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– Allons, reprend le policier. Vous n’êtes pas curieuse de connaitre notre avis sur vos pratiques ?
– Je ne vois pas ce que…
– Une psychiatre connue pour prescrire des médicaments à tout-va, les refiler à tous ses patients avec plus de désinvolture que des pains au raisin, et qui laisse un patient atteint de schizophrénie et pas mal d’autres comorbidités sans traitement… Ça attire l’œil, quand on prête attention à votre parcours. Vous ne trouvez pas ?
Cette fois, je vois le Docteur Prunolle blêmir dans l’angle de ma vision. Elle s’est encore raidie.
– Votre réputation est… comment dire, entachée par quelques soupçons, comme vous devez le savoir. Peut-être de simples rumeurs, mais des rumeurs fâcheuses, Docteur Prunolle. Qui font courir le bruit que vous touchez des pots-de-vin de la part de certains laboratoires pharmaceutiques pour les refourguer en masse à vos patients, mais nous pourrons nous pencher sur ça plus tard… En tout cas, vos méthodes avec votre patient ici présent, Guillaume Delambre, ne suivent pas votre déontologie habituelle, quelle qu’elle soit, vous en conviendrez.
– Comment osez-vous insinuer de telles… ? C’est absolument honteux ! C’est…
Scandalisée, la psychiatre, tout comme moi, ne parvient même plus à formuler des phrases cohérentes.
– Pourquoi ne pas appliquer votre protocole habituel avec ce patient en particulier, docteur ? insiste l’un des flics.
– J’exige… C’est inadmissible ! Qu’est-ce que c’est que…
– Avant de vous sommer de venir ici, nous avons jeté un œil à vos mouvements bancaires. Une somme énorme chaque mois, qui n’est justifiée par aucune de vos activités en cabinet ou vos divers placements financiers, nous contrarie un peu… Vous pouvez l’expliquer ?
– Qu’est-ce que c’est que ces méthodes ? se révolte Prunolle. Sous quel prétexte avez-vous… Quelles sont vos… Comment osez-vous… ?
– Oh, nous avons les autorisations, si c’est ce qui vous chiffonne. Et nous en savons plus sur vous que vous ne le pensez. Mais parlez, ce sera notre tour ensuite. Et attention, de nouveaux mensonges pourraient vous coûter cher…
Je n’arrive pas à en croire mes oreilles. Ce qui se joue devant mes yeux me dépasse. J’ai eu mon lot d’émotion pour le prochain siècle, mais je ne peux m’empêcher de suivre l’échange houleux entre les enquêteurs et ma psychiatre, sans réagir. Cette dernière, médusée, bredouille encore des menaces pour tenter d’intimider les policiers, mais ces derniers l’avertissent une nouvelle fois qu’ils en savent plus sur son compte qu’elle ne le croit et qu’elle ferait mieux de parler sans plus tergiverser.
– Très bien, finit-elle par cracher, le père de Guillaume, François Delambre, me verse de l’argent pour que je ne lui prescrive pas de traitement qui empêche la dissociation.
Mon sang se fige dans mes veines. Je l’entends justifier :
– Mais c’est pour que son fils continue à mener une vie tranquille, bercé par l’illusion qu’il a toujours sa fille auprès de lui. Son père cherche juste à le protéger, et je le comprends, ce pauvre vieux !
– Ou alors, c’est parce qu’il sait des choses sur son fils et qu’il préfère que ce dernier reste dans le trouble de sa condition, dans les délires de ses hallucinations, pour l’empêcher de témoigner sur ce qui passé au moment de « l’accident ». Pratique…
– D’après les messages que vous échangez régulièrement avec lui, renchérit un autre flic, vous êtes sa maîtresse, à « ce pauvre vieux », comme vous dites. C’est lui qui vous a demandé d’être la psychiatre de son fils, n’est-ce pas ? Pour pouvoir le suivre scrupuleusement et éviter qu’il ne se souvienne de l’accident et du rôle qu’il y a joué. Il vous a choisie parce qu’il plaçait en vous la confiance que vous ne trahiriez pas un secret supplémentaire, et parce qu’il savait que vous étiez véreuse jusqu’à l’os, facilement corruptible.
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