Chapitre 15 - Perdus

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"Il est extrêmement rare que la montagne soit abrupte de tous côtés"
André Gide

Le refuge est maintenant bien visible, tâche brune dans la blancheur de la neige. Il ne semble pas occupé. Aucune lumière, point de fumée montant de la cheminée. Qu'à cela ne tienne, l'objectif est déterminé, il ne reste plus qu'à avancer.

Lance prend la carte et se repère. Les sommets en face de lui permettent de trianguler approximativement leur position. Il ne semble cependant pas y avoir de chemin praticable pour se rendre sous ce toit tant attendu. Qu'à cela ne tienne, ils tireront au droit, décide Lance, et prenant d'autres points de marquage afin de s'orienter dans leur descente de la crête vers la clairière en contrebas.

La randonnée semble pourtant si longue. Le froid a engourdi les muscles, érodé les volontés. Valentine perd de plus en plus pied, sanglotant, à la limite de ce que son corps peut endurer, même si elle ne veut pas l'admettre. Et avec le vent qui se lève, et les chutes de neige qui reprennent, il va falloir trouver un abri.

Lance regarde autour de lui, puis sur la carte. En faisant un léger détour, il semble y avoir un endroit un peu rocheux. Ils pourront peut-être y trouver un creux où se blottir, ou du moins un mur pour s'abriter du vent. Il glisse son bras sous les aisselles de Valentine pour la soutenir tandis qu'elle s'accroche à son épaule. Et les voici avançant, cahin-caha.

Là, devant, un creux suffisamment grand pour s'y cacher, abrité de la neige, mais aussi assez petit pour pouvoir le réchauffer de leur chaleur corporelle. Lance porte presque sa compagne sur les derniers mètres. Il la pose sur un rocher et se met à dégager un maximum de neige avant de la faire entrer dans l'anfractuosité. Puis il ressort, à la recherche de branches, ou de tout ce qui permettra de bloquer l'entrer, pour les protéger du vent et de la neige tourbillonnante.

Une fois revenu, l'entrée barricadée, il fait se lever Valentine, se met dos à la paroi, et la fait s'asseoir entre ses jambes, son dos contre son torse, afin de l'entourer de ses bras. Elle est gelée, il sent son oreille contre sa joue, un véritable glaçon. Mais il n'y a rien d'autre qu'il ne puisse faire. Alors il plonge son nez dans le cou de la belle femme, pour la réchauffer un peu plus. Elle se love alors dans ses bras, biche apeurée. Ils sont seuls, eu creux de la montagne, comme dans le mythe de Platon, l'allégorie de la caverne, ne sachant s’ils doivent rester dans ce sein pour l'instant accueillant, ou sortir découvrir si tout va mieux dehors.

Le jeune homme n'en même également pas large. Combien de temps devront-ils attendre ici, dans la tempête, sans feu ? Pourquoi n'est-il pas fumeur, d'ailleurs ? Pour une fois, avoir un briquet aurait été utile. D'ailleurs ça lui a déjà servi à aborder quelques donzelles. Non. Ne pas divaguer, se reconcentrer sur Valentine.

Lance commence alors à murmurer dans l'oreille de sa compagne, pour qu’elle ne sombre pas en léthargie. "Il ne faut pas s'endormir.", "Tu es forte.", "Tout va bien se passer." Tu sens ma chaleur contre ton dos.", voilà les mots qu'il lui glisse, douces caresses dans ce froid intense.

Par inadvertance, ou parce que lui également commence à sombrer, il a failli lui dire "Je t'aime". Mais non, ce n'est pas possible, ils ne se connaissent que depuis ce matin. Le coup de foudre, il n'y croit pas, il n'y croit plus. Pourtant, elle est belle, intelligente, coquine, a une belle répartie, une forte volonté. Tout ce qu'il aime chez une femme, et qu'il n'a jamais trouvé chez une seule, expliquant peut-être ses papillonnages intempestifs, son manque d'attachement lorsqu'il est en couple, et le fait qu'il les perde toutes les unes après les autres.

Valentine ne réagit plus à ses mots, elle reste immobile, les yeux fermés. Pour la faire réagir, Lance dépose de doux baisers sur ses joues. Sans résultat. Il lui prend le menton entre les doigts pour approcher son visage et embrasser son front gelé, toujours sans succès. Respire-t-elle encore ? Il approche ses lèvres de sa bouche, presque à l'embrasser. Il n'a jamais été aussi proche d'elle. Mais elle ne réagit toujours pas. Il pose juste les lèvres sur les siennes, et à ce moment-là il sent un léger souffle chaud. Oui, elle est vivante.

Dehors, la tempête semble s'être calmée. Lance frotte les jambes de sa compagne afin de faire redémarrer la circulation sanguine, et par la même occasion de la réveiller, puis se relève afin de dégager l'entrée de cet amas de branche et de neige fraîche qui avait bien colmaté la brèche et les avait si bien protégés.

Il est temps maintenant de reprendre la route. Et maintenant que la visibilité est bien meilleure, un chemin se dessine, en ligne presque droite jusqu'au refuge en contrebas. Quelques minutes de marche tout au plus. Un dernier effort, ils pourront bientôt se réchauffer.

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