Mardi 13 novembre 2018

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La température est un peu remontée, juste ce qu’il faut pour qu’il tombe de la neige fondue. C’est Sébastien qui est au volant. Le ciel gris sans véritable horizon rajoute à la monotonie de l’autoroute. Chacun reste silencieux, perdu dans ses pensées. C’est Wolff qui rompt le silence.

— J’espère que l’on ne fait pas tout ce trajet pour rien. Eux aussi semblent n’avoir que peu d’indices, quoi.

— Il y a un risque, c’est vrai, mais de toute façon, je n’sais pas, mais voir le lieu du meurtre m’intéresse, lui souffle Geneviève.

— Il faudrait quand même arriver à comprendre pourquoi elle se balade du nord au sud de l’Alsace. Une marginale ?

— J’espère pas, ça compliquerait encore plus les choses.

Au bout d’une heure et demie, ils se garent devant les bâtiments de la brigade de Reichshoffen. Ils sont attendus et rencontrent très vite le commandant qui les conduit jusqu’au capitaine Dietsch.

— Voilà les photos de la scène de crime. Comme vous pouvez le voir, il n’y a eu que des coups sur la tête, mais avec acharnement d’après le légiste. Chez vous c’était pareil ?

— Non, assène Geneviève, plus violent, huit coups de couteau.

— Ah ! Effectivement pas banal pour une femme. Je suppose que vous avez écarté un acte terroriste, demande le capitaine Dietsch.

— Oui, rien à voir. Pas banal comme vous dites, mais celui-ci non plus, et Geneviève de montrer les photos.

— Est-ce que l’on peut aller sur place ?

— Oui, avec le capitaine Dietsch, et je crois que vous avez un témoignage à vérifier en plus, demande le commandant à Dietsch.

— Oui, quelqu’un a dit au maire avoir vu quelque chose ce soir-là. On va aller le voir. De plus, en marge de l’enquête, nous avons relâché André Martin, car sa femme n’a pas porté plainte, et comme il n’est pas impliqué dans le meurtre de Guy Schwartz…

— Bien regrettable tout ça, pour elle j’entends, reprend le commandant. Peut-être que le parquet ne va pas laisser passer.

— On peut craindre le pire. Je sais qu’il s’est précipité à l’hôpital pour lui demander pardon. Et il y a tout lieu de penser qu’elle va rejoindre le domicile conjugal dès sa sortie.

— Il y a des cas où l’on se sent impuissant. Bien, revenons à notre affaire, je vous laisse y aller.

Et toute la troupe de regagner les véhicules. La neige a cessé. Après un trajet bref de quinze minutes, ils sont devant la mairie. Le capitaine Dietsch monte rapidement l’escalier grâce à son allure sportive et ses grandes enjambées. Le maire est justement à l’accueil.

— Bonjour, monsieur le maire, voici les enquêteurs de Saint-Louis dont je vous ai parlé.

— Venez dans mon bureau. Une drôle d’histoire, et tout ça dans notre petit village. Ça a vraiment bouleversé tout le monde, vous savez.

— Je n’ai aucun mal à vous croire, reconnaît Geneviève. Est-ce que je peux vous poser deux ou trois questions ?

André Schuller acquiesce.

— Est-ce qu’à votre connaissance ce Guy Schwartz, qui était connu comme cavaleur si j’ai bien lu, aurait pu aller jusqu’à l’agression sexuelle ?

Le maire se frotte le menton, signe que la question demande réflexion.

— C’est vrai qu’il y allait fort parfois, alors jusqu’à l’agression non, peut-être pas, mais il pouvait se montrer insistant, très lourd, si vous voyez ce que je veux dire.

— Oui, intervient Dietsch. Je peux confirmer que c’est ce qui ressort des auditions.

— Donc l’hypothèse d’un rendez-vous galant qui aurait mal tourné ne colle pas. Si on écarte bien sûr l’intervention d’un mari jaloux.

