Chapitre 6
Un nouveau jour de cours débutait pour les étudiants d'Oakland. Il était 8 h 10, et les cours ne tarderaient pas à débuter. Déjà, quelques-uns priaient pour que leurs professeurs ne soient pas là, ou pour que la journée passe rapidement. Alex discutait avec Stephan, un jeune aux traces étrangement rouges sur les joues. Quoique Alex n'avait rien à dire sur ce sujet-là, ayant lui aussi des marques sur les siennes. Le blond n'avait pas eu de nouvelle de Caleb depuis qu'il était parti plus que fâché. Il l'avait aperçu dans le bus, mais avait préféré ne pas le rejoindre. Il voulait que ce soit lui qui fasse le premier pas.
L'horloge indiqua 8 h 15. Il ne restait plus que 10 minutes avant le début des cours. Alex s'excusa auprès de Stephan et s'éloigna, les mains dans les poches, vers son casier. Plongé dans ses pensées, il ne vit pas immédiatement la personne devant lui. Quand il s'arrêta à son casier, il remarqua qu'une personne était debout, devant le casier de Caleb. Il allait lui indiquer qu'elle s'était trompée quand il la vit mettre une grosse enveloppe dans le casier. Du même style que celles qu'il avait arraché des mains de Caleb deux jours plus tôt. Si c'était une déclaration d'amour, elle ne recommencerait pas tous les jours.. Et puis surtout, elle ne cacherait pas son visage et ne s'enfuirait pas en croisant le regard d'Alex
Tout devint immédiatement clair pour le jeune homme. Pourquoi n'y avait-il pas pensé plus tôt ? C'étaient ces lettres qui le rendaient comme ça ! Maintenant qu'il savait ce qui chamboulait son ami, il pourrait sûrement l'aider. Alex sourit. Ce serait vraiment facile finalement.
Les cernes qui ornaient les yeux de Caleb s'étaient encore agrandis. Il avait passé la nuit à chercher, en vain, un indice quelconque. L'auteur de ces lettres s'était très bien caché, et n'avait laissé aucun indice. Pas de nom, pas de lieu, sauf une ville, mais qui ne lui serait d'aucune utilité. Elle ne s'était même pas décrite physiquement ! Il lui fallait juste trouver une fille, avec un frère... Il secoua la tête énergiquement tant il se trouvait idiot. Des centaines de filles avaient des frères. Autant chercher une aiguille dans une botte de foin, comme dirait sa mère. Il fallait vraiment qu'il arrête d'y penser, ça devenait maladif chez lui. Mais il avait toujours été excessif. Dans ses joies, ses colères... Toujours. C'était son principal trait de caractère, et son principal défaut aussi.
Depuis quelques minutes, il sentait le regard pressant d'une certaine blonde dans son dos. Ayant décidé d'abandonner le pari, cela faisait près de 2 jours qu'il ne lui avait pas adressé la parole. Ce qui devait paraître très bizarre aux yeux de Taylor qui avait réellement cru que Caleb s'intéressait à elle. Au bout de tant d'années d'espérance, il lui avait enfin montré un peu d'attention. Et voilà que tout d'un coup, il ne lui adressait plus la parole. De quoi se poser des questions.
Las de ces regards, Caleb se décida à rentrer dans le bâtiment. La sonnerie allait bientôt retentir, et il n'avait pas vraiment envie de se retrouver au premier rang. Et puis arriver à l'heure de temps à autre de faisait de mal à personne.
Lorsqu'il arriva devant sa salle de cours, la plupart des élèves étaient déjà installés, et le professeur sortait ses affaires. Le brun se dirigea sans un regard pour ses camarades vers la table du fond. Bien que des bureaux plus avancés soient libres, le professeur ne dit rien. Caleb Hayes pouvait se permettre de s'installer où bon lui semblait.
Alors que le cours débutait, Caleb comptait déjà les heures qu'il lui restait avant la fin de la journée. Ayant un professeur absent, il finissait légèrement en avance. À 15 h au lieu de 16 h. « Courage, se dit-il, plus que 5h47 »
Andrew en avait déjà marre de la dispute entre Alex et Caleb. Les petits silences et les petits regards dignes de la maternelle le fatiguaient terriblement. En plus, il n'avait pas encore fumé depuis le début de la journée, ce qui le rendait d'une humeur exécrable. Il devait attendre que les portes s'ouvrent pour enfin sortir. En attendant, il était coincé au milieu des deux jeunes gens qui refusaient de se dire un mot. C'était dans ces moments-là qu'il avait vraiment envie que Madison intervienne. Elle arrivait toujours à faire parler les gens, dans n'importes quelles circonstances. Un don, sans doute. Elle était tellement douée, qu'elle avait réussit à faire très légèrement douter Andrew sur sa consommation de drogue.
