La Fuite : Suite II.
Heinrich.
- J’aimerais en avoir le temps, lui répondis-je le visage désolé, mais ces bestioles-là ne dorment jamais, elles nous rattraperaient bien vite… Trois jours que je crapahute pour les distancer, je ne m’attendais pas à ce qu’elles me retrouvent si vite. Et encore, ce n’est que l’avant goût, tu n’aurais pas envie de goûter à ce qui les suit, crois-moi…
Il faudrait que nous atteignions Thyria, nous pouvons y être en deux jours de chevauchée. De là, nous trouverons un navire qui acceptera de nous conduire aux Iles Sombres. Ah ! Tu te souviens de ce bon vieux temps, à batailler contre ces foutus Gobelins dans les îles, pour les empêcher de faire sauter les trois royaumes avec leur bombe adamantique… Stupides créatures… Ingénieuses, mais sacrément fêlées…
Je m'interrompis un instant, jetant un coup d’oeil à mon compas pour vérifier la direction, puis derrière nous pour m’assurer qu’aucune tâche sombre ne perturbait le paysage d’un blanc immaculé. Puis je repris en croisant le regard lourd de questions de la comtesse.
- Mais malheureusement nous allons avoir besoin d’eux. Ce sont les seules créatures disposant de la technologie nécessaire pour ouvrir une Porte… Oui chère amie, dis-je devant son visage surpris, nous allons devoir voyager un peu dans les Limbes…
Il s’avère que mon dernier contrat fut pour un richissime marchand, qui eut pour extravagance de vouloir récupérer des cristaux du Chaos Originel. Il engagea donc les services d’une petite armée de mercenaires, dont je faisais partie, et d’un Navigateur, ces drôles de personnages habilités à créer des mondes parallèles pour en atteindre d’autres. Mais celui-ci était un novice, et perturbé, sans doute à bon prix. D’ailleurs il est rare qu’ils offrent leurs services…
Quoi qu’il en soit, nous avons bien été jusqu’au Chaos, et certains d’entre nous sont morts pour ces foutus cristaux. Les créatures y sont féroces, vous avez pu en avoir un avant goût… Car oui, lors du retour, le Navigateur, perturbé par son premier séjour dans le Chaos, a créé un monde vivant. Une entité à part entière qui ne s’efface pas comme le font généralement les mondes qu’ils créent… Ce monde était noir, empli de la terreur du Chaos, si bien que les créatures réussirent à entrouvrir une brèche, car nous venions de quitter leur monde. La seule échappatoire fut pour le Navigateur de créer une Porte directe sur notre monde, sans intermédiaires parallèles, ce qui est normalement prohibé. Une créature l’a happé juste après, mais j’ai réussi, en utilisant tant bien que mal ces fichus graphèmes - dont tu le sais, je suis loin d’être adepte - à récupérer sa Clef, ce médaillon qui leur sert à ouvrir et fermer les Portes. Puis j’ai emprunté la Porte et fui pour sauver ma peau.
J’ai cherché en vain d’autres Navigateurs mais le Chaos fut plus rapide que moi. Néanmoins un Erudit m’a donné un plan, pour une machine qui, couplée à quelques graphèmes et à la Clef, pourrait permettre à un mage assez puissant de Naviguer vers la faille, pour la détruire de l’intérieur. C’est donc tout naturellement que j’ai pensé à toi.
Ce disant, je lui tendis la torche. Il commençait à faire sombre, le tapis blanc se grisait, et les premières étoiles commencèrent à scintiller dans le ciel. Le froid se fit sentir un peu plus intensément. Je la regardai dans ses beaux yeux clairs, contrastant avec les ténèbres qui tombaient doucement, attendant son approbation muette.
Je savais pertinemment que, malgré les années, elle n’avait pas perdu de ses pouvoirs. Les Mages et Sorceresses étaient la magie, là où le commun des mortels ne savait utiliser les graphèmes que très succinctement, et encore pour ceux qui avaient pu apprendre et qui arrivaient à sentir les flux telluriques. Pour ma part, chercher les flux, et avoir la force de les utiliser me demandait tellement d'énergie et de concentration que je préférais signer de mes lames. Mais pour une Sorceresse de la trempe de ma chère Elisabeth, il n’était même plus nécessaire de les chercher et d’y puiser l'énergie. Elle était un transmetteur humain de ces flux. Le danger résidait justement dans le fait que les flux s'écoulaient librement dans le corps des mages, et que le contrecoup subvenait une fois que l'énergie quittait leur corps, et il était arrivé bien souvent que certains se consument totalement en utilisant des graphèmes particulièrement puissants. Enfin, je parle de graphèmes car c’est sous cette forme que je me représente les sorts, mais pour eux la simple pensée suffit à faire ce que bon leur semble de l'énergie puisée.
J’attendis donc, la torche à bout de bras, que ma chère amie veuille bien m’éclairer dans ces ténèbres, et dans celles qui nous attendaient…
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