Dimanche 21 octobre 2018

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Durant la semaine qui suit le meurtre, Cathy arrive à reprendre le dessus et à reléguer son acte dans un coin de son cerveau sans trop y penser. Mais cela la ramène à ce qui s’est passé à Saint-Louis ; eh oui ! elle a tué deux fois !

Courant du mois d’octobre, Julien lui téléphone deux ou trois fois, mais elle décline les rendez-vous ; elle est très loin d’avoir envie d’un homme près d’elle. Léontine se rend compte du changement d’humeur de Cathy. Elle se demande si cette histoire de sang sur le tee-shirt est bien véridique, car c’est quand même depuis ce jour-là que Cathy semble moins bien, et elle n’oublie pas l’état dans lequel elle l’a trouvée.

Julien, de son côté, pense de plus en plus à elle, au point d’en devenir obsédant et ses collègues le mettent en garde.

— Écoute, si elle ne veut pas te voir, ça veut peut-être dire que, de son côté, c’est pas ça, constate Max.

— Mais non, je ne comprends pas, ça s’est très bien passé, et c’est elle qui m’a dit que je pouvais l’appeler, alors ?

— Ah, mais tu sais, « souvent femme varie » comme dit le proverbe. Proverbe vieux et misogyne, je te le concède, reprend Olivier.

— Non, y a quelque chose, je vais passer la voir, j’en peux plus moi.

— Bon, fais comme tu l’entends après tout…

Le dimanche Julien se lève de bonne heure. Le sommeil a été écourté, car, réveillé tôt, il a commencé à réfléchir à la manière dont il allait s’y prendre pour monter là-haut. Quelle excuse bidon inventer ? Donc inutile de tourner en rond dans le lit et la matinée a été tout à l’avenant.

— Surtout pas y aller trop tôt, c’est peut-être une adepte de la grasse matinée... Et qu’est-ce je vais lui dire ? Oh et puis merde, on verra bien.

La matinée est déjà presque passée lorsqu’il prend sa voiture. Il monte prudemment, car il tombe une sorte de neige fondue. Cette fois l’hiver veut montrer qu’il arrive. Il se gare devant la petite maison du Hohwald. Le froid humide traverse les vêtements. La voiture de Cathy est là, ce qui confirme sa présence à la maison. Il relève son col et frappe à la porte.

Lorsqu’elle ouvre, elle marque la surprise, mais pas vraiment de contrariété, ce qui rassure Julien. Il se sent les jambes flageolantes en la revoyant, ses yeux, la finesse du visage, le sourire, timide oui, mais à faire fondre un iceberg. Il se rend compte combien il tient à elle.

— Je ne veux pas t’embêter, mais je voulais savoir si vraiment tu ne voulais plus me voir, et pourquoi, « Vraiment n’importe quoi ! ».

Cathy ne peut s’empêcher de constater que cette visite ne lui est pas désagréable finalement. Il y a un silence qui semble une éternité pour Julien.

— Bon, elle va m’envoyer bouler.

— Ça tombe bien, il y a un bon feu, et Léontine m’a apporté une choucroute que je ne pourrai pas manger toute seule.

Julien en pleurerait de joie : ainsi, oui ! elle voulait bien le voir.

Il entre et retrouve le grand séjour désuet.

— Il est vrai que, ma foi, c’est l’heure et j’ai un petit creux. Je t’aide à mettre la table ? demande-t-il en suivant Cathy vers la cuisine.

— Si tu veux, tiens, les assiettes sont là et les couverts là.

Julien trouve des couverts et des assiettes à l’image de la maison, très, très traditionnels, mais jolis au final.

— J’ai même une bouteille de riesling, je vais la chercher.

La cuisine se montre vraiment peu fonctionnelle, mais il comprend que c’est Léontine qui assure l’intendance. La gazinière est d’époque et a plutôt sa place dans un musée, quoiqu’il semble que ça revienne à la mode. Il se rend compte d’un détail qui lui avait échappé jusqu’à présent : l’absence de photos de famille, juste une dans le salon qui représente sans doute Cathy, petite, avec sa grand-mère. Et aussi un portrait d’elle récent et sans doute fait par un photographe. Cathy revient avec sa bouteille.

— Attends, je vais la déboucher, mais il me faut un tire-bouchon, même au dix-neuvième siècle ça existait déjà, dit-il malicieux.

Cathy éclate de rire.

— Tiens, s’exclame-t-elle en lui tendant un objet qui devrait faire l’affaire.

— Ah oui quand même ! Il n’est pas tout jeune. Mais c’est bien d’être conservatrice, tu ne jettes pas, c’est écolo.