Il avait longuement regretté ce choix, mais sous le coup de la colère, il n'avait pas réfléchi. Il détestait qu'on lui pose des ultimatums. Et ce, même si c'était sa blonde qui le lui demandait. « Sa blonde ». Il pouvait encore l'appeler comme ça ? Il en était sûr, elle l'aimait encore. Sinon, elle ne surveillerait pas autant tous ses faits et gestes. Et puis elle ne taquinait aucun autre homme comme lui. Et ça le rassurait, en quelques sortes. Leurs jeux l'occupaient, et il ne pouvait plus s'en passer. Il ne s'imaginait plus une relation avec une fille sans ça. Il ne s'imaginait plus une relation avec une autre fille tout court. Andrew savait bien qu'un jour, elle finirait par se lasser, et elle s'en irait avec un autre qui ne se « détruisait » pas comme elle le disait souvent. Mais il voulait qu'elle l'accepte en entier, avant de faire des efforts. Il était bien trop digne pour se soumettre à elle... Comme elle était trop digne pour faire de même.
La sonnerie indiqua la reprise de 13 h. Andrew, encore plus énervé, était près à faire scandale auprès du CPE pour ne pas avoir ouvert les portes à temps... Mais Madison étant dans le bureau, il se dit que finalement, il irait fumer plus tard.
La sonnerie de 15 h sonna comme une délivrance pour le cadet Hayes. Il l'attendait depuis si longtemps, qu'il se demandait si elle allait vraiment arriver un jour. Il faisait parti d'un des seuls lycée à avoir cours tout le mercredi. Mais en échange, ils n'avaient pas cours le vendredi après-midi grâce aux internes. Donc au final, ça ne gênait pas tellement.
Caleb mit son casque, volume à fond, bien décidé à rentrer chez lui le plus vite possible. Il crevait de fatigue, et avait envie de terminer au plus vite ses devoirs pour aller dormir. Alors qu'il arrivait aux portes de l'établissement, il se rappela qu'il avait laissé dans son casier son livre de maths, outils indispensables pour faire ses devoirs. Lâchant un soupir déchirant, il rebroussa chemin vers le grand hall où son casier était situé. Certains élèves squattaient encore les escaliers, attendant leur prochaine heure de cours. Quand Caleb passa devant le groupe de fille, il entendit clairement des gloussements et des messes basses. Par automatisme, il leva les yeux au ciel.
Ce que les filles pouvaient être superficielles. Toutes à glousser, à se dandiner sur son passage. Ça devenait lassant. Le Hayes déverrouilla son casier, et partit à la recherche de son livre dans son bordel. Il ne faisait pas parti de ces gens qui rangeaient tous les jours leur casier. Lui, il laissait s'entasser. Caleb n'avait pas remarqué l'enveloppe qui dépassait de son casier. Il était trop dans sa recherche. Alors qu'il trouvait enfin son livre, l'enveloppe en équilibre tomba par terre. Il n'eut qu'à jeter un coup d'œil pour comprendre de quoi, il en était. Bizarrement, ça ne le surpris pas tant que ça.
En quelques sortes, il s'y attendait. Si ça n'avait pas été le casier, ça aurait été chez lui. Le brun referma son casier, et fourra son livre dans son sac. Il partit d'un pas rapide en direction de la clairière ou il s'était installé la première fois, l'enveloppe à la main. Arrivé près du tronc, il jeta son Eastpack et se posa dessus. Délicatement, il ouvrit la lettre bien moins chargée que les deux précédentes. Cette fois, il réussit à retenir ses tremblements d'excitation, mais intérieurement, il était toujours aussi fiévreux de connaître le contenu de ces lettres. Il ne perdit pas une minute de plus et commença sa lecture.
« Bonjour Caleb !
Comment vas-tu aujourd'hui ? Nous en sommes déjà à la troisième lettre... Que le temps passe vite, dis moi. Personnellement, je vais... Je vais quoi. Ni bien ni mal. Parler de la séparation de mes parents et du fait que je me suis tailladée à réveiller mes envies... Et hier soir, je n'ai pas résisté. Je me désespère, je suis vraiment trop faible. Enfin bon, aujourd'hui, je t'écris un passage plutôt heureux de ma vie. Cette fois-ci, il n'y aura pas de pleurs ou de trucs dans le genre. Savoure, parce que ce sera bien la seule.
