La traversée : Suite IV.
Après avoir été voir si ma chère amie se portait bien, l’avoir mise au lit et bordée, je ressortis, humant les embruns, ressassant les évènements. La peur n’avait pas été de voir la Elisabeth faire montre de son pouvoir, mais plus qu’elle se laisse dépasser par celui-ci. Cela pouvait aller tellement vite, dans des cas d’émotions intenses. J’étais rassuré de la voir seulement exténuée; un peu de sommeil et elle serait sur pieds.
Trois jours passèrent dans le plus grand calme. Les passagers se remettaient de leurs pertes, pleurant leurs proches disparus pour lesquels ils ne pourraient jamais faire de funérailles. Des chandelles furent allumées sur diverses parties du bateau, comme autant de petits autels pour apaiser les esprits et aider ceux qui sont morts à passer dans l’autre monde.
Le matin du quatrième jour, les Iles Sombres apparurent au loin entre la brume. Des îles magmatiques, recouvertes de pierres noires et tranchantes, d'arêtes escarpées impossibles à gravir, et de lacs de laves. Les gobelins habitaient dans des souterrains creusés dans la roche, profitant du magma pour forger et fabriquer tout l’arsenal qui leur était propre. Des très bons ouvriers, mais trop fêlés pour avoir les idées, ce qui les rendaient moins dangereux qu’ils ne pourraient l'être avec un cerveau non déficient.
Druss s’appuya au bastingage à mes cotes.
- Ah, que de souvenirs… dit-il en contemplant les crêtes acérées se dessiner sur l’horizon où l’aube pointait. Toute cette époque me manque. Thanatos s’émousse, elle n’a étripé que quelques malfrats de basse envergure en trois bonnes années. Elle a soif de bonnes batailles. Tu es sûr que mon aide ne serait pas de trop ? Tu m’as l’air un peu à bout, jamais ces poiscailles ne t’auraient eu si facilement avant.
C’était vrai. Je ressentais la fatigue dans tout mon corps. J’avais besoin de me reposer mais je n’en avais pas le temps. Je regardai le colosse, croisant son regard.
- Tu as ta famille…
- Ma femme n’a pas besoin de moi, crois moi, me coupa-t-il. Nous avons eu des cambrioleurs une fois, qui ont eu le malheur de tomber sur elle . J’ai du faire le ménage en rentrant, ce n'était pas joli à voir. Je ne sais pas grand chose de son passé, mais je la soupçonne d'avoir fait partie du Cercle des Ombres.
Je jetai un oeil à la femme blonde sur le pont, souriant à l’idée de Druss faisant le ménage. Elle était très belle, ses cheveux flottant aux vents, tandis qu’elle surveillait ses deux bambins. Rien d’une grande guerrière. Mais je repensai à Zira, la cinquième, une petite brune aux yeux vert perçants. D’apparence inoffensive, et pourtant elle pouvait tailler en pièce, n’importe quel homme avant même qu’il ait pu sortir son épée du fourreau. Elle avait fait partie du Cercle des Ombres également, une association mystique dont les membres étaient les assassins les plus redoutables des trois royaumes. D’une rapidité et d’une furtivité presque inhumaine, où ils passaient, leurs cibles trépassaient, leurs contrats étaient toujours honorés.
- Ahah, je vois qui porte la culotte, ricanai-je. D’accord, tu peux venir, enchaînai-je avant qu’il ne me déboîte à nouveau l'épaule. Aiguise tes lames, on va en avoir besoin.
***
Perché sur son promontoire, Gargl surveillait à travers la lunette le navire en arrivage. Cela faisait déjà deux bonnes heures qu’il avait donné l’alerte, et ses frères étaient sur les versants côtiers, attendant l’embarcation de pied ferme. Une lame glissa soudain sur sa gorge, et il s’étouffa dans son propre sang, tombant au sol.
Une botte l'écarta, prenant place devant la lunette.
- Eux… J’en étais sur. Il est temps de faire payer les dettes.
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