Mardi 16 octobre 2018

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Comme tous les jours, vers 7 heures ou 7 heures 30, Gisèle Morgen effectue sa visite au cimetière. L’air est vif ce matin et brouillardeux, contrastant avec la douceur de la veille. Elle habite quand même à presque un kilomètre, mais c’est la première activité de sa journée. La mort, c’est sacré, et Gisèle a bien trop de connaissances dans ce petit cimetière pour ne pas leur rendre visite tous les jours. Elle a déjà dépassé les quatre-vingts ans et elle sait bien qu’elle ira retrouver tout ce beau monde dans peu de temps. Mais ça ne l’embête pas, elle finira en bonne compagnie, et puis c’est bien de savoir à l’avance où l’on sera. La seule chose qui la contrarie, c’est qu’elle ne voit pas qui prendra le relai pour venir sur sa tombe et sur celles des autres. Bien sûr, elle ne visite pas tout le monde chaque jour, mais, à la fin de la semaine, elle a bien honoré tous ses défunts, à commencer par son époux, disparu voilà bien six ans maintenant. Elle empoigne le petit arrosoir et après l’avoir rempli à moitié se dirige vers la tombe familiale. Lorsqu’elle arrive à quelques mètres, elle aperçoit quelque chose dépasser au sol, derrière la pierre tombale. Comme elle ne possède pas une bonne vue, elle ne perçoit pas tout de suite les détails. Elle s’approche encore et devine que ce sont de grosses paires de chaussures, mais surtout le bas des jambes. Elle ne comprend pas ce que fabrique quelqu’un affalé ainsi, derrière la tombe de son mari.

— Un poivrot qui cuve son vin.

Elle avance encore et découvre un corps complètement allongé. Une sourde angoisse commence à monter en elle.

— Hé là c’est qui ? dit-elle en donnant un coup de pied dans les chaussures.

En l’absence de réponse, l’effroi grandit, elle s’approche et reconnaît le corps.

— Mais qu’est-ce… mais c’est le Guy, mon Dieu !

Elle laisse tomber l’arrosoir et se dirige le plus vite qu’elle peut vers la sortie. Il lui faut ensuite remonter la rue qui longe le cimetière vers la petite annexe de la mairie située juste au-dessus.

— Normalement Sylvie doit déjà être là.

Sylvie Thomas voit, avec une grosse surprise, entrer une Gisèle complètement essoufflée qui ne peut pas parler tout de suite.

— Mais Gisèle qu’est-ce qui vous arrive, allez asseyez-vous là.

— Non, pas le temps, il y a le Guy Schwartz qui est allongé au cimetière, il a dû s’assommer, je ne sais pas, il y a plein de sang autour de sa tête et… il ne bouge plus.

Tout s’est bousculé dans sa bouche, c’est sorti en vrac.

— Quoi, Guy Schwartz ? Bon, ne bougez pas, je vais voir.

— Si, si, je viens, c’est notre tombe quand même.

Bien sûr, Sylvie arrive avant Gisèle. Elle voit bien le corps de Guy Schwartz qui est étendu là et un très mauvais pressentiment la saisit.

— Mon Dieu, mais il est mort.

Gisèle arrive à son tour.

— Écoutez, Gisèle n’approchez pas ça ne sert à rien, je crains le pire, j’appelle le maire.

Gisèle, à bout de souffle, s’assoit sur la tombe voisine.

— Ça va ? Lui demande Sylvie en composant le numéro du maire sur son portable.

— André ? Viens tout de suite à l’ancien cimetière, je crains que quelque chose de terrible ne soit arrivé.

Les deux femmes se tiennent côte à côte et en retrait en attendant le maire, elles n’osent pas approcher le mort.

— Mais qu’est-ce qui a bien pu se passer ? murmure Gisèle

— Je ne sais pas, Gisèle, je ne sais pas, mais ça me semble bien grave.

— Et sur notre tombe encore, sanglote Gisèle.

Sylvie la prend dans ses bras, ça fait beaucoup d’émotions pour ce début de journée. Elle entend la voiture se garer juste devant la grille. André Schuller en descend précipitamment et se dirige vers les deux femmes visiblement très secouées.

— Vous m’inquiétez, qu’est-ce qu’il y a ?

— C’est le Guy Schwartz, là, montre Sylvie

Verdàmmi ! Il n’hésite pas à mettre le doigt sur la carotide, mais de toute façon la froideur du corps parle d’elle-même.

— Bon, j’appelle la gendarmerie. Vous n’avez rien touché ?

— Non, de toute façon on n’a pas approché.

— C’est notre tombe, André, déplore Gisèle d’une voix à peine audible.

— Je sais, Gisèle, je sais… Mais qu’est-ce qu’ils foutent ? Ça ne décroche pas.

Le brouillard est totalement dissipé et le soleil, déjà bien haut, inonde le petit cimetière d’une lumière joyeuse comme pour dédramatiser la situation.

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