Le premier été en tant qu'enfant de parents divorcés. Premier été que je devais passer dans la nouvelle maison de ma mère. Elle avait déménagé dans une grande ville au bord de la mer à San Diego. Sa maison était à quelques minutes à pied de la plage. Bref, j'allais passer des vacances de rêves. Petit hic cependant... Je hais la plage. Ma peau est trop fragile, ce qui fait que je ne peux pas passer beaucoup de temps au soleil. Or, la plage est faite pour bronzer. Ensuite, mon beau-père. Il n'hésitait jamais à me faire de petites remarques sur les marques sur mes bras. Je ne sais même pas dans quel but d'ailleurs. Qu'est-ce que ça pouvait bien lui faire ? Ce n'est pas comme s'il m'appréciait. Enfin, la maison était pas mal. Très belle même. Mais elle était toujours désespérément vide.
Ma mère passait ses journées à la plage avec mon beau-père . Depuis l'épisode du procès, ma mère et moi ne nous parlions presque plus. Les banalités, sans plus. Je traînais souvent dans la pinède qui jouxtait le quartier de ma mère. Il n'y avait presque jamais personne, et je pouvais voir des écureuils. Une fois, j'y ai même trouvé des petits chatons. Mais mon beau-père n'en voulait pas, je les ai donc donnés au chenil pas loin. Souvent, un petit groupe de jeune traînait dans le fond. Une fille et deux garçons. Il y en avait un, un peu enrobé, à qui j'avais déjà parlé. La fille était facilement reconnaissable, elle n'arrêtait pas de crier sur le petit gros pour qu'il ramasse ses papiers de chips. Et le troisième, calme. Il me regardait souvent, mais ne disait jamais rien. Ou pour leur dire de se taire. Franchement, au début, il m'a sérieusement fait peur. Je le prenais pour un psychopathe.
Un jour, les deux mecs n'étaient pas là. Il n'y avait que la fille. Et moi, j'étais en train de donner à manger à un petit écureuil. Doucement, elle s'approcha de moi. Je crois qu'en fait, ils avaient prévu de faire ma connaissance. Mais ils ont dû se dire qu'une fille parlerait mieux avec une de ses semblables... Pas faux. Enfin, on a sympathisé. Elle m'a présenté à ses deux amis. J'ai appris que les deux mecs étaient meilleurs amis, et qu'elle sortait avec le calme. Grosse surprise pour moi, qui était persuadée qu'ils étaient frères et sœurs. Même si au final, à part leur coupe de cheveux, ils n'avaient rien en commun. D'ailleurs, le Petit Gros (je vais l'appeler comme ça tout au long de cette lettre, bien qu'il ne soit pas si gros que ça.) leur avait donné pour surnom « Palmito et Palmita » tant leur coiffure ressemblait à un palmier. En moins de deux jours, j'étais complètement acceptée au sein de leur groupe. J'avais même un surnom pour moi. Palmita était une fille adorable, très « protectrice de la nature » et surtout très heureuse de ne plus être la seule fille. Je l'arrangeais bien, en fait.
Petit à petit, ils m'ont appris à faire les pires conneries. Normalement, je suis une fille assez sage, j'ai toujours un peu peur des punitions que je pourrais avoir. Mais finalement, maintenant que ma mère n'en avait rien à faire, je pouvais faire ce que je voulais. J'ai pris ma première cuite avec eux. Au début, c'est très agréable. Mais après... On se sent tout sauf bien. J'ai fumé aussi. Palmito est un grand consommateur de Tabac mélangé à d'autres substances. Mais ça, j'ai jamais essayé. Je suis d'une nature très dépendante, donc je préférais ne pas tester. Pendant qu'ils fumaient, moi, je buvais. Au final, ça revenait au même. On volait certains trucs aux magasins des plages, on traînait dans des boîtes... Je ne m'étais jamais autant éclatée. J'avais raconté à Petit Gros mes histoires avec ma mère, et il avait décidé de tout me faire oublier.
