Lundi 24 décembre 2018 (suite)

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Geneviève reste sur sa faim.

Dix minutes plus tard, ce sont les deux amoureux qui arrivent. Chloé est devant, cachant un peu Mathieu. Geneviève embrasse sa fille et puis se retrouve le nez dans un énorme bouquet de fleurs.

— Que pour vous ! dit Mathieu.

Elle reste sans voix, elle est face à un charmant garçon au regard rieur et terriblement séduisant. Elle est assez embarrassée avec son bouquet dans les bras, ce qui fait sourire Chloé.

— Et bien on s’embrasse alors ?

Et Geneviève de s’exécuter.

— Bienvenue, Mathieu. Vous pouvez passer dans le salon.

Julien sort de la cuisine avec son père.

— Ah ! ce doit être ta mère derrière les fleurs, ta frangine est à côté.

Julien embrasse sa sœur et salue Mathieu.

— Alors voilà le musicien ?

— Ah oui, c’est ma vie.

— Je sens qu’on va parler musique ce soir, constate Julien.

Geneviève revient avec son bouquet dans un grand vase qu’elle pose bien en évidence.

— L’opération séduction marche à fond, pense Chloé.

— Ah ! elles sont belles, dit Bernard.

— Et, en plus, elles sont écolos. Elles viennent de cultures bio et proviennent de producteurs régionaux. Parce que l’on veut faire attention aux pesticides pour ce que l’on mange, mais pour les fleurs c’est pareil. Or, en Hollande, par exemple, ça arrose joyeusement.

Tout le monde reste sans voix devant un tel discours.

— Eh bien, dit Geneviève, merci de nous éclairer sur un sujet dont on n’avait même pas conscience. Bio et en plus elles sont très belles. Prends-en de la graine, dit-elle en se tournant vers Bernard. Et dis donc ça fait combien de temps que tu ne m’as pas offert de fleurs ?

— Oh ben pas tant que ça, c’était…

— Moui, c’est bien ce que je disais… vous voyez Mathieu ça c’est le début de la fin.

— Geneviève, il va falloir me tutoyer, sinon je ne vais pas me sentir à l’aise.

Il aurait pu être insolent en l’appelant Geneviève, mais, par quelque miracle qu’elle ignore, elle n’est pas du tout offusquée de la remarque.

— C’est entendu.

Tout le monde se regroupe autour d’un apéritif à base de crémant. La conversation reste superficielle sur la vie courante. Chloé et Mathieu expliquent un peu l’installation de leur logement à Mulhouse.

— Dornach c’est un quartier calme avec la ZUP pas loin ? demande Julien.

— Franchement, aucun problème, dit Chloé.

— Å table, lance Bernard.

La conversation en début de repas s’engage sur la musique. Geneviève brûle d’impatience. Elle veut en savoir plus sur l’amoureux de sa fille.

— Donc, expliquez-nous un peu en quoi consiste votre vie.

Depuis qu’ils sont arrivés, elle est de plus en plus séduite par ce garçon posé et drôle.

— J’ai eu une formation classique très tôt, car on a tout de suite vu, gamin, que c’était mon univers. J’ai fait du piano, et puis je suis passé au synthétiseur, à clavier d’abord, et ensuite virtuel.

— Virtuel ? dit Bernard complètement largué.

Geneviève se retient de dire quoi que ce soit par peur du ridicule.

Julien et Chloé ne peuvent s’empêcher de sourire.

— Oui, il y a encore une partie instrument, clavier quoi, mais surtout ça se passe sur un logiciel. Et là on peut faire n’importe quel son ; des instruments bien sûr, mais aussi des sons psychédéliques (rire) ou des sons qui imitent la nature. On peut aller sur de la musique expérimentale.

Les deux parents restent sans voix.

— Et mon Mathieu est en train de devenir quelqu’un de connu, complète Chloé avec fierté.

Elle ne cache pas un air de satisfaction de voir sa mère qui ne sait plus quoi dire.

— Mais, mais alors vous… tu fais quoi ?

— Oh ça, c’est plutôt mon hobby, le gros de mon activité, c’est les concerts : fêtes, mariages ou manifestations. Mais de moins en moins, car maintenant j’accompagne dans de grands concerts, j’ai travaillé à la foire aux vins.

— On peut savoir avec qui ? demande Julien

— Awell, M. Pokora, Josef Salvat et d’autres.

— Je n’en connais pas beaucoup là-dedans.

— Et moi donc, renchérit Bernard, moi c’est Brel, Brassens ou Bashung.

— En voilà quelqu’un qui a eu une formation classique et qui a fait de superbes musiques, je suis fan aussi, dit Mathieu.

