Chapitre 5 : Les Îles Sombres.
À l’œil nu, la côte semblait déserte. Du navire, on ne percevait encore qu’une masse informe et rocheuse prête à cisailler quiconque oserait y poser le pied. Mais ils étaient bien là. Des dizaines de gobelins armés de leurs curieuses et redoutables lames dont eux seuls avaient le secret de fabrication, observant de leur cachette l’ennemi qui doucement approchait. Même si ce dernier était encore à une bonne distance, ils restaient immobiles, respirant à peine, attendant et ruminant leur rancœur envers la race des hommes.
La dernière fois qu’un bateau était apparu à l’horizon datait de quelques mois auparavant, et ce n’était alors qu’un bref passage dans le lointain. Aucun ne s’aventurait près des côtes, sous peine de ne jamais revenir… À l’exception d’un, lors de la guerre, il y a quelques années maintenant. Un grand nombre des leurs avait péri -un véritable massacre en fait-, et cela seulement par une petite troupe de ces êtres qui se veulent humains. Depuis, les gobelins n’avaient cessé de se préparer, de s’entraîner, de mettre au point des armes plus efficaces, afin que jamais plus cette race qui se croit si forte et si supérieure ne puisse avoir le dessus sur eux.
Concentrés sur la cible, aucun n’avait encore remarqué que leur confrère avait disparu du promontoire, remplacé par un être humanoïde qu’ils ne connaissaient que trop bien. Et quelques minutes s’écoulèrent, lourdes et silencieuses, si ce n’est les grognements de certains d’entre eux qui se voulaient pourtant être discrets.
Puis il y eut un bruit d’éboulement, suivi d’une masse qui s’écrasa mollement auprès d’un des guetteurs, lequel couina de surprise en découvrant son confrère, Gargl, gisant mort à ses pieds. Il leva la tête avec une expression effarée, avant de couiner une nouvelle fois. Ceux qui étaient le plus proches de lui, et qui assistèrent à la scène, suivirent son regard pour découvrir la silhouette massive qui occupait dorénavant le poste d’observation : Harguz, aussi connu sous le nom de Déchiqueteur.
Aucun d’entre eux ne voulait avoir à faire à lui, ni le croiser, ni même passer dans son champ de vision. Il était connu comme étant une véritable machine à tuer, et c’était peu dire. Il avait une silhouette humanoïde, mais était bien plus grand et plus large qu’un homme. Sa peau était d’un gris terne, sa musculature impressionnante et sa force plus que redoutable. Plus d’une fois on l’avait vu broyer la tête d’un gobelin, d’une seule main, pour ne pas dire que la tête avait littéralement explosé entre ses doigts. Une légende racontait qu’il était issu d’un mélange de toutes les races vivant en ce monde, qu’il égalait les dieux, et que même l’Enfer ne voulait pas de lui.
Ce dernier les observait, un semblant de sourire sur le visage, mais qui s’apparentait plus à une expression de dégout. Il tenait fermement une claymore avec une immense lame crénelée qui dans sa main paraissait avoir la taille d’une simple épée. Qu’est-ce qui pouvait être pire en cet instant entre Harguz et ce qui se trouvait sur le bateau ? Le doute commença à étreindre ceux qui observaient la bête et certains eurent même l’idée fugitive de fuir discrètement… Mais pas un ne bougea.
Dominant le paysage de toute sa hauteur, Harguz n’avait clairement rien à voir avec ces hideux gobelins qu’il observait en ce moment même, lesquels se vautraient dans la boue en pensant être cachés, mais dont la puanteur les trahissait à des dizaines de mètres à la ronde. Il haïssait ces créatures, mais il leur inspirait tant de crainte qu’il avait un contrôle total sur elles. Une parfaite petite armée pour assouvir sa vengeance, et quelque chose lui disait qu’il n’aurait plus à attendre très longtemps pour pouvoir tailler en pièces et déverser la rage acide qu’il contenait en lui. Il jeta un nouveau regard dans la lunette à présent que le navire s’était un peu plus rapproché.
- Et voilà la vermine qui revient vers son dernier repas, vérifier s’il n’y a pas quelques restes qui puissent encore être rongés, dit-il d’un murmure sourd qui sembla faire écho sur les pierres sombres.
À présent, tous les gobelins en position savaient sous le joug de qui ils se trouvaient et, prêts à passer à l’attaque, ils observaient le navire qui manœuvrait en se rapprochant du rivage.
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