Pendant un mois, on a vécu comme des gosses de riches un peu. Genre Paris Hilton, tu vois ? On faisait ce qu'on voulait, quand on en avait envie. Mais mon beau-père n'était pas de cet avis. Un commerçant m'avait reconnu et lui en avait parlé. Il m'a promis de ne rien dire à ma mère, si j'arrêtai de traîner avec eux. J'ai refusé. Ma mère m'a enfermée dans la chambre que j'occupais (je n'arrive pas à dire « ma » tellement elle est horrible, cette chambre.) avec interdiction de sortir jusqu'à la fin des vacances... Sois encore 3 semaines. Comme toutes les adolescentes de mon âge, j'ai voulu me révolter. J'ai donc fugué. Je crois que je suis restée un peu plus d'une semaine chez Palmita, puis chez Palmito, puis chez Petit Gros. Surtout chez Petit gros. Ses parents étaient absents, et bizarrement ma mère n'a pas eu l' idée de venir me chercher chez lui.
Pourtant, il a bien fallu que je rentre. C'est à mon retour que j'ai compris que quelque chose entre ma mère et moi s'était brisé. Elle ne m'avait pas tellement cherché. Elle avait juste dit à la police que j'avais fugué, histoire de faire bonne figure. Quand je suis arrivée, elle était en train de bronzer au bord de la piscine. Ma disparition avait l'air de l'affecter, en effet. J'ai l'air d'une petite fille égoïste, qui fait sa crise d'adolescence non ? Certains n'ont plus de mère tout court, alors je ne devrais pas être malheureuse. Mais avoir une mère qui ne s'occupe absolument pas de vous... N'est-ce pas pire que de ne pas en avoir du tout ? On peut toujours garder l'image d'une mère parfaite, mais moi, je n'arrête pas de la revoir en train de bronzer au bord de la piscine, en me disant « tiens chérie, tu es rentrée. Tu veux bien aller me chercher une bouteille de Perrier dans le frigo s'il te plaît ? ». À croire qu'elle ne savait même pas que j'étais partie.
Même mon beau-père s'était plus inquiété de mon sort que ma propre mère. C'était lui qui avait lancé les recherches. Comment pouvait-il vouloir des enfants avec elle, alors qu'elle ne prenait même pas soin de ses premiers ?
Je n'ai pas tenu une semaine de plus. J'ai immédiatement demandé à mon père de venir me chercher. Je n'arrivais plus à la regarder sans éprouver une haine intense.
J'ai fait mes adieux à Palmito, Palmita et Petit Gros. Je ne sais pas s'ils se souviennent encore de moi, mais je ne les remercierais jamais assez de m'avoir fait passer ce dernier moment de bonheur pur. Avant le début de la chute.
Je suis partie comme ça, un matin. En voleuse. Je n'ai pas dit au revoir à ma mère, parce que ça aurait voulu dire que j'allais la revoir un jour. Or, pour moi, c'était finit. Ma vraie mère n'était pas celle allongée sur ce foutu transat.
Je me souviendrais toujours d'un jour où, après une remarque de mon beau-père sur mes traces sur les bras, ma mère avait répondu « Voyons, ça doit être à cause des chats, c'est évident. N'est-ce pas ma puce ? Je t'avais dit de ne plus aller les voir. » Avant de retourner devant la piscine. Mon beau-père s'était alors figé, avant de se tourner vers moi un air désolé collé au visage. C'est la seule fois ou nous avons échangé un regard presque amical.
Je crois que j'ai loupé ma lettre heureuse, non ? Mais sache que je n'en suis pas triste. Les rencontres que j'y ai faites ont sûrement étés les plus belles de toute ma vie. Aucun des trois ne m'a déçu. Maintenant, Palmita et Palmito ne sont plus ensemble. Il est parti dans une ville très éloignée, et Palmita est en Europe. Je garde contact avec elle de temps à autres. Petit Gros lui... Et avec Palmito, je crois. Inséparables.
Ma mère... Et bien, elle est de nouveau maman. Je ne sais pas si elle s'en occupe bien, j'espère pour mon beau-père, et pour l'enfant. Je ne suis plus jamais retournée chez elle. Des fois, elle me téléphone. On parle un peu, voir presque pas. Et tu sais quoi ? Elle ne m'a jamais souhaité à nouveau mon anniversaire.
Tu ne devineras jamais quoi... Alors je finissais d'écrire la ligne de dessus, qui ai-je vu descendre de mon bus ? Toi. Alors que tu devrais être en cours. Ce n'est pas très sérieux... Moi, je n'avais pas cours. Sport, et je suis dispensée. Donc j'avais une raison valable. Mais pas toi. Je n'aimerais pas que mes lettres dérèglent ton niveau scolaire, alors ne les lit plus... Je comprendrais.
Je n'ai plus rien à dire, je crois, alors je te dis à demain.
Regardes ce que tu ne vois pas. »
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