— Oui, rien ne prouve ce scénario, c’est bien elle qui lui a tapé la tête contre le coin de la pierre.

— Oui, mon Dieu, murmure André Schuller.

— Donc, il s’est approché trop près et il a simplement réveillé la bête, remarque Geneviève, plus pour elle-même.

Dietsch est assez surpris.

— Pardon ?

— On commence à se demander si l’on n’a pas affaire à une psychopathe.

— Carrément ?

— Difficile évidemment de savoir ce qui s’est passé, mais ils se sont rencontrés par hasard dans ce cimetière. Vu le profil de notre victime, on peut supposer, qu’amateur de femme, il a été attiré par elle et a voulu lier conversation, ou plus, ce qui a déclenché l’agression. Il l’aurait ignorée, il ne se serait rien passé. Du moins, c’est ainsi que j’imagine la scène.

— Mon Dieu, répète le maire.

— Eh oui, comme on dit : au mauvais endroit au mauvais moment. Mais il y aurait un nouveau témoin ? demande Geneviève.

— Oui, monsieur le maire ? se reprend Dietsch que ces révélations ont laissé perplexe.

— Effectivement, c’est Colette Sauter. C’est la mère de la propriétaire de l’auberge du château. Elle est assez âgée et réside à l’étage. Il n’est pas sûr qu’elle ait toutes ses facultés alors le témoignage reste fragile. Elles nous attendent d’ailleurs. Il faudrait y aller maintenant. Nous irons au cimetière d’abord, c’est à côté, finit-il en l’expliquant à Geneviève.

Ils s’arrêtent devant le portail et le capitaine pousse la grille dans un grincement aigu. Ils se dirigent vers le site, les banderoles jaunes claquent dans le vent.

— Voilà ! montre le capitaine.

Geneviève observe attentivement le coin de la pierre. Les taches sombres apparaissent encore bien visibles. Ensuite, elle jette un vaste regard circulaire et revient vers le sol.

— Ça c’est passé là, sur ce coin d’herbe ?

— Oui, puisque le corps était allongé comme ça.

Geneviève reste encore quelques minutes à contempler le site. Le paysage en temps normal est sans doute agréable avec le château qui domine. Mais aujourd’hui, dans la grisaille hivernale avec une bise froide, rassemblés autour d’une scène de crime, le site dégage quelque chose de sinistre.

— Merci, on peut y aller, allons voir ce témoin.

La grande bâtisse est assez austère dans la pure tradition architecturale des Vosges du Nord. Les propriétaires les attendent dans la grande entrée. Les présentations faites, tout le monde se rend à l’étage. Sébastien et Éric patientent en bas. Pas besoin de toute une troupe autour de la grand-mère. Elle est là, assise et un peu affaissée dans un grand fauteuil face à la fenêtre.

— Bonjour, Colette, ces messieurs-dames voudraient te poser des questions.

— Ça va maman, tu entends bien ?

— Oui, murmure-t-elle, il faut tendre l’oreille.

Geneviève reste en retrait, c’est évidemment au capitaine de questionner. Il sort un dictaphone.

— Bien, vous dites avoir vu quelque chose le soir où Guy Schwartz a été tué ?

Tout d’abord un grand silence. Tout le monde est suspendu à ses lèvres qui tremblotent.

— Oui… là en bas, j’ai vu une femme arriver en courant.

Yes ! se dit Geneviève.

— Elle venait d’où, de la rue du dessus ?

— Oui.

— Vous pouvez me la décrire ?

— Grande et assez mince, jeune et les cheveux foncés, mais c’était la nuit.

— Et ses vêtements ?

— Oh vous savez, comme les jeunes maintenant pour le sport.

— Un jogging ?

Silence de Colette pour qui ce mot n’évoque rien.

— Elle est partie où ?

— Elle est montée dans sa voiture.

— Ah, bien ! Voilà un élément nouveau.

— Comment elle est cette voiture ?

— Vous savez, c’est une… camionnette blanche. Une voiture de travail.

