La Fuite : Suite III.
Elisabeth.
- Tu as pensé à moi…. Tu crois vraiment que je suis la bonne personne pour une telle entreprise ? Certes, j’ai conscience d’avoir un bon niveau de connaissances magiques et je ne me débrouillais pas trop mal lors de nos combats passés mais… je doute d’être à la hauteur cette fois. Et puis, tu sais qu’il y a un risque à rester enfermé du mauvais côté si nous parvenons à sceller cette faille, n’est-ce pas ?
S’il n’avait pas fait sombre, il aurait pu voir l’expression de crainte sur mon visage.
- Je crois que tu te sous-estimes, comme jadis, murmura-t-il.
Cette fois il en attendait plus de moi que ce que j’avais pu donner jusqu’à aujourd’hui et, en même temps, je ne pouvais pas ne pas essayer. Le défi était tentant, mais surtout, je ne pouvais pas l’abandonner. Et puis ce n’était pas de ma puissance dont je doutais, mais de l’équilibre précaire vers lequel elle pouvait me mener. Il le savait. Ce pouvait être si facile de passer dans l’Ombre : un instant de rage, de douleur, ou de tristesse, rien de plus, et tout pouvait basculer. N’était-ce d’ailleurs pas pour cette raison que je m’étais isolée ? J’avais senti le voile commencer à se déchirer et, mon esprit doucement se perdre… Des accidents étaient survenus. Aussi, je me souvenais de toutes ces fois où il m’avait épaulée et vu en moi des capacités dont je n’avais alors pas conscience, ou que je redoutais. Et c’est ainsi qu’il parut à nouveau, certain de l’aide que je pouvais lui apporter, bien que je n’y croyais pas moi-même.
- D’accord, dis-je en passant ma main devant la torche, qui émit un crépitement avant de s’embraser. De toute façon, je n’ai pas grand-chose d’autre à faire en ce moment, et il s’avère que je ne peux rentrer chez moi ; ce sera parfait comme occupation. Remettons-nous donc en chemin vers ces Gobelins et ce qui signera peut-être notre fin car, si nous restons ici, c’est la Mort elle-même qui viendra à nous.
Il avait raison, les créatures étaient rapides, ce qui me fit prendre conscience à quel point mes sens étaient engourdis. Je me devais de rester plus concentrée, afin que nous ne finissions pas une fois encore pris au dépourvu. Même si nous avions plusieurs kilomètres d’avance sur elles, je commençais à percevoir l’énergie de leur aura ténébreuse. Nous nous hâtâmes donc de nous remettre en route, la flamme de la torche nous aidant à percer l’obscurité nocturne qui s’était à présent installée.
Tandis que nous reprenions de la vitesse, je demandais intérieurement aux esprits de la Nature de faire diversion afin de tromper nos poursuivantes, tout en visionnant mentalement une aura de protection autour de nous.
Cette première nuit se déroula sans trop d’encombres. Le temps était plus clément, si bien que nous avions opté pour avancer sous le couvert des arbres. Cela nous ralentissait un peu, mais les Maîtres du règne végétal veillaient à notre protection, effaçant derrière nous les traces de notre passage. Tout était calme, silencieux ; même le trot des chevaux était feutré grâce à l’aura qui nous enveloppait. Un esprit non-initié qui se serait retrouvé à cet endroit, en plein cœur de la forêt, à une telle heure, n’aurait probablement perçu que le souffle de son errance mortelle là où je ressentais la plénitude et la douceur des esprits qui y vivaient. Ils me murmuraient que le danger était encore loin, dispersé, et que nous devions continuer notre chemin.
Au bout de quelques heures, nous arrivâmes à une clairière, où une chapelle s’élevait en son centre, toute éclairée par la pleine lune. En effet, le ciel était dégagé, affichant mille beautés célestes qui captivèrent mon ami quand je l’arrêtai avant qu’il n’aille plus loin : des Tourmenteurs avaient choisis cet endroit pour faire leur nid. Ces esprits des plus pervers étaient à éviter, s’en prenant à tout être humain qu’ils pouvaient croiser pour les posséder. Ils se nourrissaient ensuite de leur essence vitale, ne laissant derrière eux que des cadavres desséchés. Cela ne m’étonna pas de voir qu’ils avaient choisi une chapelle abandonnée, c’était le genre de lieu qu’ils adoraient, car des énergies plus puissantes en émergeaient.
Ils ne semblaient manifestement pas s’intéresser à nous, ce qui me laissait supposer que le sort d’aura fonctionnait bien, et j’en étais rassurée. Nous retournâmes donc parmi les arbres et continuâmes notre chemin, les laissant à leur errance.
- Nous devrions faire une halte, proposai-je peu après, les chevaux ont besoin de se reposer.
La forêt camouflant nos traces, s’il y avait un endroit pour prendre un peu de repos, c’était bien ici. Nous nous mîmes donc à guetter un coin où nous pourrions nous poser. Au bout d’une heure environ, nous arrivâmes sur les berges d’un ruisseau, qui se révéla être un endroit approprié ; les arbres y étaient plus espacés avec quelques buissons pour nous camoufler, et les chevaux auraient ainsi de quoi se désaltérer. Nous descendîmes de nos montures sans pour autant les décharger, un danger imminent n’étant pas totalement exclu malgré l’atmosphère de paix profonde qui régnait sous le couvert des arbres.
Tout en se dégourdissant les jambes, Heinrich restait sur le qui-vive, et je savais que cette halte ne le rassurait pas, malgré qu’il en comprenne la nécessité. Son regard scrutait l’obscurité à la recherche du moindre mouvement, tandis qu’il restait aux aguets de tout bruit suspect. Il finit par s’asseoir sur un tronc couché. De mon côté, je continuai à faire les cent pas, tentant de me réchauffer malgré l’air glacial. Il aurait été trop risqué de faire un feu, la torche produisant déjà suffisamment de lumière ; je n’avais donc que cette solution.
Les minutes qui suivirent s’égrenèrent en silence, l’un et l’autre perdus dans nos pensées. Par moment, nos regards se croisaient sous la lueur de la flamme vacillante et se fixaient un instant, nous plongeant dans une sorte de conversation télépathique, avant de se détourner pour nous laisser nous replonger dans nos pensées.
- On perd du temps ! finit-il par s’exclamer en se relevant. Il faut reprendre la route. Crois-moi, tu ne veux pas avoir à affronter ce qui nous suit. On a réussi à les devancer, et il vaut mieux que ça reste comme ça.
Les chevaux pestèrent de voir leur pause si brutalement écourtée, tandis qu’Heinrich se saisit de leur rêne pour m’en tendre une avant de se remettre en selle. Promptement je fis de même, et nous reprîmes le chemin. Il y en avait probablement pour quelques heures encore avant d’atteindre la lisière de la forêt et, une fois là-bas, les premières lueurs de l’aube ne devraient plus beaucoup se faire attendre.
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