Un 31 décembre

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C'était la nuit du 31 décembre.

Dehors, il faisait un froid à pierre fendre.

Dans l’auberge bondée, le père avait dit à la mère : « débrouille toi seule, j'ai pas quatre bras! ». La mère a accouché, seule, dans la chambre, au-dessus de la salle.

A minuit, on a entendu crier. Le père est monté, sa femme était morte, l’enfant était né. Il criait en agitant ses petits pieds. En revanche ses mains ne remuaient pas. C'était une petite fille, elle n'avait pas de bras.

Le pauvre homme était bien dépité. Au début il en a voulu à l’enfant. Mais il ne pouvait le laisser mourir de faim. Il le confia à la veuve du boucher qui allaitait encore son troisième garçon. Le pauvre homme ne resta pas longtemps dépité. La veuve du boucher sut vite le consoler pendant l’hiver.

Au printemps, elle vint s’installer chez le père de la petite fille sans bras. Avec ses trois garçons.

La petite fille sans bras était chétive, mais curieuse. Elle avait de grands yeux noirs ouvert sur le monde, comme absorbant la lumière alentour. Elle ne pleurait jamais. Malgré les brimades et les remontrances.

Elle mangeait très peu. Se désintéressant de tout ce qui se trouvait dans son assiette. Elle ne parlait pas non plus. A 5 ans, une cousine de passage lui offrit une barre de chocolat. Elle ouvrit la bouche d’étonnement et d’extase.

L’instant d’après, elle s’écria : « j’en veux encore ! »

Le lendemain matin, elle réclama du chocolat dans son lait du matin. Sa marâtre lui répondit qu’elle devait d’abord finir la vaisselle, qu’on n’était pas chez les aristos, ici. La petite fille regarda ses manches sans bras, et haussa les épaules. Ses demi-frères se moquèrent d’elles :

« PAS DE BRAS, PAS DE CHOCOLAT! »


Elle ferma les yeux mais ne pleura pas.

Les jours s'écoulèrent ainsi, chaque matin identique au précédent.

Le matin de ses 13 ans, elle partit de la maison, comme tous les jours dès potron-minet pour aller à l’école. Elle ne revint jamais.

Elle prit le chemin dans la forêt en direction de la ville.

Elle ne croisa aucun loup. Mais un automobiliste qui la fit monter sur le siège avant.

Au carrefour suivant, il s’arrêta et lui dit : « faudrait voir à payer ton voyage en nature, ma belle. »

 -  Non, dit-elle.

 -  Pas de bras, pas de chocolat, alors ! Rugit-il.


Il ouvrit la portière et la poussa dehors d’un coup de pied. Elle roula dans le fossé comme un ballon. Elle regarda la voiture s’éloigner vers le soleil levant. Un panneau indiquait la ville à 15 kilomètres.

La petite fille sans bras arriva en ville sur le coup de midi. Elle ne savait où aller et déambula au hasard.

Elle n’avait pas mangé mais elle n’avait pas faim. Des enfants se moquèrent d’elles, elle n’y fit guère attention. Des gens changèrent de trottoir en la croisant. Elle changea de direction en apercevant un gardien de la paix. Et s’engagea dans la première ruelle à gauche.

Il se mit à pleuvoir. Elle se cacha dans un renfoncement et attendit. Il faisait froid.

Il faisait nuit quand elle avisa la devanture mal fermée d’une boutique décatie. La peinture des volets s’écaillait, un carreau de la porte vitrée béait. Elle y introduisit son pied, appuya et la porte s’ouvrit.

Elle entra dans une obscurité poussiéreuse et se coucha dans un coin.

Alors, elle pleura toutes les larmes de son corps pour les treize années passées dans son corps sans bras.

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