1 - La femme sur la colline
La petite ville de Schleswig comptait plus de vaches que d’habitants.
Autour d’elle s’étendait des hectares de pâturages et de champs dont le calme n’était rompus que par le chant des oiseaux. Ce matin-là, le soleil était doux, seule une légère brise se faisait sentir, dispersant le délicat parfum des fleurs sauvages qui poussaient le long de la vieille route. Les herbes sauvages qui l'envahissaient montraient que les biches et les vélos l’arpentaient bien plus que les voitures. Mais ce matin-là n'était pas comme les autres.
Un vrombissement se fit entendre au loin, se rapprochant à une vitesse effarante, jusqu’à ce qu’une élégante voiture noire file, écrasant les fleurs innocentes.
À son bord, deux hommes d’importante stature s’amusaient de la vitesse de l’engin, et à l’arrière un troisième profitait de la fenêtre ouverte.
Les yeux fermés, ses cheveux châtains s’agitaient au vent, semblant serein malgré la vitesse folle du véhicule sur une route si mince.
Les rires se turent quand la voiture émit ses premiers soubresauts. Quelques minutes plus tard, elle se retrouvait à l’arrêt complet.
Le jeune homme ouvrit finalement les yeux pendant que ses deux comparses sortaient pour inspecter le moteur. Alors qu’ils se trituraient l’esprit avec l’engin, le troisième sortit pour se dégourdir les jambes. Il aperçut en haut d’une colline une figure féminine et se décida à s’en approcher.
La jeune femme étendait de longs draps blancs, dos au jeune homme qui en profita pour s’asseoir sur la petite barrière en bois afin d’observer là l’étrange inconnue sans l’interrompre. Il n’y avait qu’eux, pourtant elle entretenait une discussion, faisant tour à tour les différentes voix, riant parfois à elle-même, inventant des univers, se mit à chantonner et à danser, avant de reprendre le fil de sa narration à voix haute. Lui admirait patiemment ses gestes et buvait ses paroles, même si elles lui faisaient peu de sens.
Elle choisit un des draps blancs qui faisaient partie de ses corvées et s’en recouvra pour rejoindre le monde des esprits.
Alors qu’elle se retournait dans un nouveau pas de danse, le drap glissa et son regard croisa celui du jeune homme. Dans un sursaut, elle stoppa immédiatement ses fantaisies.
- Qui êtes-vous ? Et-et que faites-vous ici ? Lui demanda-t-elle avec un regard inquiet
Il fallut quelques secondes au jeune homme pour reprendre ses esprits.
- Excusez-moi madame, loin de moi l’idée de vous effrayer. Je ne voulais pas vous interrompre, vous sembliez concentrée.
Ça ne suffit malheureusement pas à la rassurer. Il avala sa salive, elle était sublime. Elle avait une peau claire, laiteuse, se mariant avec perfection avec son visage rond et ses cheveux dorés ramassés dans un chignon sauvage le tout sous un délicat fouloir blanc.
Seuls ses yeux gris acier tranchaient avec la chaleur de son apparence.
Ces yeux l’hypnotisèrent.
Il réussit cependant à reprendre le cours de ses pensées.
- Je m’appelle Adolf Bauer. Je passais par là un peu par hasard, je suis en vacances avec des amis et notre voiture a quelques problèmes, dit-il en pointant du doigt le véhicule en contrebas toujours immobile.
- Personne ne prend de vacances ici, il n’y a rien à faire à part regarder les vaches brouter et le blé pousser, répondit-elle sur la défensive.
- Il se trouve qu’une grotte a été découverte pas loin et on la raconte magnifique. Mes amis et moi venons l'explorer.
Sous le silence dubitatif de la femme, Adolf se sentit obligé de se justifier, perdant peu à peu sa digne contenance, riant nerveusement.
- Ce n'est pas juste pour regarder des cailloux, je vous assure, ajoute-t-il avec un rire nerveux, une grotte peut-être fascinante ! Certaines roches offrent des reflets incroyables, et devoir se frayer un passage à travers un couloir étroit pour ressortir dans une salle énorme où la moindre respiration résonne fort, c’est… C’est juste incroyable !
- Ce n’est pas dangereux ? Vous ne vous êtes jamais perdu ?
- Perdu non, mais c’est vrai que ce ne sont pas les risques qui manquent, sourit-il, Mais je vous jure que le jeu en vaut la chandelle !
Elle pouffa.
En bas, les deux hommes appelaient Adolf qui les ignora royalement.
- Je veux bien vous croire, en tout cas vous semblez passionné, il y a longtemps que vous faites ce genre d’expédition ?
- Non je… Enfin, comment dire, j’aime expérimenter de nouvelles choses, sourit-il, Puis-je vous demander votre nom madame ?
- Mademoiselle, dit-elle avec un sourire timide.
- Mes plus plates excuses mademoiselle.
Il s’était rapproché, se penchant légèrement dans une courbette discrète, son regard plongé dans le sien, jouant au gentleman.
Malheureusement, les injections des hommes en bas devenaient impossibles à ignorer.
Il se résolut à faire ses adieux à la mystérieuse mademoiselle pour retourner à la voiture, à nouveau vrombissante.
Dans un dernier regard en arrière, il aperçut les joues rosies de la jeune femme et ne put contenir un sourire.
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