Cathy dépose le plat encore tout chaud au milieu de la table, ils s’assoient l’un en face de l’autre. Elle se sent bien là avec lui. Julien va être surpris de l’appétit de la belle. Elle engloutit bien plus que lui, indifféremment saucisses, palette, collet et chou, et puis la bouteille non plus, n’est pas en reste.

— Quelle santé !

Le plat est à moitié vide lorsqu’ils se calent dans leurs chaises, repus. Ils n’ont guère échangé durant ces agapes.

— Ouf ! Eh bien, il ne faudrait pas me demander de courir même un kilomètre, constate Julien, mais alors toi, quel appétit !

Cathy rigole franchement

— D’où crois-tu que vient ma forme olympique ? Bon, pour le dessert par contre je n’ai pas grand-chose, une pomme ?

— Va pour la pomme.

Elle va les dénicher à l’intérieur du vieux buffet.

— Ah ! attention, on va croquer la pomme ensemble, souffle Julien avec un air malicieux.

Mais avec déconvenue il constate que sa plaisanterie tombe à plat ; aucune réaction de Cathy.

— Mais j’ai du bon café, on va aller au salon.

Ils s’installent en tête-à-tête dans le vieux (très vieux) canapé. Cathy pose les tasses sur une table basse qui, oh miracle, semble récente.

— Dis-moi, si je ne suis pas trop indiscret, as-tu des sœurs, des frères, et tes parents ?

Cathy montre clairement un mouvement de recul et son regard s’assombrit, ce qui n’échappe pas à Julien.

— Pardon, je vois que ça te gêne.

— Non, ça va. Je n’ai pas de sœurs ni de frères et mes parents… ils sont morts quand j’étais petite, dans un accident de voiture et c’est pour ça que c’est ma grand-mère qui m’a élevée.

— Je comprends… et ça explique pourquoi il n’y a quasiment aucune photo de ta famille.

Cathy ne peut s’empêcher de regarder la pièce autour d’elle. Cette remarque la surprend, car c’est quelque chose à quoi elle n’a jamais pensé. La notion de « photo de famille » n’a aucun sens pour elle.

— Par contre, ce portrait est joli dit-il en montrant la grande photo.

— Oh ça ! C’est ma grand-mère qui a insisté : elle voulait une belle photo de moi ; alors on a été chez un photographe à Colmar. Et toi alors, des frères, des sœurs ?

— Une sœur, mes parents vivent à Saint-Louis, mon père est proviseur d’un lycée et ma mère est… dans la police, disons fonctionnaire.

Julien ne sait pas pourquoi, il ressent toujours cette réticence à parler du métier de sa mère. Or pour Cathy cette annonce provoque immédiatement un changement d’attitude qu’elle essaie de minimiser, mais que Julien remarque.

— Oui, je sais la police… C’est pour ça que je n’en parle pas beaucoup, ça ne passe pas toujours bien. Mais elle est très gentille, finit-il avec une pirouette.

— Non, c’est pas ça, ment Cathy, je t’imagine avec ta famille, alors…

— Oh, désolé, je comprends que parler de mes parents ça doit être douloureux pour toi. De toute façon, il faut que je rentre, est-ce que l’on peut prévoir de courir de nouveau ensemble ? Dimanche prochain par exemple.

— Je crois que je suis libre, mais maintenant que j’ai ton téléphone, c’est moi qui t’appellerai.

— D’accord, je serai patient, dit-il avec un sourire.

Julien se lève et se dirige vers la porte, suivi par Cathy. Il ouvre et se retourne, elle est là tout près. Il avance malgré lui sa bouche, mais elle a un brusque mouvement de recul.

— Oh, excuse-moi, je ne voulais pas te mettre mal à l’aise. Oublie, c’est une erreur.

— Non… c’est moi, c’est… difficile.

— Oui, pas de problème, je comprends, à bientôt.

— Oui, à bientôt.

Il retrouve sa voiture bien fraîche, il reste un moment à réfléchir avant de mettre le contact.

— J’suis con, j’ai été trop vite… c’est difficile... Une histoire que l’on ne connaît pas, il ne faut pas la brusquer. J’espère qu’elle rappellera bientôt.

Cathy adossée à la porte se retrouve en colère contre elle-même.

Quelle conne ! Mais pourquoi j’suis comme ça ? Et puis maintenant avec sa mère flic… à Saint-Louis en plus... Il ne faut plus que je le revoie !

Mais cette pensée provoque encore plus de vide en elle ; même si elle ne veut pas l’admettre, Julien lui fait du bien. Cathy gardera un léger vague à l’âme pour le reste de l’après-midi.

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