— Oui, mais attends, coupe Geneviève, on est quand même Rolling Stones, U2 et Queen. On est de la génération rock.

— C’est très respectable et avec des génies aussi ; moi j’en suis encore loin. Pour l’instant, je compose pour des clips publicitaires, des films promotionnels entre autres, bref le boulot ne manque pas. Mais je rêve un jour d’avoir mon propre concert avec ma musique.

— C’est vraiment extraordinaire, murmure Geneviève définitivement conquise.

Chloé reste en retrait et ne dit rien tellement elle savoure cet instant.

— Bon, et toi Julien y a du neuf non ? lui dit sa mère.

Il se fait tirer l’oreille.

— Oui bon, je suis de nouveau amoureux.

— Ha ! s’exclame l’assemblée à l’unisson.

— Comment elle est, comment elle s’appelle, tu l’as connue où ? demande Chloé.

— Ouh là, du calme. Elle s’appelle Cathy, on s’est presque télescopés en jogging, dit-il en riant. Et elle est… sublime.

— Non ? tant que ça ? demande son père.

Julien affiche la photo de Cathy sur son portable et lui montre.

— Alors là, fiston, sublime convient parfaitement.

— Fais voir !

Geneviève lui arrache le téléphone.

— Elle est vraiment belle oui, et elle la montre à Chloé.

— Ça ! on ne peut pas dire le contraire, pourtant elle a l’air un peu triste, non ?

— Oui, il y a toujours en elle quelque chose en retrait, comme si elle avait du mal à se lâcher.

— Exact, dit Mathieu, qui regarde l’écran à son tour, mais plus que ça, quelque chose de sombre, une cassure, je ne sais pas, mais il n’y a pas de sérénité dans ce regard.

L’assemblée reste silencieuse. Julien est étonné par la justesse de l’analyse de Mathieu avec seulement cette photo. Il a résumé tout ce qu’il ressent avec Cathy. Geneviève est, une fois de plus, scotchée par le discernement de ce garçon. Il a réussi à apercevoir le fond de l’âme de cette personne, là où ils n’ont vu qu’une belle femme.

— Il y a en elle quelque chose de fragile, oui, souffle Julien. Cette photo a été prise au début de notre relation. Depuis, je trouve qu’elle s’est beaucoup épanouie, elle a besoin qu’on l’aime, c’est tout. Elle doit prendre confiance en elle. On ne s’est pas vus beaucoup encore. C’est comme si pour chaque rencontre c’était une victoire sur elle-même. Je pense qu’elle a un passé qui pose problème.

Geneviève sent son cœur se serrer

— J’espère, mon grand, que ce n’est pas encore une qui va te faire souffrir.

Le reste du repas se poursuivra sur d’autres sujets de conversation, mais Geneviève garde au fond d’elle-même une sourde angoisse qu’elle n’arrive pas à définir. Par contre, elle prendra encore plaisir à discuter avec Mathieu et a définitivement décidé que oui, c’est une belle personne. Lorsqu’ils sont sur le point de partir, elle prend Chloé à part.

— Écoute, ma puce, je me sens tellement stupide. Tu as, là, une perle, il est… extraordinaire. Comment j’ai pu dire toutes ces horreurs, je te demande de m’excuser.

— Tu n’as pas à t’excuser et tu n’as pas dit toutes ces horreurs, quoique… mais non je rigole, je t’aime et elle conclut avec deux longs baisers sur les joues.

— Et toi, mon Julien prend garde à toi, et appelle-moi plus souvent.

— C’est promis.

Une fois seuls, Bernard regarde Geneviève.

— Alors et maintenant on se sent bête hein ?

— Eh bien, oui, j’avoue. Ce jeune homme est parfait, le gendre idéal.

Et elle a un sourire d’autodérision. Bernard la regarde fixement.

— Et quoi ? Oui, je le dis, je ne vais pas faire pénitence, en plus, en faisant le tour du pâté de maisons à genoux et en me flagellant ?

— Oh ! si, si ! Si tu es toute nue et que c’est moi qui tiens le fouet.

— Bernaaard !... Mais notre Julien, dans quelle relation s’est-il encore mis ? Ça m’inquiète quand même.

— Comme d’habitude, dit Bernard en l’enlaçant, allez laisse faire, il est assez grand lui aussi.

— Bon, eh bien, on va se coucher, dit Geneviève. Tu comprends, toi, comment on peut faire de la musique avec un écran d’ordinateur ?

— Oh alors là non. De notre temps…

Et leurs voix se perdent à l’étage.

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