Elisabeth.

 J’étais encore étourdie par ce qui venait de se passer et, tentai au mieux de rassembler mes pensées afin de garder mon calme. À aucun moment je n’avais senti la créature entrer. J’étais certaine que nous avions un peu de temps. Thaddée était en panique, courant d’un bout à l’autre de la pièce en serinant qu’il nous fallait partir, si bien que j’avais du mal à rester concentrée sur mon ami.
 - Je n’ai pas eu beaucoup d’occasions pour m'entraîner dernièrement, dis-je en me levant. J’espérais être plus rapide, mais j’ai sous-estimé la force de cette aimable … chose. Une seconde de plus et elle t’aurait probablement arraché la tête.

 J’observai l’étrange cadavre, sans pouvoir déterminer de quoi il s’agissait. Je n’avais encore jamais rien vu de tel.
- Je veux savoir ce qu’elle est, mais je crains que le temps nous manque. D’autres arrivent, je les sens qui approchent, et elles sont légion. Permets-moi juste que d’aller enfiler des vêtements plus appropriés, je ne peux chevaucher dans une telle tenue. Mon ami s’apprêta à dire quelque chose mais je l’arrêtai. On sera parti avant que les autres n’arrivent, je te le promets. Et, de grâce, vas te débarbouiller. Peu importe avec quoi elle t’a aspergé, cette chose a une odeur vraiment immonde !

 Quelques minutes plus tard, nous traversions le jardin, rejoignant le plus vite possible la grange où se trouvaient les chevaux. Notre fuite venait de commencer. À peine étions-nous en scelle que des cris se firent entendre. D’autres entités avaient dû parvenir à entrer dans le manoir, et leur plainte me laissa penser qu’elles avaient trouvé le cadavre de leur congénère. Nous nous élançâmes à toute allure.
 Les chevaux plongèrent littéralement dans la mer de neige, dont l’épaisseur ne sembla que peu les gêner. Je remarquai alors que certaines des créatures étaient dans le jardin et ne se firent pas prier pour s’élancer à notre poursuite, s’écriant de plus belle et avec tant de rage que je crus que mes tympans ne résisteraient pas. Mais nous les devançâmes rapidement car la neige fut contre elles. J’en vis s’empêtrer, quand d’autres essayaient de nous suivre tant bien que mal. L’une d’elles disparu entièrement pour ressurgir dans un geyser cotonneux. Elles allaient se fatiguer et ne pourraient pas nous suivre bien longtemps ainsi.

 Puis, le manoir fut loin, et les créatures aussi.

 Dans un premier temps, nous conservâmes une bonne allure , chevauchant à bride abattue à travers le paysage enneigé. Le froid fouettait mon visage de ses lames acérées, et mes cheveux dansaient dans le vent. C’était aussi douloureux que merveilleux et, en d’autres circonstances, j’aurais trouvé ce moment magique. Nous finîmes par ralentir, seulement parce que nous étions sûrs qu’il y avait assez de distance entre nous et l’objet de notre fuite. À ce moment-là, je n’aurais su dire où nous nous trouvions. Je ne m’étais pas autant éloignée du manoir depuis bien longtemps, lequel avait été mon refuge ces dernières années ; mon sanctuaire, jusqu’à aujourd’hui où l’Ombre était venue le profaner.

 Heinrich était concentré, soucieux, le regard fixé sur la direction à suivre. Où allions-nous ? Il était aux aguets, bien qu’il n’y ait plus de danger immédiat, et je ne pouvais le lui reprocher. Je sentais son esprit tourmenté. S’il avait pu percevoir les voix de mon esprit, il aurait senti le chaos qui régnait sous mon calme apparent. Mille questions s’y posaient, mais j’attendais, le laissant trouver les mots pour me raconter son histoire. Je savais aussi que le temps pouvait se décider à être contre nous ; des flocons de neige recommencèrent à voltiger.

 - Il nous faut trouver un endroit pour nous abriter, dis-je, et pour parler.