La traversée : Suite III.
J’étais sous le choc de ma reprise de conscience brutale et de l’eau froide, si froide…. Je me sentais engourdie, peinant à rassembler toutes mes idées, puis je vis Heinrich perdre connaissance et commencer à sombrer dans l’eau. J’essayai de nager vers lui quand je reçus une décharge qui me stoppa net dans mon élan et une chose me sauta au visage. Qu’est-ce que c’était ? Il me semblait avoir déjà vu cette créature, mais n’y avoir jamais été confrontée.
La mémoire me revint au moment où deux yeux situés à l’extrémité d’antennes se mirent à me fixer. Le branchiox était une créature très pénible, sans être vraiment mortelle, et qui comme tout être avait un point faible : ses antennes. Non seulement c’était là que se situaient ses yeux, mais elles constituaient également le cœur de son système sensitif. Ainsi, en parvenant à les endommager, la créature s’engourdissait et lâchait prise, mais ce n’était pas chose aisée, car elle pouvait les rétracter, pareil à un escargot.
Je fixais à mon tour ces yeux totalement noirs et inexpressifs. Je sentis son agressivité. Elle était déterminée à ne pas me lâcher, quoi qu’il lui en coûte. Mais même si elle me permettait de respirer sous l’eau, je n’avais aucune envie de la garder agglutinée à moi ! La prenant de court, je m’emparai de ses antennes et pressai les orbites qui me fixaient toujours, lesquelles éclatèrent comme des fruits pourris. Déstabilisée, la créature tenta en vain de lancer une décharge avant de lâcher prise, restant flotter à la surface de l’eau, comme morte.
Hors de l'eau, je vis que Druss était à moitié accroché à la coque du bateau, donnant des coups d’épée enragés dans l’eau qui lui renvoyait des éclairs. Il injuriait tout ce qui s’y trouvait et qui semblait apparemment ne pas faire cas de son acharnement. Je lui criai de viser les antennes avant de prendre une profonde inspiration et plonger dans les eaux ténébreuses pour rattraper mon ami.
D’abord, je ne vis rien. Il faisait nuit, et la seule lumière de la lune n’était pas suffisante pour distinguer quoique ce soit. Je sentis la panique m’envahir mais la repoussai aussitôt ; il ne pouvait être très loin. Je continuai de descendre, mètre après mètre, inspectant les alentours aussi bien que je le pus, me concentrant sur sa présence, son énergie. L’eau était si froide… Enfin je le perçus un peu plus bas, son aura teintée d’un bleu très pâle. Il était toujours inconscient. La créature était agglutinée à lui, le maintenant en vie, et elle ne semblait pas vouloir partager sa proie. Quand elle me vit, elle commença à envoyer des éclairs dans tous les sens. J’esquivai comme je pus mais me fis quand même électrocutée à plusieurs reprises alors que je m’approchais pour me saisir de ses antennes. Trop frondeuse pour tenter une esquive, elle eut droit au même sort que sa consœur. Après quoi j’attrapai mon ami dans mes bras et, sentant que je commençais à manquer d’air, remontai le plus vite possible à la surface.
Druss était en train d’affoler la colonie et je voyais des lueurs bleues illuminer l’eau à mesure que nous remontions. Enfin, nous émergeâmes et je pus reprendre un semblant de souffle, si froid que j’eus l’impression d’être poignardée de l’intérieur. Mon ami demeura quant à lui inconscient. Seule la sensation de son cœur qui battait sous ma main pouvait me rassurer en cet instant, mais il fallait que nous sortions de l’eau le plus rapidement, sinon nous allions mourir gelés, à défaut de servir à nourrir les branchiox…
- Druss arrêtes de les frapper ! hoquetai-je comme je pus.
Il leva les yeux vers moi avant de perdre prise suite à une nouvelle décharge qu’une dizaine de branchiox s’étaient organisés à lui envoyer. Il tomba à l’eau, en plein milieu des créatures, et j’entendis des cris retentir plus haut, sur le bateau, où la quasi-totalité des personnes à bord s’étaient réunies sur le pont pour observer ce qui se passait. Certains essayaient d’aider mais n’osaient pas s’approcher de peur de se retrouver dans notre position.
Je me sentais démunie, et la colère commençait à m’envahir. Ce pouvait être dangereux de laisser mes pulsions prendre le dessus, je pouvais perdre le contrôle, mais la situation s’envenimerait si personne ne faisait rien. Alors, je laissai la rage m'envahir et, doucement, les branchiox commencèrent à sortir de l’eau, s’élevant dans les airs sous les regards médusés de ceux qui assistaient à la scène. Les créatures flottèrent, de plus en plus haut, comme des étoiles qui auraient perdu leur chemin, continuant d’émettre des éclairs mais incapables d’atteindre quoi que ce soit. J’entendis vaguement la voix de Druss, avant de faire littéralement éclater les créatures qui retombèrent en une pluie de matière visqueuse. Plusieurs personnes hurlèrent sur le bateau.
Retournant à un état de conscience plus normal, je vis qu’Heinrich était revenu à lui et m’observait avec inquiétude. Je lui murmurai que ça allait après quoi Druss nous aida à remonter à bord, nous portant plus ou moins tous les deux grâce à sa force hors norme. Nous nous écroulâmes sur le pont, trempés et transis de froid. Plus personne n’osait dire quoi que ce soit. Un silence lourd de questions, et de peur. Levant les yeux, je vis que certains me fixaient comme si j’étais un animal féroce, ou une bête de foire. Je sentis le besoin de fuir, de me cacher et, me relevant, trébuchant à cause de mes membres engourdis, je regagnai la cabine sans un mot.
Une fois dans l’habitacle, je me laissai tomber sur le sol, vidée de toute énergie.
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