— Une voiture de société, reprend Dietsch. Vous n’avez rien remarqué de plus ?

— Un dessin sur le côté avec quelque chose d’écrit.

— Le logo sans doute et le nom de l’entreprise. Vous avez pu lire ?

Colette fait non de la tête.

— C’était la nuit et il n’y avait que la lumière du lampadaire. J’ai vu que le numéro de la plaque se termine par 67. C’est tout.

— Vive les vieilles plaques d’immatriculation, remarque Geneviève.

— Et ensuite qu’est-ce qu’elle a fait ?

— D’abord elle est restée sur place et j’ai bien vu qu’elle tapait sur le volant et puis elle est partie doucement, par-là, dit-elle en montrant le sud.

— Une dernière chose, madame, si vous le voulez bien. Quelle était la couleur de ce qui était écrit sur la camionnette ?

La vieille dame semble réfléchir.

— Il faisait sombre, je n’ai pas bien vu les couleurs, mais je dirais qu’il y avait du vert et du blanc.

— Bien, je vous remercie beaucoup, madame, cela va nous être très utile.

— On peut se fier à tout ça, demande le capitaine à la fille ?

— Oui, je crois, vous savez elle a quand même encore de la lucidité et une bonne vue, la preuve. Elle passe tout son temps, désormais, devant cette fenêtre donc elle ne pouvait pas la manquer.

— Nous vous remercions. J’ai tout enregistré pour la déposition, je vais rédiger cela et pourriez-vous passer cet après-midi pour la signer ? On peut faire ainsi, il y a assez de témoins ici pour que l’on puisse simplifier la procédure.

Tout le monde se retrouve sur le parking.

— Eh bien voilà des éléments importants, commente Dietsch. Manifestement il semble bien que ce soit votre suspecte.

— Oui et tout colle, le signalement, et on sait que c’est une adepte du jogging. Nous vous remercions, le juge Meyer va faire le nécessaire auprès de Strasbourg, nous avons le dossier. Il ne vous restera qu’à nous envoyer ce dernier témoignage. Vous avez fait du bon travail ici, je pense sincèrement que l’on a progressé. Bien entendu, je vous tiendrai au courant. J’aurais une dernière requête au vu de ces nouveaux éléments.

— Oui, dites.

— Vous avez quelques caméras de vidéosurveillance dans le coin ?

— Oui, sur quelques bâtiments administratifs ou privés, je pense. OK, je vais voir ce que je peux faire et je vous en rends compte. Madame la commandante ; et Dietsch de faire un impeccable salut militaire.

Ah ! ces militaires, pense Sébastien.

Une fois en route, Geneviève informe ses deux collègues impatients de connaître la suite.

— On sait maintenant pourquoi elle se balade du nord au sud, dit Sébastien : pour le boulot. Et que sa boîte est dans le Bas-Rhin.

— On a quand même avancé, constate Wolff. Reste qu’il y a beaucoup d’activités professionnelles qui permettent de grands déplacements. Un rond vert et blanc comme logo, je suppose qu’il y en a plein.

— Oui, soupire Geneviève. On sait déjà que c’est inutile de perdre son temps à fouiller dans la vie de ce Guy Schwartz. Il n’a pas eu de bol, c’est tout.

— Donc si on extrapole, reprend Sébastien, elle a une longue journée de travail et avant de rentrer, elle se détend en faisant un jogging et manque de pot pour ce bonhomme, il la rencontre et boum.

— Eh oui, et boum ! commente Geneviève dans un soupir, les yeux fixés sur les glissières de sécurité qui défilent.

Son portable sonne.

— Oui, Laura… OK, bon, bonnes nouvelles finalement. C’est bien, à demain. Donc Laura, Bruno et Thomas ont bien trouvé quelque chose au garde-meubles de l’aéroport. Ils nous expliquent ça demain.

— Il y a des journées comme ça où on sent que l’on avance. Je propose une pause-café.

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