopes que se retrouve un groupe de copains assez bruyant. Daniel Girardin comme d’habitude veut en mettre plein la vue avec ses histoires de conquêtes féminines.

— Ouais, mais comme d’hab, t’en rajoutes, lance un jeune assez fluet, dénotant avec la belle allure sportive de Daniel Girardin. Il faut dire que ce dernier travaille sa plastique tous les jours en salle de fitness.

— Ben oui, bien sûr, j’comprends que gaulé comme t’es, tu ne dois pas en lever beaucoup, répond ce dernier d’un ton assez blessant qui en fait quand même rire quelques-uns.

— Tu comprends, tu en racontes tellement qu’on peut rester sceptiques parfois, reprend un autre. À t’entendre, dès qu’elles te voient, les meufs tombent comme des mouches.

— Pas faux, mais non j’les connais par cœur, j’fais c’que j’veux. Tiens, j’ai revu l’autre jour, une nana que j’avais connue quand j’étais gamin, à l’école. Je crois d’ailleurs que j’étais quasiment son seul pote. Faut dire que cette meuf, elle est totalement chtarbée. Non, mais attends, continue-t-il en rigolant. On dit qu’un jour elle a attiré un gars dans les chiottes, elle a commencé à se déshabiller devant lui et quand il s’est approché, elle lui a foutu un gros coup de genou dans les couilles. Le pauvre gars a eu besoin de plusieurs jours pour s’en remettre. Elle a été exclue une semaine. Complètement barrée. L’autre jour, quand je l’ai vue, j’en revenais pas tellement c’est un canon maintenant, putain ! Baisable, j’vous dis pas.

— Et alors, elle est toujours aussi folle ?

— J’sais pas, mais j’vous parie ce soir que j’me la fais.

— Tu n’as pas peur qu’elle te castre ? retorque le garçon fluet qui tient là sa revanche. Tout le monde rigole de bon cœur.

— On tient le pari ? répond Daniel quelque peu agacé.

— Et quoi comme preuve ? demande un petit gros.

— Ça, j’ai l’habitude, une vidéo : j’l’a mettrai en ligne, j’fais ça souvent. Alors, pari tenu ?

L’assemblée approuve.

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