Tristesse

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Tristesse, ce n'est pas son vrai nom, bien sûr, mais je ne lui en ai jamais connu d’autre. Je la connais depuis tout petit. Autant que je sache, elle a toujours été comme ça : ridée. Les cheveux blancs, les yeux qui brillent un peu de malice et un peu de larmes, et une tristesse infinie drapée autour d’elle comme un manteau. Tristesse, pour moi, c’est les tartines de pain au beurre et à la confiture pour le goûter, c'est le chocolat chaud l’hiver après l'école quand j’attendais que mes parents reviennent du travail. En grandissant, elle devenue la tante qui m’entourait de ses bras quand je m’écorchais les genoux à vélo, l’amie à qui j’ai confié mes rêves timides et mes premiers amours. Elle s’est occupée de mon grand-papo et de ma mamaine quand ils sont devenus trop vieux pour descendre au village, puis sortir du jardin, de la maison, et enfin de leur chambre. Alors Tristesse, maintenant, c’est moi qui en prend soin. Je lui monte son pain tous les jours, avec les quelques courses qu'elle ne me demande pas mais dont je sais qu’elle ne peut pas se passer. Des cerises quand c’est la saison, une truite du marché le vendredi et quand il y en a, un bon morceau de fromage du coteau aux loups. J’en demande aux copains qui conduisent les gros camions de fruits et légumes. Avec le nouveau tunnel vers la frontière, il y en a toujours un pour m’en rapporter au moins une fois par mois, et je rigole comme un môme quand je dépose le butin en douce sur sa table, pendant qu’elle a le dos tourné.

Quand je suis arrivé, elle prenait le soleil au jardin avec Gersande, son chat. Comme d’habitude, elle avait préparé trop à déjeuner, et elle m’a proposé de rester. Au café, je lui ai raconté en gloussant l’histoire de la brebis de Mathurin et des loups habillés en peaux humaines. Mais elle n’a pas ri. Elle a souri, d’un sourire infiniment triste, et infiniment doux. Ça m’a surpris. Je la connais bien. Je sais que même ses joies les plus profondes sont toujours un peu étouffées, un peu pâlies. Ses plus beaux moments ont un petit parfum de sanglots. C’est aussi pour ça que je l’aime bien, Tristesse. Passer la voir, c’est comme aller regarder un film qui fait pleurer au cinéma. Quand on s’en va, le soleil brille un peu plus fort, et le ciel est un peu plus bleu. C’est agréable de goûter au chagrin quand on sait qu’il ne durera pas.

Mais là, c’était différent. Je lui ai demandé ce qu’il y avait. Elle a souri à nouveau, et m’a resservi du gâteau.

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