Mercredi 31 octobre 2018
En ce début d’après-midi à Saint-Louis, tout le monde voit, avec étonnement et amusement, entrer Éric Lefebvre avec deux énormes peluches.
— Ah ! dit Jean Wolff c’est l’anniversaire des jumelles ?
— Oui, c’est dans trois jours et il faut que je planque ça jusque-là, donc je vais les mettre là, derrière.
— Pour ma part, ça ne me dérange pas. La patronne rentre tout à l’heure, mais je suis sûr qu’il n’y aura pas problème.
Éric n’avait jamais caché les difficultés rencontrées par son couple pour avoir des enfants. Sa femme, d’une beauté à en rendre jaloux tous les mâles du poste, avait longtemps subi des traitements et ce n’est que lorsque tout espoir semblait perdu, alors qu’elle avait 36 ans, que le miracle eut lieu. Ce furent deux jumelles qui apportèrent un bonheur immense dans la famille Lefebvre. Éric est fou de ses filles et rien n’est assez beau pour ses « princesses ».
— Donc, à 16 heures on fait le point sur vos recherches, dit Sébastien.
— Oui, avec Laura on a à peu près tout.
Geneviève sort de sa réunion à la sous-préfecture assez énervée et quelque peu en colère. Pendant une heure et demie, elle s’était vu asséner des statistiques qui, pour elle, restaient assez absconses et tendaient à montrer une hausse de la délinquance dans le Haut-Rhin. Heureusement les résultats étaient meilleurs dans le sud du département.
— Ouf ! sauvée par le gong
Elle a eu le temps de se calmer le long du retour vers Saint-Louis. Elle fait une entrée remarquée dans le poste, car elle a mis une tenue « officielle » : jupe et tailleur gris, collants noirs et talons hauts. La vue des deux énormes peluches qu’a eue bien du mal à caser Éric, la fait éclater de rire.
— Heureux de vous voir de bonne humeur, commandante, dit Sébastien.
— Oui, ça me fait du bien après avoir entendu des propos de statisticiens qui manifestement n’ont aucune idée de ce qui se passe sur le terrain. On est prêt pour le brief ?
— Oui, Éric et Laura sont déjà dans la salle à préparer les documents.
Tous les quatre s’assoient autour de la table, c’est Éric Lefebvre qui prend la parole devant le paperboard.
— Voilà, Marie Kern a eu quatre enfants, dont un, mort à l’âge de six mois. Il y a une fille, Elisabeth, née en 1934, une deuxième fille, Agathe, née en 1937 et un fils, Jean, le cadet, né en 1938. Elisabeth, mariée Koechlin, a quatre enfants, Agathe, mariée Engel a une fille et un fils et le cadet épousera une certaine Mathilde Fehlmann qui lui donnera également quatre enfants.
À chaque étape Éric écrit les noms et étale ses flèches, très vite la première page se recouvre de traits, d’annotations et de ratures.
— Donc, on arrive à dix petits-enfants qui, en troisième génération, seront plus de trente arrière-petits-enfants. Autant de pistes dans lesquelles a pu se transmettre notre boucle d’oreille.
— Bon, soupire Geneviève. S’ensuit un long silence.
— Déjà, qui est vivant et qui est mort ?
— Dans la première génération des trois enfants Kern et conjoints, tous sont décédés, reprend à son tour Laura. Et elle trace des croix sur la grande feuille.
— Quatre petits-enfants aussi… De nouveau des croix. Mais ce qui est important c’est, qu’en fait, sur tout ce monde, ne sont présents en Alsace que six petits-enfants et dix-huit arrière-petits-enfants essentiellement de la fille Elisabeth et du fils Jean, car la fille d’Agathe est décédée tôt en 2007 à l’âge de 40 ans, elle avait des problèmes psychiatriques, et le fils est parti depuis longtemps aux États-Unis, on n’a pas de données. Agathe Kern est décédée en janvier de cette année.
— Eh bien, il va falloir retrouver tous ces gens-là et les questionner sur cette fameuse paire de boucles d’oreilles, d’abord ceux qui sont en Alsace et ensuite les autres s’il le faut et si c’est possible. Ça va être long, mais on n’a pas le choix.
