Chapitre 5
Il avait été construit au fond de la campagne Ukrainienne après la première guerre mondiale par le gouvernement. D'une allure inquiétante, il ressemblait à l'un de ces vieux châteaux délabré, source de nombreuses légendes locales. Il était là pour accueillir les enfants, comme moi, abandonnés à la naissance ou délaissé par une famille trop pauvre pour subvenir à leur besoin. Je ne me rappelle de presque rien avant lui. Avant ses murs gris délabrés et son odeur de détergent qui suintait jusque dans notre épiderme. Cette pestilence nauséabonde cachait un effluve bien plus fort, celui de la peur. Je n'avais pas encore huit ans et je pouvais déjà la sentir. Elle émanait de partout. Dans nos sourires invisibles, dans nos inspirations stressées et nos expirations contenues. Le soir, elle se faisait reine, se glissant dans nos chambres comme un serpent. Le jour, sa présence était à peine perceptible, tapie derrière chaque porte, chaque fenêtre, chaque cri. Bien plus qu’un sentiment, une présence que l'on pouvait sentir, voir, presque toucher du bout des doigts.
Un père ? Une mère ? Je ne sais pas. Depuis mon premier souffle, mon premier regard, j'ai toujours eu l’impression de vivre entre ces murs. Nous étions dans de petites pièces sombres et poussiéreuses qui offraient à peine d'espace à nos fragiles corps d'enfant. Entassés comme des animaux, nourrit comme des bêtes, traités comme du bétail. Le matin, les infirmières nous réveillaient, faisant vibrer leur bâton de tortionnaire sur les parois de nos chambres. La lumière des couloirs blancs projetait leurs ombres sur les murs de nos obscures cellules, les faisant apparaître telle des sorcières, des monstres, des démons. Chaque jour, en ouvrant difficilement les paupières, je me faisais traîner de force à l'extérieur de ma cellule. Comme des prisonniers, nous étions alignés en rang pour une inspection générale. Ceux qui étaient en retard se faisait punir sévèrement. Puis venait le temps de la toilette. Déshabillé et humilié tous ensemble dans une salle insalubre, carrelé du sol au plafond. Je me rappelle encore de ces traces de sang sur les pavés de notre "salle de bain commune". Ces monstres ne nous offrait même pas la décence d'essayer de cacher leur cruauté. As-tu une idée de quel traumatisme se crée dans la tête d'un petit garçon quand il vit de tels moments ? Encore aujourd’hui, je tremble en me rappelant ce qu’ils voulaient de nous.
La journée, nous passions notre temps auprès des docteurs qui nous lisaient en boucle un étrange livre. Avec le temps, nous l'avions appris par cœur et le répétions comme un disque rayé. Nous n’imaginions pas à l’époque de ce qu'il représentait. Toutes les heures, certains d'entre nous étaient mis à l'écart pour participer à ce qu'ils appelaient des "séances d’éducation personnalisées". Quand ils en revenaient, le corps remplit d’hématomes et cicatrices, leur regard avait changé, vidé un peu plus d'espoir. Parfois, totalement. Aussi, quand j'étais petit, je pensais que le mot "personnalisé" voulait dire "torture", ou quelque chose dans ce genre. Je n'ai jamais pu aller à l'école. Personne ne voulait de nous à l'extérieur du monde, alors qui pouvait bien se soucier de notre avenir ? Pour la plupart orphelin, certains abandonnés, d'autres égarés. Moi aussi, j’aurai voulu un super-héros pour me sauver, mais personne n’est jamais venu. A l'époque, nous n'étions que des enfants, nous ne comprenions pas ce que cet établissement nous faisait subir. Au début, j'ai pleuré toutes les nuits. J'appelais une mère inconnue, un seigneur en qui je ne croyais pas. J'ai tenté plusieurs fois de m'étouffer avec ma nourriture, de m'enfuir, de faire du mal à ceux qui m'en faisait. Alors, ils m'en faisaient davantage. Leurs punitions toujours à la hauteur de leur cruauté. Quand je me suis retrouvé à jeûner pendant une semaine, à côtoyer l'immonde pour survivre, j'ai compris que le petit bonhomme de huit ans que j'étais ne serait bientôt plus qu'un lointain souvenir. Je me faisais du mal, rongé par la culpabilité d’être aussi faible.
Si je te raconte ces choses horribles, ce n'est pas pour implorer ta pitié, je ne la mérite pas. Je t'offre simplement les clés pour comprendre ce que j'ai fait.
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