La Librairie

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Au matin, une lumière la réveilla.

Un vieil homme sans cheveux entra, ouvrit les volets et s’installa au comptoir de sa boutique. Le soleil l’éblouit, elle se renfonça dans sa cachette.

Pour ce qu’elle en voyait, il n’y avait ici que des rangées et des rangées de vieux livres poussiéreux.

Mais pas un seul client. Le vieux fit semblant de ne pas découvrir sa présence et vaqua à ses occupations habituelles.

Il repartit le soir, sans avoir dit un mot. La petite fille sans bras se leva de sa cachette et se mit en quête de nourriture. Elle finit un reste de sandwich rassis qui trainait sous le comptoir du vieux boutiquier, au milieu de feuilles froissées et de crayons usés jusqu’au trognon.

Le matin suivant, le vieux sans cheveux apporta un petit pain au chocolat à la petite fille sans bras. Il s’approcha d’elle avec un grand sourire engageant. Elle ouvrit sa bouche dans un grand éclat de rire, car elle pensait « le chauve sourit ». Puis une larme coula de son œil.

Comme le vieux dansait d’un pied sur l’autre elle dit : « MERCI. » Avec son plus beau sourire.

Sans un mot, le vieux reprit sa place de la veille à son comptoir.

A onze heures, un client entra, demanda un titre. Le vieux monta sur une échelle et présenta le livre au client. Qui secoua la tête et partit.

Le vieux donna le livre à la petite fille sans bras. Elle déchiffra le titre : « Le vieux qui… lisait des romans… d’amour », roman de Luis Sepulveda.

Elle avait compris tout de suite que le vieux était muet.

Il était muet, mais il n’avait pas les yeux dans sa poche. Quand elle eut fini de lire le Sepulveda, il lui amena un autre livre. Avec un petit chevalet en bois pour qu’elle puisse le poser, et une plume pour tourner les pages avec sa bouche.

Il avait visé juste. Le lendemain, il lui apporta un plateau de nourriture et un nouveau livre.

De même le surlendemain, et le lendemain du surlendemain. Et ainsi de suite pendant les 365 jours qu’elle passa dans sa boutique sans sortir. Elle grandit au fur et à mesure que le vieux l’approvisionna en livres.

Plus elle lisait, plus elle avait envie de lire.

Au matin du 366ème jour, elle sortit dans la rue.

Un jeune homme la siffla comme le font les voyous. Elle se retourna. Le voyou, voyant alors sa silhouette, ricana méchamment en faisant un geste obscène : « Pas de bras, pas de chocolat, ha ! »

Elle rentra en courant. Le vieux la prit dans ses bras et la consola. Elle était presque aussi grande que lui. Elle avait monté en graine et était devenue une ravissante jeune fille.

Elle ne sortit plus pendant les 365 jours suivants. Elle dévora les rayonnages un à un, se nourrissant indifféremment de Proust, de Borges ou de Céline. Quand elle eut fini Nietzche et Kant, elle entama Freud.

Mais plus elle lisait, plus elle sentait que quelque chose lui échappait.

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