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Devant mes yeux ronds, le Docteur Prunolle s’avance pour me serrer la main. Mes gestes sont mécaniques, je ne la lâche pas des yeux. Derrière elle, deux policiers me fixent.
– Vous semblez surpris de ma présence, dit-elle. Dès que j’ai appris ce qui vous arrivait, je n’ai pas hésité à venir. Vous auriez dû prendre un avocat.
Son ton est presque celui du reproche, et ses yeux perçants brillent dans la semi-obscurité de la cellule.
– Comment avez-vous… ?
– J’ai été mise au courant par un officier qui a eu la présence d’esprit de consulter votre dossier comme il faut. Au moins l’un d’entre eux n’est pas qu’un rapace qui cherche à détruire ses proies.
Je comprends qu’elle est avant tout furieuse contre les policiers. Vêtue avec classe, la psychiatre comprime une pochette remplie de feuilles volantes contre sa poitrine. Elle est visiblement tendue.
– Mais je ne comprends pas, dis-je, qu’est-ce que vous pouvez faire pour m’aider, dans ma situation ?
– Déjà, je vais remettre de l’ordre dans cette procédure bafouée. Ils n’auraient pas dû procéder ainsi pour vous interroger. Ensuite, nous verrons bien comment je peux vous tirer d’affaire…
Un souffle d’espoir me traverse. Même si je ne vois pas le rapport de la présence de ma psy dans un tel moment, je suis content d’avoir un peu de soutien. Et connaissant la charge de travail qu’elle a d’ordinaire, sa démarche me touche.
Je me retrouve de nouveau dans la salle d’interrogatoire, mais cette fois, le Docteur Prunolle est à mes côtés. À la place de l’avocat.
Je m’attends à ce qu’on s’adresse à moi, qu’on me pose les mêmes questions que plus tôt dans la journée, mais les enquêteurs qui me font face se tournent vers la psychiatre.
– Alors, comment on est censé procéder, s’il ne faut pas aborder le sujet ?
Le ton est ouvertement provocateur. Le Docteur Prunolle consulte quelques instants son téléphone, comme si elle avait mieux à faire ailleurs, avant de le ranger en soupirant.
– Je pense qu’il faudrait tout remettre à plat dans un premier temps. Si vous accordez du crédit au témoignage qui vous a été livré, malgré la condition psychiatrique de la personne en question, il vaut mieux crever l’abcès une bonne fois pour toutes…
– Peu importe sa situation, réplique le policier qui semble être le plus haut gradé, c’est vous qui devriez nous le dire, de ne pas négliger les déclarations des cas psy, non ? Ce témoignage, même s’il n’est pas fiable, apporte un nouvel élément à l’enquête, qui est encore ouverte. Alors on prend, on fera le tri après.
La psychiatre se mord la joue intérieure, l’air ennuyé. Je lui jette un regard interrogateur, mais elle ne le croise pas.
– Thelma ne va pas venir ? je ne peux m’empêcher de m’enquérir, nerveux.
L’enquêteur, ses yeux sombres luisant sous des sourcils aussi broussailleux que sa barbe, me jauge un instant du regard, avant de répondre :
– Non, elle est encore à l’hôpital, après le choc que vous lui avez infligé sur le crâne. C’est depuis là-bas qu’elle a témoigné.
Le vouvoiement a remplacé les formules familières qu’on me balançait à peu près six heures plus tôt. Le soulagement qui m’envahit à sa déclaration n’est que de courte durée. Il assène, après une pause :
– Votre épouse, puisque vous êtes toujours mariés d’un point de vue légal, est donc revenue sur sa déposition concernant votre responsabilité dans l’enquête précédemment citée.
Je déglutis. J’ai déjà entendu tout ce qui m’est reproché tout à l’heure, mais c’est tellement inconcevable, dément, que je ne comprends rien à ce qu’ils racontent. Et ils vont tout répéter, cette fois en présence du Docteur Prunolle, pour enfoncer le clou. Au moins, elle pourra me défendre mieux que je ne l’ai fait plus tôt. J’étais sous le choc de leurs accusations, et rien ne parvenait à traverser le barrage de mon hébètement pour démentir leurs dires.
Le policier aux épais sourcils me sonde une nouvelle fois du regard, puis reprend d’une voix grave :
– Votre femme avance que vous avez délibérément tué votre fille, Angèle.
Cette absurdité ne me fait pas le même effet que lorsque je l’ai entendue pour la première fois de la bouche d’un de ses collègues, mais elle me fait tout de même frissonner. Comment peut-il prononcer une telle horreur ? Et pourquoi, depuis que je suis placé en garde-à-vue, n’a-t-on pas cherché Angèle pour prouver qu’elle est évidemment bien en vie ?
– Je vous l’ai déjà dit, je rétorque en tentant de garder une voix mesurée, je ne sais pas de quoi vous parlez. Ma fille a neuf ans, elle est en parfaite santé, et je ne vois aucune raison de penser le contraire. Thelma a affabulé, comme à son habitude, et vous devriez vous rendre compte de votre erreur : à l’heure qu’il est, Angèle doit être prise en charge par un parent d’élève de son école depuis mon hospitalisation, ce qui explique que vous ne l’ayez pas encore retrouvée. Mais elle vit avec moi, va à l’école comme n’importe quel enfant, vous pouvez aisément le vérifier.
Comme à chaque fois que je me justifie, un silence ponctue mes paroles, suivi d’un regard entre les enquêteurs. Le Docteur Prunolle remue à côté de moi, manifestement mal-à-l’aise.
– Votre fille n’a pas neuf ans, réplique le flic le plus gradé, elle est morte quand elle en avait six.
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