— Très bien madame la commandante, dit Éric pour conclure la réunion.
— Elles ont quel âge maintenant vos merveilles ? demande Geneviève
— Six ans.
— Vous les embrasserez de ma part, elles ont de la chance d’avoir un chouette papa.
— Merci Gene… madame.
— Je voudrais vous montre quelque chose, dit Sébastien en prenant Geneviève à part.
— Je regarde assez régulièrement le site des DNA, et aujourd’hui il y a un article qu’il faut que vous voyiez.
Sébastien tape vite fait sur son poste.
— Voilà, un village des Vosges du Nord où les gendarmes ont testé toutes les femmes pour une enquête sur le meurtre d’un homme. C’est à priori une femme la meurtrière, et on parle d’un meurtre assez violent. Qu’en pensez-vous ?
— Évidemment ça nous rappelle quelque chose, je suis d’accord. C’est la brigade de Niederbronn ?
— Oui, Reichshoffen-Niederbronn.
— Bon, trop bête de ne pas se renseigner, je les appelle. Tu me trouves le responsable de l’enquête ?
Sébastien s’affaire.
— Patrick Dietsch.
Geneviève s’installe à son bureau.
— Ici Geneviève Hillmeyer, commandante du poste de Saint-Louis. Je voudrais parler au capitaine Dietsch… oui, merci. Allô ? Bonjour, capitaine, nous venons de voir dans les DNA votre enquête en cours à Wildstein. Nous avons eu un meurtre similaire ici à Saint-Louis, voilà quelques mois. Est-ce que vous pourriez me donner des détails ?
Geneviève écoute attentivement et fait des signes de tête approbateurs à l’adresse de Sébastien au fur et à mesure que la discussion avance.
— Très intéressant, vous est-il possible de nous envoyer les résultats ADN que vous avez trouvés sur la victime ?... Je vous remercie beaucoup.
— Très troublant, reconnaît-elle en raccrochant. Il semble que la meurtrière se soit acharnée à taper la tête de sa victime contre une pierre tombale. Ça ressemble, effectivement.
Sébastien ouvre des yeux étonnés.
— Ah oui ! précise Geneviève : ça s’est passé dans un cimetière, un gars du village. Visiblement ce serait un sacré coureur de jupons, et ils sont plutôt sur la piste d’un mari trompé.
— C’est possible, pourquoi pas, mais on a une petite chance que ce soit elle.
— Oui, soupire Geneviève, quoiqu’un peu dubitative. Ils veulent attendre les résultats de leur recherche sur les femmes du village et ensuite ils nous enverront leurs analyses. Eh bien, pour aujourd’hui, ce sera tout, j’ai eu mon compte, je rentre, à demain Sébastien.
— Moi aussi, pas de permanence cette nuit, à demain, madame.
— Tiens ? tu rentres tôt aujourd’hui, remarque Bernard.
— Oui, c’est calme et on est en attente d’éléments, mais heureusement, car j’ai encore eu une de ces réunions barbantes dit-elle en s’affalant dans le canapé.
— Alors voilà un décontractant, et il lui tend un verre : Pommard 1998.
— Pas mal oui, bon je vais me changer.
— Le repas est prêt, on a dit régime, hein ?
— Pour toi oui, dit Geneviève en montant.
Le repas sera certes simple, mais bon, comme d’habitude avec Bernard.
— Tu as pu joindre Chloé pour Noël ? Elle est d’accord pour venir avec son copain ?
— Oui, elle n’a rien dit, mais son scepticisme transparaissait à travers le téléphone.
— Mais ça va aller, quand même ! On me prend pour qui dans cette maison ?
— Pour une mère qui couve trop sa fille, raille Bernard en l’embrassant.
— Oui, c’est vrai, il ne nous reste que Capucine.
— Avec elle, c’est pas compliqué, tant qu’elle a sa gamelle.
— Oui, sauf qu’il faut aussi lui gratter le croupion !
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