Les Îles Sombres : Suite V.
Tout s’était passé extrêmement vite. Les gobelins affluaient dans la salle, mais Druss avait trouvé une grande hache dans un coin, et ses moulinets taillaient en pièce quiconque passait l’entrée de la cellule - qui ne permettait le passages de seulement trois ou quatre créatures à la fois. Je passai le bras de mon amie autour de mes épaules, la soutenant d’un bras ferme par la taille. Elle avait l’air mal en point, cette brute l’avait cognée fort. Mon sang avait bouilli à cette vue, et j’avais bondi sur lui dès que je m’étais débarrassé de mes liens, mais je m’étais heurté à une masse inerte, comme une coquille vide. Je ne savais pas ce qu’elle avait pu lui faire, mais visiblement il n’était plus parmi nous.
Le sol était poisseux de sang, frais et séché, et certains de nos compagnons y gisaient, tombés dans la bataille. Des morceaux de gobelins désarticulés par Druss venaient les y rejoindre, comme une offrande pour leur passage dans l’au-delà. Les créatures n’arrêtaient cependant pas d’affluer, et je voyais mal comment nous sortir de ce pétrin. Il fallait récupérer notre équipement, puis rejoindre une forge et forcer les gobelins à nous construire une porte en maintenant les autres à distance. Cela paraissait insensé dans notre position, et je ne savais pas si Elisabeth serait en mesure de nous faire passer la porte. Je jetai un regard vers elle, elle était sonnée mais elle me rendit mon regard comme pour me dire qu’elle avait compris et que je pouvais compter sur elle.
- Druss ! hurlai-je pour couvrir les cris des créatures. Il faut récupérer notre équipement ! Balais-moi cette vermine !
- Avec grand plaisir !
Et le colosse se mit à avancer en moulinant, tranchant littéralement un passage à travers le flot de gobelins, et les hommes qui le suivaient s’occupaient du peu de survivants qui passaient à travers les coups de hache. Le flot se calma un peu au bout d’un moment et nous arrivâmes à la salle où était entreposé notre équipement. Bloquant la porte à l’aide d’une lourde étagère qui se tenait non loin, nous prîmes un instant de repos. J'aidai mon amie à s'étendre dans un vieux fauteuil crasseux, après l'avoir couvert de mon manteau. Elle ne semblait pas avoir d’hémorragie interne, pas de signes de saignement au niveau des oreilles, ni du nez. Elle portait seulement des hématomes au visage, que je l’aidai à couvrir à l'aide d'un onguent de sa composition.
- Repose toi, lui soufflai-je. On a besoin de toi. J'ai besoin de toi.
Je lui lançai un dernier regard plein d'affection, et allai rejoindre Druss pour discuter de la marche à suivre.
- Comment elle va ? me lança-t-il alors que je m’asseyais.
- Elle devrait se remettre. Elle a vu bien pire.
- Qu'est ce qui s'est passé avec Harguz ? Je t'ai vu te jeter sur lui et lui tomber comme terrassé par la foudre…
- Je ne sais. Je ne l'avais pas encore vue terrasser quelqu'un comme cela, dis-je en lançant un regard vers Elisabeth. Il est possible que la brèche ait un impact sur ses pouvoirs. Les graphèmes ont des effets qui diffèrent dans les régions du Chaos, c'est possible que ça puissent altérer la magie ici aussi.
Il se gratta la barbe d'un air pensif.
- Qu'est ce que tu proposes comme marche à suivre ?
- Je pensais essayer de rejoindre une forge, et…
Un hurlement retentit soudain. Un cri inhumain, guttural, qui fit trembler les murs. Druss empoigna sa hache et me lança un regard inquisiteur. Je lui rendis un regard tout aussi perplexe, je n'avais jamais entendu de tel cri auparavant. Les coups des gobelins contre la porte s'étaient interrompus. À présent le silence régnait dans la salle.
Puis, nous perçûmes des bruits sourds, comme des pas, et le cri retentit à nouveau, mais bien plus proche. S'ensuivirent des piaillements de gobelins qui semblaient s'enfuir, et les pas qui se rapprochèrent, puis se stoppèrent. Un coup formidable retentit contre la porte, la faisant craquer. Nous nous mîmes tous sur nos gardes, face à la porte, assistant alors au spectacle d'un poing la traversant, ainsi que l'étagère. Par le trou percé, une tête hideuse apparut. Elle était noire, cerclée de cette matière qui sert de carapaces aux créatures du Chaos mais d'une façon totalement chaotique. Les yeux étaient rouges, injectés de sang, et je doutais que la créature s'en servent encore pour voir. Il était bien changé, mais tous reconnurent Harguz.
- On dirait que le Chaos s'est emparé de lui ! cria Druss.
C'était tout à fait ça. Un autre coup retentit, agrandissant le trou, tandis que je me retournais précipitamment vers ma chère amie qui s'était relevée, aussi alerte que nous.
- Que lui as-tu fait ?, lui demandai-je.
- Je ne sais pas vraiment, me répondit-elle. J'étais dans son esprit, puis j'ai pensé au Chaos…
Je réfléchis. Se pourrait-il qu'elle ait ouvert un passage sur le Chaos, qui ait englouti l'esprit d’Harguz ? Si tel était le cas, elle pouvait peut-être ouvrir un passage, sans avoir besoin de porte, comme le font les Navigateurs. Ça valait la peine d’essayer. Je lui lançai un regard, et je pus lire dans ses yeux qu’elle était arrivée au même raisonnement que moi.
- Tu peux le faire, je crois en toi, lui dis-je en lui tendant la clé du Navigateur.
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