Je me réveillai en sursaut. J’étais persuadé d’avoir entendu crier. Un cri long, qui semblait sourd et étouffé, résonnant dans mes songes. Mon cerveau mit un petit moment avant de percuter, troublé par cette sensation qu’il n’avait pas connu depuis bien longtemps. Elisabeth. Il lui était déjà arrivé de m’appeler, perdue dans ses visions. Étant liés par tout un rituel que nous avions jugé bon de faire lorsque ses transes avaient commencé à devenir violentes et incontrôlables, elle pouvait accéder à mon esprit dans ces moments.

 Je bondis du lit, sortis en trombe de la cabine, et la vis: les yeux révulsés, elle était cambrée en arrière près du bastingage qui portait des marques de griffures, en une position qu’il me semblait humainement impossible de tenir. Et elle brûlait. Je savais bien que ce n'était pas la vision qui avait enflammé notre dimension, tout se passait dans sa tête, c’était elle-même qui vivait cette vision, tellement qu’elle lui donnait vie dans son inconscience. De là à prendre feu, oui.
 Je couru vers elle, et vis Druss qui en même temps accourait avec un seau d’eau. Un seau pour des flammes de l’Enfer, pauvre Druss. Je saisis ma chère Comtesse au vol, sans me préoccuper des flammes, et sautai par dessus le bastingage. Nous heurtâmes la surface de l’eau, froide et sombre, et elle reprit connaissance dès que nous fûmes entièrement submergés. Je couvris sa bouche pour qu’elle n’avale pas trop d’eau dans sa reprise de conscience, et l’aidai à remonter vers la surface, où elle inspira à pleins poumons.

 - Alors chère amie, on cherche à réchauffer les coeurs ? dis-je avec un sourire qui se voulait rassurant malgré les évènements.

 Elle répondit d’un sourire fébrile, sans croiser mon regard, encore perdue dans ses pensées. Qu’avait-elle vu cette fois ? Ses visions arrivaient rarement par hasard, et étaient encore plus rarement porteuses de bons présages… C'était loin d'être la plus violente, elle avait déjà failli détruire une ville entière en rêvant des Guerres Adamantiques, et il avait fallu les efforts de tous les mages présents pour réussir à contenir son énergie et la réveiller. Jaya, l’un des Cinq que nous étions autrefois, y avait fortement contribué. Un personnage assez détestable en soi, versé dans les arts de mort et de nécromancie, idolâtrant la souffrance sous toutes ses formes, et n’hésitant pas à la pratiquer sur toutes créatures osant s’approcher de sa personne. Mais d’une grande puissance, on ne pouvait le nier, et c’était d’ailleurs pour cela que nous supportions ses frasques. Je n’en avais pas entendu parler depuis la fin de la guerre, très certainement reclus dans un Comté usurpé où il aurait asservi les habitants. Ça lui ressemblerait bien.

 Le bateau arrivait à notre hauteur, après avoir fait demi tour, quand quelque chose m'agrippa la jambe. Je voulu saisir Styx, mais m'aperçus que je l’avais enlevé avant de me coucher… Je me débattis, mais reçu une décharge qui crispa mes muscles. On me mit un truc gluant sur le visage, et je pus respirer. Un Branxiox, une créature marine gélatineuse qui avait la faculté de filtrer l'oxygène contenu dans l’eau. Je cherchai une nouvelle fois à me débattre, et reçus une nouvelle décharge qui me sonna, me faisant tourner de l’oeil, qui garda comme image celle de la Comtesse aux prises des Amphibs, et Druss, Thanatos brandie, se faisant accueillir d’une paire d’éclairs bleutés.